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Énergies renouvelables et espèces protégées : le Conseil d’État s’en remet aux juges du fond

par | 16 Avr 2021

Par deux décisions rendues le 15 avril 2021 (n°432158 ; n°430500), le Conseil d’État (6ème et 5èmes chambres réunies) se prononce sur l’intérêt public permettant de justifier qu’une installation de production d’énergie renouvelable entraîne la destruction d’espèces protégées.

Ces décisions s’inscrivent dans une ligne jurisprudentielle ouverte par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 4 mars 2021 renforçant la protection des espèces protégées et généralisant la procédure de dérogation en cas de destruction, même involontaire.

En s’en remettant à l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond s’agissant du critère de l’intérêt public majeur, qui semblent essentiellement prendre en considération la quantité d’énergie renouvelable produite, le Conseil d’État adopte de son côté une position qui, bien que prudente, pourrait au cas par cas désavantager les sources de production d’énergie en plus petite quantité et inciter, paradoxalement, à concentrer les risques d’atteinte aux espèces protégées sur les plus gros projets.

Contexte :

Les arrêts du Conseil d’État du 15 avril 2021 relèvent de deux dossiers distincts mais semblables : il s’agit de projet d’installations de production d’énergie renouvelables (centrale hydro-électrique dans le département du Tarn – req. n°432158  et parc éolien dans le département du Morbihan – req. n°430500) entraînant à chaque fois la destruction involontaire d’espèces ou d’habitats protégés.

Au regard des impacts sur la biodiversité, les préfets compétents ont délivré aux sociétés exploitantes une dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées. Pour rappel, l’article L.411-2 du code de l’environnement prévoit qu’un projet susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat peut être autorisé à titre dérogatoire, dès lors qu’il répond notamment à̀ une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Procédure :

Dans chacune de ces deux affaires, des riverains et des associations de défense de l’environnement et des paysages ont saisi, respectivement, les tribunaux administratifs de Toulouse et de Rennes, d’une demande d’annulation des dérogations.

Dans le cas du projet de parc éolien, le tribunal a fait droit à la requête. Néanmoins, la cour administrative d’appel de Nantes a finalement validé la dérogation accordée.

Dans le cas de la centrale hydro-électrique, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande d’annulation. Au contraire, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement ainsi que l’arrêté préfectoral attaqué, au motif que la dérogation accordée n’était pas justifiée.

Analyse juridique :

Dans ces deux décisions, pour apprécier si le projet répond au critère de l’intérêt public majeur (c’est-à-dire une des conditions permettant, par exception, de détruire des espèces protégées), le Conseil d’Etat s’en remet à l’appréciation souveraine des faits de l’espèce par les cours administratives d’appel, et se limite à en contrôler la dénaturation.

La Haute Assemblée constate que chacune des Cour a, dans son affaire, étudié la réalité de la contribution du projet projeté à la réduction des gaz à effet de serre, à la lutte contre le réchauffement climatique, et ainsi caractérisé son importance au regard des enjeux en termes d’approvisionnement local, régional et national en énergies renouvelables. Puis, que les Cour ont concluent si cette importance dans le dispositif de développement des énergies renouvelables constitue une raison d’intérêt public majeur pouvant être mise en balance avec les atteintes aux espèces et habitats naturels de chacun des projets.

Parc éolien : Dans cette affaire, le Conseil d’État confirme les arrêts de la cour administrative d’appel de Nantes ayant validé l’autorisation du projet délivrée par le préfet (CAA Nantes, 5 mars 2019, n°17NT02791 et 17NT02794). La Cour ayant notamment relevé que le parc éolien en litige contribuait, par sa puissance de plus de 51 MW, à la réalisation des objectifs[1] de réduction de l’émission des gaz à effet de serre et à la lutte contre le réchauffement climatique, ainsi qu’à accroître la production d’énergie renouvelable, en permettant l’approvisionnement en électricité de quelques 50 000 personnes, quand bien même le projet relève d’une entreprise privée. Compte tenu de ces éléments, la cour a conclu que « les dérogations litigieuses doivent être regardées comme répondant à des motifs impératifs d’intérêt public majeur ».

