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Énergies renouvelables et espèces protégées : le Conseil d’État s’en remet aux juges du fond

par | 16 Avr 2021

Par deux décisions rendues le 15 avril 2021 (n°432158 ; n°430500), le Conseil d’État (6ème et 5èmes chambres réunies) se prononce sur l’intérêt public permettant de justifier qu’une installation de production d’énergie renouvelable entraîne la destruction d’espèces protégées.

Ces décisions s’inscrivent dans une ligne jurisprudentielle ouverte par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 4 mars 2021 renforçant la protection des espèces protégées et généralisant la procédure de dérogation en cas de destruction, même involontaire.

En s’en remettant à l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond s’agissant du critère de l’intérêt public majeur, qui semblent essentiellement prendre en considération la quantité d’énergie renouvelable produite, le Conseil d’État adopte de son côté une position qui, bien que prudente, pourrait au cas par cas désavantager les sources de production d’énergie en plus petite quantité et inciter, paradoxalement, à concentrer les risques d’atteinte aux espèces protégées sur les plus gros projets.

Contexte :

Les arrêts du Conseil d’État du 15 avril 2021 relèvent de deux dossiers distincts mais semblables : il s’agit de projet d’installations de production d’énergie renouvelables (centrale hydro-électrique dans le département du Tarn – req. n°432158  et parc éolien dans le département du Morbihan – req. n°430500) entraînant à chaque fois la destruction involontaire d’espèces ou d’habitats protégés.

Au regard des impacts sur la biodiversité, les préfets compétents ont délivré aux sociétés exploitantes une dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées. Pour rappel, l’article L.411-2 du code de l’environnement prévoit qu’un projet susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat peut être autorisé à titre dérogatoire, dès lors qu’il répond notamment à̀ une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Procédure :

Dans chacune de ces deux affaires, des riverains et des associations de défense de l’environnement et des paysages ont saisi, respectivement, les tribunaux administratifs de Toulouse et de Rennes, d’une demande d’annulation des dérogations.

Dans le cas du projet de parc éolien, le tribunal a fait droit à la requête. Néanmoins, la cour administrative d’appel de Nantes a finalement validé la dérogation accordée.

Dans le cas de la centrale hydro-électrique, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande d’annulation. Au contraire, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement ainsi que l’arrêté préfectoral attaqué, au motif que la dérogation accordée n’était pas justifiée.

Analyse juridique :

Dans ces deux décisions, pour apprécier si le projet répond au critère de l’intérêt public majeur (c’est-à-dire une des conditions permettant, par exception, de détruire des espèces protégées), le Conseil d’Etat s’en remet à l’appréciation souveraine des faits de l’espèce par les cours administratives d’appel, et se limite à en contrôler la dénaturation.

La Haute Assemblée constate que chacune des Cour a, dans son affaire, étudié la réalité de la contribution du projet projeté à la réduction des gaz à effet de serre, à la lutte contre le réchauffement climatique, et ainsi caractérisé son importance au regard des enjeux en termes d’approvisionnement local, régional et national en énergies renouvelables. Puis, que les Cour ont concluent si cette importance dans le dispositif de développement des énergies renouvelables constitue une raison d’intérêt public majeur pouvant être mise en balance avec les atteintes aux espèces et habitats naturels de chacun des projets.

Parc éolien : Dans cette affaire, le Conseil d’État confirme les arrêts de la cour administrative d’appel de Nantes ayant validé l’autorisation du projet délivrée par le préfet (CAA Nantes, 5 mars 2019, n°17NT02791 et 17NT02794). La Cour ayant notamment relevé que le parc éolien en litige contribuait, par sa puissance de plus de 51 MW, à la réalisation des objectifs[1] de réduction de l’émission des gaz à effet de serre et à la lutte contre le réchauffement climatique, ainsi qu’à accroître la production d’énergie renouvelable, en permettant l’approvisionnement en électricité de quelques 50 000 personnes, quand bien même le projet relève d’une entreprise privée. Compte tenu de ces éléments, la cour a conclu que « les dérogations litigieuses doivent être regardées comme répondant à des motifs impératifs d’intérêt public majeur ».

Centrale hydro-électrique : Dans cette seconde affaire, le Conseil d’État confirme également l’arrêt de la Cour administrative d’appel (CAA Bordeaux, 30 avril 2019, n°17BX01426). Cependant, cette fois-ci, la Cour avait annulé l’arrêté préfectoral autorisant la dérogation en retenant que le projet ne répondait pas à une RIIPM, dès lors que « sa faible importance » empêchait qu’il puisse être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l’Etat dans le développement des énergies renouvelables, et n’était ainsi pas de nature à modifier sensiblement l’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national.

