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Biodiversité

Parc éolien et espèces protégées : la dérogation n’est pas nécessaire (cas de jurisprudence Cabinet Altes)

Parc éolien et espèces protégées : la dérogation n’est pas nécessaire (cas de jurisprudence Cabinet Altes)

Par deux arrêts du 20 décembre 2022, la Cour administrative d’appel de Lyon vient de confirmer la légalité des autorisations environnementales d’un projet de 7 éoliennes (CAA Lyon, 7ème chambre, 20 déc. 2022, n° 20LY00753 et 22LY00750). Les adversaires arguaient de l’absence de dérogation « espèces protégées ». Malgré les conclusions défavorables du rapporteur public, la Cour fait droit aux arguments de la société porteuse du projet, en jugeant non nécessaire l’obtention d’une dérogation (jurisprudence cabinet) .

Il s’agit de la première application de l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 à un contentieux survenant en amont de la réalisation d’un projet (éolien). Décryptage.

I. Contexte : avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022

Par un avis du 9 décembre 2022, déjà amplement commenté, la section de contentieux du Conseil d’Etat vient de clarifier le régime de la dérogation espèces protégées de la façon suivante (CE, 9 décembre 2022, n° 463563) :

  • la présence de spécimens d’espèces protégées dans la zone d’un projet impose d’examiner si une dérogation est nécessaire, sans toutefois l’impliquer systématiquement ;
  • si le projet présente un risque « suffisamment caractérisé » pour les espèces, après prise en compte des mesures d’évitement et de réduction proposées par le porteur de projet, une dérogation « espèces protégées » doit être obtenue ;
  • en revanche, si les mesures d’évitement et de réduction permettent de diminuer, avec des garanties d’effectivité, le risque pour les espèces protégées au point qu’il n’apparaisse pas comme suffisamment caractérisé, l’obtention d’une dérogation n’est pas requise.

Ces précisions sont destinées à harmoniser des jurisprudences jusque là aléatoires des juges du fond. Elles laissent subsister cependant une marge de manœuvre.

Il ne peut plus être recherché dans le dossier un risque d’atteinte nul. Ce qui est bienvenu, car une exigence de démonstration d’un risque zéro (matériellement impossible) aurait eu l’effet pervers de banaliser la dérogation en la systématisant.

La Cour administrative d’appel de Lyon vient d’appliquer de façon éclairante le cadre issu de l’avis du Conseil d’Etat.

II. Arrêts de la Cour administrative d’appel de Lyon du 20 décembre 2022

Dans cette affaire, deux recours avaient été rejetés en première instance. En appel, les adversaires ont fait valoir un moyen nouveau, suggéré par la jurisprudence : l’absence de dérogation espèces protégées (Art. L411-2 C. env.)

Lors de l’audience du 8 décembre 2022, le rapporteur public déduisait de la simple existence d’un risque d’atteinte aux espèces protégées la nécessité d’une dérogation. Finalement, dans ces arrêts du 20 décembre 2022, la Cour administrative de Lyon transpose la grille d’analyse du Conseil d’État, dans le considérant de principe suivant :

« Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. » (Cons. 41 de l’arrêt n° ° 20LY00753 et cons. 59 de l’arrêt n° 22LY00750 ; voir également cons. 7 CAA Lyon, 15 déc. 2022, n° 21LY00407 s’agissant d’un parc éolien déjà en service).

En l’espèce, la Cour apprécie ensuite le niveau d’impact du projet à l’aune de l’étude d’impact réalisée, de l’avis formulé par la mission régionale de l’autorité environnementale (MRAE)  et des mesures d’évitement et de réduction prévues au dossier (bridages, suivi des espèces, dispositif anticollision…).

L’étude d’impact ayant qualifié le risque d’atteinte de faible ou inexistant (Milan noir, chiroptères et Cigognes noires), la Cour déduit que le parc éolien « n’aura pas impact suffisamment caractérisé sur les différentes espèces de l’avifaune ou de chiroptères recensées localement et reconnues comme présentant une valeur patrimoniale ». Elle en déduit l’absence de nécessité d’une dérogation.

La Cour rejette par ailleurs l’ensemble des autres moyens adverses et condamne les requérants à verser au total 6.000 euros à la société porteuse du projet au titre des frais exposés dans les deux procédures.