Centrale hydro-électrique : Dans cette seconde affaire, le Conseil d’État confirme également l’arrêt de la Cour administrative d’appel (CAA Bordeaux, 30 avril 2019, n°17BX01426). Cependant, cette fois-ci, la Cour avait annulé l’arrêté préfectoral autorisant la dérogation en retenant que le projet ne répondait pas à une RIIPM, dès lors que « sa faible importance » empêchait qu’il puisse être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l’Etat dans le développement des énergies renouvelables, et n’était ainsi pas de nature à modifier sensiblement l’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national.

Critères de la dérogation : Dans les deux décisions, le Conseil d’État rappelle la portée et les conditions cumulatives de l’article L.411-1 du code de l’environnement, en énonçant que, dans le cas où un projet répond à une RIIPM, il ne peut être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si par ailleurs il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Notion d’intérêt public majeur

Dans un autre arrêt du 3 juin 2020 (CE, 3 juin 2020, n°425395), le Conseil d’Etat (5ème et 6ème chambres réunies) a défini des critères de définition de la RIIPM justifiant la réalisation d’un projet, et précisé que l’intérêt de nature à justifier une dérogation « espèces protégées » « doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation ». Dans ses conclusions, le rapporteur public a explicité le raisonnement que devait suivre le juge et énoncé que cette analyse ne procède pas d’un « réel bilan, au sens de la jurisprudence Ville Nouvelle Est, ni d’une mise en œuvre du principe de proportionnalité (…) mais seulement de la nécessité que cet intérêt soit suffisamment caractérisé au regard de l’objectif de conservation pour permettre une dérogation. Ce n’est qu’après avoir caractérisé la raison impérative d’intérêt public majeur que les atteintes portées aux espèces seront précisément prises en compte, au regard des mesures de réduction et de compensation prévues ».

Les cours administratives d’appel ayant rendu des arrêts sur ce fondement depuis lors ont procédé selon le raisonnement énoncé. En voici deux autres exemples :

– Au sujet d’un parc éolien offshore d’une capacité de production de 496 MW, la cour a relevé que « le parc éolien en litige permettra de couvrir environ 8 % de la consommation de la région Normandie et 4 % de la région des Hauts de France et de répondre aux engagements énergétiques européens, nationaux et régionaux, comme le « paquet énergie-climat » 2020 adopté par le parlement européen en 2008 avec l’objectif de 23 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2030, le Grenelle de l’environnement de 2007 et la COP21 ainsi que l’accord de Paris du 12 décembre 2015 », et conclut que le projet répond ainsi à une raison impérative d’intérêt public majeur (CAA Nantes, 6 oct. 2020, n°19NT01714, 19NT02501, 19NT02520).

– A contrario, lorsque l’examen in concreto révèle que la participation du projet à la production d’EnR demeure modeste, ce dernier ne participant « qu’à hauteur de 1,5 % à la réalisation des objectifs régionaux en cette matière », et qu’il n’est pas démontré qu’existerait un déséquilibre en matière de diversification des sources de productions d’énergies dans le département, le juge conclut à l’absence de RIIPM (CAA Marseille, 24 janvier 2020, n°18MA04972).

Bilan :

En définitive, bien que le juge semble chercher à ne pas exercer un contrôle de proportionnalité en la matière, on peut constater que son contrôle sur la satisfaction de la condition d’intérêt public majeur (RIIPM) est ramené à la quantité d’énergie produite par le projet (comptabilisée en megawatts) ainsi qu’à sa contribution en pourcentage aux objectifs régionaux.

Une grille d’appréciation défendable mais qui pourrait s’avérer insatisfaisante si elle avait pour effet domino de désavantager les « petits » projets ou les sources de production d’énergie moins significatives (donc peut être de hiérarchiser l’éolien, le solaire, l’hydro…) et d’inciter paradoxalement à concentrer les risques d’atteinte aux espèces protégées sur des plus gros projets (donc paradoxalement théoriquement plus impactant).