Critères de la dérogation : Dans les deux décisions, le Conseil d’État rappelle la portée et les conditions cumulatives de l’article L.411-1 du code de l’environnement, en énonçant que, dans le cas où un projet répond à une RIIPM, il ne peut être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si par ailleurs il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Notion d’intérêt public majeur

Dans un autre arrêt du 3 juin 2020 (CE, 3 juin 2020, n°425395), le Conseil d’Etat (5ème et 6ème chambres réunies) a défini des critères de définition de la RIIPM justifiant la réalisation d’un projet, et précisé que l’intérêt de nature à justifier une dérogation « espèces protégées » « doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation ». Dans ses conclusions, le rapporteur public a explicité le raisonnement que devait suivre le juge et énoncé que cette analyse ne procède pas d’un « réel bilan, au sens de la jurisprudence Ville Nouvelle Est, ni d’une mise en œuvre du principe de proportionnalité (…) mais seulement de la nécessité que cet intérêt soit suffisamment caractérisé au regard de l’objectif de conservation pour permettre une dérogation. Ce n’est qu’après avoir caractérisé la raison impérative d’intérêt public majeur que les atteintes portées aux espèces seront précisément prises en compte, au regard des mesures de réduction et de compensation prévues ».

Les cours administratives d’appel ayant rendu des arrêts sur ce fondement depuis lors ont procédé selon le raisonnement énoncé. En voici deux autres exemples :

– Au sujet d’un parc éolien offshore d’une capacité de production de 496 MW, la cour a relevé que « le parc éolien en litige permettra de couvrir environ 8 % de la consommation de la région Normandie et 4 % de la région des Hauts de France et de répondre aux engagements énergétiques européens, nationaux et régionaux, comme le « paquet énergie-climat » 2020 adopté par le parlement européen en 2008 avec l’objectif de 23 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2030, le Grenelle de l’environnement de 2007 et la COP21 ainsi que l’accord de Paris du 12 décembre 2015 », et conclut que le projet répond ainsi à une raison impérative d’intérêt public majeur (CAA Nantes, 6 oct. 2020, n°19NT01714, 19NT02501, 19NT02520).

– A contrario, lorsque l’examen in concreto révèle que la participation du projet à la production d’EnR demeure modeste, ce dernier ne participant « qu’à hauteur de 1,5 % à la réalisation des objectifs régionaux en cette matière », et qu’il n’est pas démontré qu’existerait un déséquilibre en matière de diversification des sources de productions d’énergies dans le département, le juge conclut à l’absence de RIIPM (CAA Marseille, 24 janvier 2020, n°18MA04972).

Bilan :

En définitive, bien que le juge semble chercher à ne pas exercer un contrôle de proportionnalité en la matière, on peut constater que son contrôle sur la satisfaction de la condition d’intérêt public majeur (RIIPM) est ramené à la quantité d’énergie produite par le projet (comptabilisée en megawatts) ainsi qu’à sa contribution en pourcentage aux objectifs régionaux.

Une grille d’appréciation défendable mais qui pourrait s’avérer insatisfaisante si elle avait pour effet domino de désavantager les « petits » projets ou les sources de production d’énergie moins significatives (donc peut être de hiérarchiser l’éolien, le solaire, l’hydro…) et d’inciter paradoxalement à concentrer les risques d’atteinte aux espèces protégées sur des plus gros projets (donc paradoxalement théoriquement plus impactant).

Carl Enckell & Marie Breton – Enckell Avocats

[1] art. 19 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ; art. L. 100-4 du code de l’énergie ; recommandations du Conseil européen du 4 février 2011 ; pacte électrique signé le 14 décembre 2010 entre l’Etat, le conseil régional de Bretagne, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le réseau de transport de l’électricité (RTE) et l’agence nationale de l’habitat (ANAH).

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Par deux jugements du 3 décembre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les recours dirigés contre un projet de centrale solaire de 20 MW situé en région Nouvelle Aquitaine (TA Limoges, 3 décembre 2024, 2101881, 2101882 et 2101873). Le développeur du projet était défendu par le cabinet Altes.

Le tribunal a jugé que le projet respectait la réglementation locale d’urbanisme (1) et qu’il n’engendrait pas d’impact environnemental ou paysager (2).