Une telle clarification du contrôle exercé est la bienvenue pour tout porteur de projet. En effet, les travaux des bureaux d’études, et in fine les dossiers des porteurs de projets, pouvaient être appréciés de manière variable par les juges du fond sur la base d’analyses purement sémantiques (risques « négligeables », « faibles », « moyens » …), entraînant des divergences jurisprudentielles.

En définitive, lors de l’étude d’impact d’un projet éolien, une attention toute particulière doit être portée sur les mesures d’évitement et de réduction susceptibles d’être adoptées et à la qualification des impacts résiduels. Celles-ci protègent, comme en témoignent les deux arrêts commentés, les projets des effets d’éventuels recours.

Sources :

CE, Section, 9 décembre 2022, n° 463563, Publié au recueil Lebon – Légifrance (legifrance.gouv.fr) ;

CAA Lyon, 7ème chambre, 20 décembre 2022, n° 22LY00750.pdf ;

CAA Lyon, 7ème chambre, 20 décembre 2022, n° 20LY00753.pdf.

espèces protégées : quand faut-il une dérogation ?

espèces protégées : quand faut-il une dérogation ?

L’avis très attendu du Conseil d’Etat sur les espèces protégées a été rendu le 9 décembre 2022 (463563).

https://www.conseil-etat.fr/actualites/realisation-de-travaux-et-protection-des-especes-protegees-le-conseil-d-etat-precise-les-regles

ll fait suite à une demande d’avis de la Cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 27 avril 2022, 20DA01329).

Les sujets sont nombreux et intéressent de nombreux secteurs :  énergies renouvelables, carrières, travaux publics, bâtiment notamment.

S’agissant de l’épineuse question de la probabilité d’atteinte (notamment pour les atteintes involontaires aléatoires à des espèces), il est apporte des précisions sur le seuil de probabilité résiduel évalué par le bureau d’étude. C’est à ce niveau de détail, souvent difficile à appréhender d’un point de vue technique, que se placent les juridictions en cas de recours.

Voici notre première analyse s’agissant de la question du seuil de déclenchement d’un dossier de dérogation.

Tout d’abord, en creux, l’avis du Conseil d’Etat ne retient pas certaines des propositions de son rapporteur public, notamment:

– le seuil de déclenchement d’un dossier de dérogation (DEP) : contrairement à ce qui était proposé, pas d’obligation de DEP quand bien même le risque serait seulement « non négligeable ».

– la distinction entre trois catégories d’atteintes (volontaires, inéluctables et autres).

Ensuite, en clair, l’avis énonce que:

1/ L’évaluation d’un risque d’atteinte aux espèces doit se faire après application des mesures d’évitement et de réduction (E & R). En revanche, pas de celles de compensation (C).

2/ La présence d’espèces protégées dans la zone d’un projet impose d’examiner si une dérogation est requise. Cette obligation s’impose au pétitionnaire et au service instructeur. Elle n’implique pas pour autant qu’un dossier de dérogation soit systématiquement requis dans ce cas.

3/ Une dérogation espèces protégées (issue de la directive Habitats) est nécessaire en cas de risque suffisamment caractérisé pour les espèces, après prise en compte des mesures d’évitement et réduction.

4/ En outre, dès lors que ces mesures d’évitement et de réduction permettent de diminuer – avec des garanties d’effectivité – un risque pour les espèces protégées au point qu’il n’apparaisse plus comme suffisamment caractérisé, un dossier de DEP n’est pas requis.

La référence à des « garanties d’effectivité » permet de prendre en compte les mesures réelles de réduction, sans pour autant exiger qu’elles apportent 100 % d’efficacité (par ex. détection oiseaux pour les éoliennes).

De même, la mention d’un risque qui n’apparaitrait plus « suffisamment caractérisé » va permettre au juge administratif de mener son office en prenant en compte la diversité des méthodes de travail des bureaux d’études, sans se fixer sur une sémantique de l’ordre du « zéro risque » ou du « négligeable ».

L’administration et au besoin la jurisprudence pourront donc apprécier au cas par cas les dossiers et retenir, par exemple, qu’un risque résiduel (après E et R) « faible » atteste d’une diminution telle qu’il n’est plus suffisamment caractérisé.