Carl Enckell & Marie Breton – Enckell Avocats

[1] art. 19 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ; art. L. 100-4 du code de l’énergie ; recommandations du Conseil européen du 4 février 2011 ; pacte électrique signé le 14 décembre 2010 entre l’Etat, le conseil régional de Bretagne, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le réseau de transport de l’électricité (RTE) et l’agence nationale de l’habitat (ANAH).

Louis Vuitton : le motif à damier ne constitue pas une marque valable

Louis Vuitton : le motif à damier ne constitue pas une marque valable

Pour être valable, une marque doit être distinctive, c’est-à-dire permettre aux clients de reconnaître les produits ou services proposés sous cette marque, de ceux des autres entreprises.

Si le signe déposé à titre de marque est dépourvu de caractère distinctif en lui-même (par exemple : la marque est trop descriptive), ce caractère distinctif peut être acquis par l’usage. S’agissant d’une marque de l’Union Européenne (UE), cet usage doit avoir lieu au sein de l’UE, être ancien et suffisamment important pour que le signe utilisé soit perçu directement par le consommateur comme étant une marque.

Si ce principe est simple sur un plan théorique, dans la pratique, la preuve de l’existence de ce caractère distinctif acquis par l’usage est difficile à établir, comme l’illustre l’arrêt du Tribunal de l’Union Européenne (TUE), du 12 octobre 2022, qui a refusé de consacrer l’acquisition par l’usage du caractère distinctif de la marque sur le motif à damier de la pourtant célèbre maison Louis Vuitton.

En l’espèce, en 2015, un citoyen polonais avait saisi la division d’annulation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO, à l’époque OHMI) d’une demande en nullité de la marque de l’UE déposée par Louis Vuitton.

La division d’annulation avait fait droit à la demande en annulant la marque, annulation confirmée par la Chambre des recours, considérant que le motif à damier ne constituait pas un caractère distinctif intrinsèque, ni qu’il avait été acquis par l’usage, dès lors que Louis Vuitton ne rapportait pas la preuve de cette acquisition dans six pays de l’UE (en l’occurrence six pays d’Europe de l’Est). Le TUE a validé ce raisonnement, et ainsi, confirmé l’annulation de la marque de Louis Vuitton.

Il a considéré d’une part, que « le motif à damier est un motif figuratif basique et banal,(…) (il) ne comporte ainsi aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de damiers et coïncide avec le modèle traditionnel d’un tel motif », le rendant donc dénué de toute distinctivité intrinsèque et d’autre part, que le caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque « doit être démontré dans l’ensemble de ce territoire, et non seulement dans une partie substantielle ou la majorité du territoire de l’Union », ce qui n’est pas le cas ici.

Cette décision n’est pas étonnante, l’EUIPO apprécie de manière très stricte l’acquisition du caractère distinctif d’une marque de l’UE par l’usage.

Source :

TUE, 19 oct. 2022, aff. T-275/21, Louis Vuitton Malletier c./ Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

Référence de l’image : Marque internationale n°986207 déposée par Louis Vuitton Malletier (Data.inpi.fr)

Déchéance partielle d’une marque : nom patronymique et usage trompeur

Déchéance partielle d’une marque : nom patronymique et usage trompeur

Dans un arrêt du 12 octobre 2022, la Cour d’appel de Paris a prononcé la déchéance partielle de marques patronymiques en raison de l’usage trompeur fait par leur titulaire. La Cour a également jugé que la garantie d’éviction ne rend pas irrecevable la demande reconventionnelle en déchéance par le cédant.

En l’espèce le créateur Jean-Charles Castelbajac avait cédé les marques JC de CASTELBAJAC et JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC à la société PMJC. Cette dernière l’a attaqué pour contrefaçon car le créateur utilise aujourd’hui son nom patronymique pour promouvoir son activité, notamment sur son site internet.

La Cour a jugé que le créateur usait simplement de sa liberté de présenter ses activités sous son nom et avec sa signature et qu’aucun acte de contrefaçon n’était caractérisé.

En revanche, la Cour a partiellement donné raison à monsieur Castelbajac, qui avait formé une demande reconventionnelle en déchéance de ces marques pour usage trompeur. En effet il reprochait entre autres, à la société PMJC d’induire les consommateurs en erreur, en leur faisant croire que les produits commercialisés sous ces deux marques avaient été conçus par lui ou sous sa direction artistique, alors que ce n’était pas le cas.