1/ La centrale solaire respecte la réglementation d’urbanisme

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le préfet est compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les ouvrages de production d’énergie (art. L422-2, b. du code de l’urbanisme). Parallèlement, la commune ou l’intercommunalité est compétente pour fixer la réglementation d’urbanisme.

1.1. Pas d’illégalité du PLU

Les requérants invoquaient l’« exception d’illégalité » de la règle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune autorisant des « constructions industrielles concourant à la production d’énergie (centrale solaire PV…) » dans un secteur dédié aux activités sportives, touristiques et de loisir.

Le juge a écarté ce moyen en considérant que le développement des énergies renouvelables n’était pas incompatible avec la promotion de ces activités.

1.2. Pas d’obligation de sursis à statuer en attendant le nouveau PLU en cours d’élaboration

Les requérants reprochaient au préfet de ne pas avoir sursis à statuer sur la demande de permis. Cette possibilité prévue par le code de l’urbanisme (articles L. 153-11 et L. 424-1), concerne le cas où un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’utilisation ou non de cette faculté, limitée à l’erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens CE, 26 janv. 1979, n° 01485).

Le tribunal juge sur ce point que le seul projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du futur PLU ne justifiait pas un sursis à statuer au regard de son contenu : « eu égard à leur portée et à leur caractère général et en l’absence de zonage les concrétisant, les orientations précitées du PADD ne peuvent être regardées comme traduisant un état d’avancement du projet de plan local d’urbanisme suffisant à fonder une décision de sursis, compte tenu de la localisation du projet en litige ».

Il a sur ce point confirmé la jurisprudence selon laquelle un sursis ne peut être pris que si le projet de PLU forme une quasi-norme, formalisée et décantée (voir en ce sens CE, 9 déc. 1988, n° 68286 ; CE, 21 avril 2021, n°437599, conclusions du RP ; et aussi par ex. CAA Bordeaux, 9 juill. 2020, n° 19BX00571). Ainsi, l’exécution du PADD n’étant pas compromise ou rendue plus onéreuse, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

2/ La centrale solaire n’emporte aucun impact environnemental ou paysager sur le golf voisin

Les requérants contestaient enfin les impacts du projet sur l’environnement (art. R. 111-26 du code de l’urbanisme). Cependant, le tribunal juge que la localisation du projet dans une zone agricole non artificialisée ne permet pas d’établir des atteintes à l’environnement.

Les autres impacts présumés sur le paysage (art. R. 111-27), notamment un impact visuel sur un golf voisin, des risques liées aux retombées de balles, des impacts sur le drainage du terrain, ainsi qu’une dépréciation de la valeur du golf ne sont pas matériellement démontrés, d’autant plus que le projet répond efficacement à chacun de ces présumés impacts, notamment grâce à la topographie et des mesures d’insertion.

Ces jugements constituent un signal encourageant pour le développement des énergies renouvelables, même dans un contexte local parfois éprouvant. Ils démontrent également l’importance de la coordination entre le préfet et la commune dans le processus de délivrance des permis des installations de production d’énergie. Ainsi que, au besoin, l’utilité d’un accompagnement juridique des promoteurs pour limiter le risque d’annulation.

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

La procédure dite de régularisation « dans le prétoire » a été inscrite au code de l’environnement en 2017 pour faire aboutir des projets industriels et d’énergies renouvelables (notamment parcs éoliens) malgré des recours en justice. En pratique, elle peut durer et demeurer aléatoire. Cette décision démontre l’efficacité du dispositif, y compris si l’Etat, après avoir accordé une autorisation illégale, refuse in fine de la régulariser. En octroyant la régularisation malgré le refus du préfet, le juge se comporte comme un administrateur et se substitue à l’inertie de l’Etat.

En l’espèce, suite à un recours dirigé contre l’autorisation environnementale d’un projet éolien, le juge administratif avait pris un sursis à statuer (SAS) dans l’attente de sa régularisation. Deux ans plus tard, la société n’avait toujours pas obtenu l’arrêté préfectoral nécessaire à la continuité de son projet. Finalement, la Cour administrative d’appel de Douai délivre elle-même la régularisation attendue, après avoir jugé que l’inertie de l’administration était illégale (CAA Douai, 29 août 2024, 24DA00695).