La conciliation des différents intérêts (notamment biodiversité et énergies renouvelables) devrait s’en trouver améliorée.

Dérogation espèces protégées : demande d’avis au Conseil d’Etat

Dérogation espèces protégées : demande d’avis au Conseil d’Etat

La Cour administrative d’appel de Douai a sursis à statuer par un arrêt du 27 avril 2022 et interroge le Conseil d’Etat alors qu’elle est confrontée à une demande d’annulation d’une autorisation environnementale d’un parc éolien.

Elle demande à la Haute juridiction :

  • d’une part, si un porteur de projet doit déposer une demande de dérogation espèces protégées (DEP) dès lors qu’un seul spécimen est en cause
  • et, d’autre part, si le dépôt d’une demande de DEP est conditionné au seul risque d’atteinte ou également aux mesures ERC prévues par le porteur de projet.

Le Conseil d’Etat a trois mois pour se prononcer.

Source et lien : CAA Douai, 27 avril 2022, n°20DA01392

Atteinte aux espèces protégées par une installation classée : le préfet doit agir (CE, 28 avril 2021, n° 440734)

Atteinte aux espèces protégées par une installation classée : le préfet doit agir (CE, 28 avril 2021, n° 440734)

Le Conseil d’Etat vient de préciser les obligations du préfet en cas d’atteinte aux espèces protégées par une installation classée (CE, 28 avril 2021, n° 440734). Si l’autorisation relative aux espèces protégées est annulée par le juge, le préfet peut suspendre l’activité en attendant sa régularisation.

Si la nouvelle demande est refusée alors que l’installation n’était initialement pas conforme à la règlementation des espèces protégées, le préfet pourra abroger l’autorisation d’exploiter (c’est-à-dire arrêter l’activité).

En revanche, si l’activité n’est plus conforme après sa mise en service, le préfet doit rechercher s’il peut prescrire des mesures complémentaires.

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Énergies renouvelables et espèces protégées : le Conseil d’État s’en remet aux juges du fond

Énergies renouvelables et espèces protégées : le Conseil d’État s’en remet aux juges du fond

Par deux décisions rendues le 15 avril 2021 (n°432158 ; n°430500), le Conseil d’État (6ème et 5èmes chambres réunies) se prononce sur l’intérêt public permettant de justifier qu’une installation de production d’énergie renouvelable entraîne la destruction d’espèces protégées.

Ces décisions s’inscrivent dans une ligne jurisprudentielle ouverte par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 4 mars 2021 renforçant la protection des espèces protégées et généralisant la procédure de dérogation en cas de destruction, même involontaire.

En s’en remettant à l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond s’agissant du critère de l’intérêt public majeur, qui semblent essentiellement prendre en considération la quantité d’énergie renouvelable produite, le Conseil d’État adopte de son côté une position qui, bien que prudente, pourrait au cas par cas désavantager les sources de production d’énergie en plus petite quantité et inciter, paradoxalement, à concentrer les risques d’atteinte aux espèces protégées sur les plus gros projets.

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Le zéro perte nette de biodiversité est une illusion (Le Moniteur)

Le zéro perte nette de biodiversité est une illusion (Le Moniteur)

Biodiversité : l’objectif légal de zéro perte nette est sans doute rassurant, mais c’est hélas une illusion.

Un premier avis sous forme d’interview à Sandrine Pheulpin du Moniteur, le 12 février 2021.

Pour lire, l’interview c’est ici.

Un article de fond à venir apportera une analyse plus complète des limites du cadre légal et des défis à relever pour garantir une véritable protection de la biodiversité.

Contrefaçon de marque : le dirigeant engage sa responsabilité personnelle (TJ Lyon, 7 janvier 2025, société Hermès Sellier)

Contrefaçon de marque : le dirigeant engage sa responsabilité personnelle (TJ Lyon, 7 janvier 2025, société Hermès Sellier)

En cas de faute « détachable » ou « séparable » de ses fonctions, le dirigeant social d’une société peut engager sa propre responsabilité civile tant à l’égard des tiers que de ses associés. Dans ce cas, la personnalité morale en droit des sociétés ne permet plus de faire écran entre son dirigeant et le monde extérieur.