Si cette décision est en faveur du créateur, la Cour de Cassation pourrait être saisie d’un pourvoi et donner une interprétation différente concernant la déchéance d’une marque patronymique devenue trompeuse du fait de son titulaire.

Cette décision fait écho aux célèbres jurisprudences en la matière : Ines de la Fressange, Cass. com., 31 janv.2006 et Bordas, Cass. com., 12 mars 1985.

Source :

Déchéance partielle de marques composées du nom patronymique d’un créateur en raison de l’usage trompeur par leur cessionnaire | INPI PIBD ;

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 12/10/22, 20/11628 (M20220269) PMJC SAS c. Jean-Charles C, LouisMarie C et Castelbajac Creative SAS (inpi.fr)

RSE des entreprises : un nouveau code de gouvernement de l’Afep-Medef

RSE des entreprises : un nouveau code de gouvernement de l’Afep-Medef

L’Afep-Medef s’est doté, en décembre 2022, d’un nouveau Code de gouvernance plaçant la stratégie RSE, notamment en matière climatique, au cœur des missions des Conseils d’administration.

La stratégie RSE : une mission essentielle du Conseil d’administration

Le code s’enrichit ainsi d’une nouvelle recommandation, intitulée « Le conseil d’administration et la responsabilité sociale et environnementale ».

Il appartiendra désormais au Conseil d’administration de déterminer les orientations stratégiques pluriannuelles en matière de RSE et à la direction de l’entreprise de présenter les modalités de mise en œuvre de cette stratégie avec un plan d’action et l’horizon de temps dans lequel ces actions seront menées.

Les dirigeants devront informer annuellement le Conseil d’administration des résultats obtenus au dans le cadre de la stratégie RSE préalablement définie.

En matière climatique, cette stratégie devra identifier des objectifs précis, selon des échelles de temps. Les résultats obtenus devront être examinés annuellement par le Conseil d’administration, qui pourra adapter les objectifs et les actions en fonction de l’évolution des technologies et de la situation de l’entreprise ainsi que de ses capacités à mettre en œuvre les mesures préconisées.  

La stratégie et les actions engagées devront être présentés aux actionnaires, au moins tous les trois ans, lors d’une assemblée générale ordinaire.

Assortie d’une formation spécifique aux enjeux climatiques

Afin de faciliter la mise en place d’une stratégie RSE et conformément à la pratique soulignée par l’AMF(Autorité des Marchés Financiers) dans son rapport 2022, le nouveau code de gouvernance Afep-Medef  préconise que ces sujets soient examinés en amont du conseil d’administration, par des comités spécialisés (Comités RSE), dont la composition est librement définie par les entreprises.

De plus, la formation complémentaire des administrateurs à la RSE devra comporter un volet spécifiquement dédié aux enjeux climatiques.

Qui devra être intégrée dans la rémunération des dirigeants

D’après le communiqué de presse de l’Afep-Medef, l’intégration, dans la détermination de la rémunération des dirigeants, de critères RSE précis et reflétant les enjeux sociaux et économiques les plus importants pour l’entreprise constituerait un levier puissant pour porter ces préoccupations au premier plan.

Les critères quantifiables doivent être privilégiés et l’un d’entre eux au moins doit être lié aux objectifs climatiques de l’entreprise.

A titre d’exemple, et comme le souligne l’AMF, l’indicateur quantifiable peut être fondé sur le taux de réduction des émissions carbone résultant de l’activité de la société par employé.

Une simple référence à l’application d’une politique RSE ou à des enjeux généraux est insuffisante.

Et mise en place rapidement

Face aux enjeux et même si ces nouvelles recommandations ne s’appliqueront qu’aux assemblées statuant sur les comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2023 (en pratique les assemblées tenues en 2024), l’Afep et le Medef recommandent aux Conseils d’administration de faire leurs meilleurs efforts pour les appliquer immédiatement.

Sources :

Code de gouvernance Afep-Medef décembre 2022 www.medef.com

Rapport AMF 2022

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