Tel est le cas lorsque le dirigeant commet « intentionnellement une faute d’une gravité particulière incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions » (Cass. Com., 20 mai 2003, n°99-17.092). Au fil du temps, la Cour de cassation a consacré plusieurs hypothèses de faute détachable des fonctions (voir Cass. Com., 4 juillet 2006, n°15-13.930 pour le fait d’omettre sciemment le paiement d’une prime d’assurance automobile et d’avertir les salariés de la perte consécutive de garantie ; ou encore Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 22-22998, F-D, pour le défaut de souscription à une assurance construction obligatoire).

Dans un jugement du 7 janvier 2025, le Tribunal judiciaire de Lyon s’est prononcé sur un cas de responsabilité du dirigeant social pour des faits constituant la violation du droit d’auteur. Ce dernier commet une faute détachable de ses fonctions lorsque sa société réalise des produits contrefaits (TJ Lyon, 3e ch., 7 janvier 2025, 23/03036, société Hermès Sellier c/ Société YM).

La violation du droit d’auteur peut entraîner la responsabilité personnelle du dirigeant

En l’espèce, la société HERMES SELLIER avait constaté la commercialisation et la présentation par la société YM, gérée par Monsieur (D), de vêtements reproduisant les motifs de certains de ses célèbres carrés de soie dans une boutique. Après une mise en demeure restée infructueuse, et sur le fondement de la titularité de ses dessins, la société HERMES SELLIER a fait assigner la société YM et son dirigeant devant le Tribunal judiciaire de Lyon aux fins de faire juger que les produits commercialisés par la société YM constituaient des actes de contrefaçon résultant de la création d’une même impression d’ensemble et/ou reproduisant la combinaison originale des caractéristiques des dessins. À l’appui de ces revendications figurait notamment un procès-verbal de constat.

Le Tribunal judiciaire de Lyon, après avoir retenu la protection par le droit d’auteur des motifs SPACE DERBY, CHEVAL DE FÊTE et SELLE DES STEPPES, puis les actes de contrefaçon, confirme que lesdits actes engagent la responsabilité in solidum de la société et de son gérant.

Pour retenir la responsabilité du dirigeant, le Tribunal identifie plusieurs éléments constitutifs d’une faute séparable de ses fonctions : ses déclarations personnelles « selon lesquelles il a lui-même fait réaliser les produits contrefaisants à partir de photographies trouvées sur internet », le caractère peu contestable de l’argument selon lequel il n’avait pas connaissance de l’exploitation des motifs par la société HERMES SELLIER alors « qu’ont été reproduits trois motifs appartenant à la même collection printemps-été 2021, ainsi que leurs déclinaisons de couleurs »  puisqu’il avait été personnellement informé des droits revendiqués par la mise en demeure lui ayant été adressée, sans pour autant les avoir retirés « de sorte qu’il a laissé se poursuivre en connaissance de cause les actes de contrefaçon. ».

Il convient d’observer que la « taille très modeste de la société » n’a pas joué en sa faveur… Le demandeur ayant d’ailleurs souligné que Monsieur (D) était la seule personne travaillant pour la société, de sorte qu’il a personnellement commandé et mis en vente les vêtements incriminés.

Cette affaire souligne que le dirigeant ne peut ignorer les règles du droit de la propriété intellectuelle, tant leur maîtrise est aujourd’hui essentielle dans les pratiques commerciales.

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Par une décision du 7 avril 2025, le tribunal administratif de Strasbourg vient de juger que l’étude d’impact du projet de liaison ferroviaire vers l’aéroport de Bâle-Mulhouse, porté par les sociétés SNCF et EuroAirport (d’une longueur de 6 km et d’un coût estimé d’environ 400 millions d’euros), était partiellement insuffisante s’agissant de la délimitation des zones humides (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2206161).

En conséquence, le tribunal sursoit à statuer sur la demande des associations (notamment Alsace Nature) dirigée contre l’arrêté du 14 mars 2022 du préfet du Haut-Rhin portant déclaration d’utilité publique (DUP) du projet. Le juge fixe à l’Etat et au maître d’ouvrage un délai de 12 mois pour que l’étude d’impact environnemental soit complétée, via une procédure dite de régularisation. Ainsi, une fois le dossier complété, le tribunal réexaminera le recours.

  • Le jugement du 8 avril 2025 : insuffisance de l’étude d’impact sur la délimitation des zones humides

Le tribunal juge que les études ont négligé une part importante des zones humides impactées (42% selon l’avocat des associations) : « pour procéder au calcul de la superficie des zones humides, les maîtres d’ouvrage ont, à tort, fait une application cumulative des critères ‘habitats’ et ‘sols’, alors que ces critères sont alternatifs. L’étude d’impact est dès lors entachée d’inexactitude sur ce point » (consid. 12).

Le jugement laisse ainsi entendre que le diagnostic écologique du projet n’a pas pris en compte la nouvelle définition – plus exigeante – des zones humides, introduite par la loi du 24 juillet 2019 (art. L211-1 c. env. I, 1°). L’autorité environnementale recommandait déjà, dans son avis émis sur le projet le 22 janvier 2020, « de reprendre l’inventaire des zones humides selon la réglementation actuellement en vigueur » (p. 16).

Enfin, pour répondre à l’argumentation en défense de l’Etat, le tribunal souligne que « compte tenu de l’intérêt écologique particulier qui s’attache aux zones humides, et de la nécessité qui en découle de prévoir des mesures adaptées, » celles-ci doivent être prises en compte dès le stade de l’étude d’impact rattachée à la procédure de DUP (consid. 13), sans attendre donc l’étape ultérieure de l’autorisation environnementale.

  • Notre analyse et nos préconisations

1. Il est important de souligner que les compléments d’analyse de l’étude d’impact prescrits par le tribunal ne sont pas seulement destinés à régulariser un vice de forme. En effet, le jugement souligne explicitement que le tribunal réserve sa décision sur d’autres arguments soulevés par les requérants : « dès lors que la modification de la superficie des zones humides est susceptible d’avoir des conséquences sur d’autres aspects du projet, les moyens tirés de l’insuffisante évaluation des enjeux des milieux naturels […], de l’insuffisance du bilan environnemental et des mesures compensatoires, et de l’utilité publique du projet, doivent être réservés jusqu’en fin d’instance. » (consid. 18).

Il est déroutant que le communiqué de presse du tribunal semble contredire le jugement sur ce dernier point, en indiquant « Le tribunal n’a pas remis en cause le caractère d’utilité publique du projet, constatant que la nécessité d’améliorer l’accès à l’aéroport répondait à une finalité d’intérêt général et n’emportait pas de conséquences économiques, environnementales et sociales excessives ». Car, en réalité, le tribunal confirme l’utilité publique du projet dans un second jugement rendu le même jour, en réponse aux arguments soulevés par la commune suisse d’Allschwil (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2203304).

Nonobstant, le juge souligne que la régularisation ne garantit pas le rejet du recours dans le cadre de l’audience de réexamen qui interviendra en 2026.

2. En ce sens, il peut être fait mention d’une autre décision récente rendue par la Cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy, 3 avril 2025, 20NC00801). Dans cette affaire, le juge administratif a annulé l’autorisation environnementale d’un projet éolien d’envergure (63 éoliennes sur 7 communes) malgré la régularisation des vices relevés par la même juridiction, trois ans auparavant, s’agissant de l’absence d’avis indépendant de l’autorité environnementale. En définitive, le juge annule le projet sur la base de nouveaux vices révélés par l’avis obtenu durant le délai de régularisation (à savoir saturation du paysage et effet d’écrasement).

3. Bien que le mécanisme de régularisation en cours d’instance contribue à la sécurité des projets, ces décisions des juridictions du fond illustrent qu’il constitue plutôt une « seconde chance », sans garantie. Elles soulignent également l’importance du respect de la procédure (complétude de l’étude d’impact, prise en compte autant que possible de l’avis de l’autorité environnementale s’agissant de l’évaluation exhaustive des impacts environnementaux).

Ainsi, si les normes ou les règles de l’art évoluent dans le cadre de l’instruction et qu’elles peuvent influer l’impact environnemental de l’opération, alors il appartient au maître d’ouvrage de les prendre en compte dans le cadre de mise à jour des études. D’ailleurs, dans ce cas de figure, le promoteur peut toujours opter pour la « régularisation spontanée », c’est-à-dire régulariser son dossier de sa propre initiative, sans attendre la décision du juge (CE 22 sept. 2014, SIETOM, n° 367889).

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».