1/ Une innovation prétorienne

Le recours direct contre un refus de régularisation est possible. Un refus tacite de régularisation est un acte administratif faisant grief, de sorte qu’il peut faire l’objet d’un recours. La particularité est l’articulation de ce recours mené par la société porteur du projet éolien, avec celui entamé initialement par les opposants contestant ledit projet.

Les opposants ont demandé l’annulation de l’arrêté d’autorisation environnementale alors que la société demande, quatre ans plus tard, l’annulation du refus de régulariser la même autorisation environnementale. Suivant les conclusions de sa rapporteure publique, la Cour juge que ce nouveau recours implique un recours distinct (voir en ce sens CE, 9 novembre 2021, Sté Lucien Viseur req. 440028 B), n’y reconnaissant que le statut d’observateur aux opposants.

La rapporteure publique recommande également aux juges d’examiner la légalité du refus de régularisation avant de poursuivre l’instance dirigée contre l’autorisation initiale suspendue.

Le silence opposé par le préfet à une demande de régularisation vaut refus. En l’espèce, le préfet n’avait pas explicitement refusé la demande de la société mais s’était contenté de rester silencieux.

Pour conclure que cette inertie équivaut à un refus, la Cour se base sur le délai du droit commun énoncé à l’article L.231-1 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, le principe est que silence gardé par l’administration (deux mois après la demande) vaut acceptation. Par exception, le silence vaut refus dans certains cas, tel que la demande d’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental (annexe du décret 2014-1273 du 30 octobre 2014).

La Cour juge que la demande de la société tendant à la délivrance d’une autorisation modificative, « devait conduire le préfet à apprécier s’il impliquait une modification substantielle ou seulement notable du projet autorisé. Dans la mesure où, d’une part, l’une ou l’autre de ces modifications était susceptible de justifier soit une nouvelle étude d’impact, soit une modification de l’étude d’impact et où, d’autre part, l’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental déroge au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation » (considérant 11). Une décision tacite est donc née, mais elle vaut refus. En outre, une décision tacite de refus est par principe illégale dans la mesure où elle n’est pas motivée.

Un nouvel exemple du juge administrateur. Le juge n’a pas régularisé l’acte spontanément. C’est seulement au vu de la durée de la procédure de régularisation et de l’inertie de l’administration qu’il fait usage de ses pouvoirs de plein contentieux et se substitue à l’administration pour permettre à la continuité du projet. La rapporteure publique souligne que reconnaître cette action est le seul moyen de combattre la tendance de l’administration de refuser de statuer expressément sur certains projets éoliens.

Ainsi, la Cour précise que « [le juge administratif] a, en particulier, le pouvoir d’annuler la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé l’autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d’accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu’il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions » (considérant 31). La formulation de ce considérant de principe laisse entendre que le juge peut régulariser ou compléter la procédure, avant d’accorder lui-même l’autorisation.

2/ Comment procéder lorsque la procédure de régularisation n’aboutit pas ?

La procédure ordinaire : classique mais robuste. Dans le cas où l’acte est susceptible d’être régularisé, le juge sursoit à statuer en fixant un délai pour l’administration (article L. 181-18, I, 2° du code de l’environnement).

Le recours des tiers dirigé contre l’autorisation est alors suspendue jusqu’à ce que le préfet statue sur la mesure de régularisation. De plus, le Conseil d’Etat a précisé, dans un avis contentieux, que le juge doit user de ses pouvoirs de régularisation lorsque les conditions en sont réunies à le faire (CE, avis contentieux, 10 novembre 2023, n° 474431). La régularisation est donc devenue le principe, et non pas une simple faculté.

Enfin, le dépassement éventuel du délai fixé par le juge pour mener la procédure de régularisation ne constitue pas une entrave (Voir en ce sens CE, 16 février 2022, Société MSE la Tombelle, req. 420554, 420575  à propos de la régularisation d’un permis de construire selon l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, « [le juge administratif] ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu’il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué »).

La procédure finalisée par le juge : une exception. Le juge a certes l’obligation de sursoir à statuer en l’attente de l’acte de régularisation. Mais si celui-ci tarde à arriver, en raison d’un blocage du préfet, comment agir ?

En suivant l’exemple du cas d’espèce, le porteur du projet, doit d’abord procéder aux formalités qui lui incombent nécessaires pour régulariser les vices constatés (par ex. mise à jour du dossier).

Il doit ensuite demander à l’administration, au besoin après qu’elle ait finalisé les formalités à même de régulariser l’autorisation illégale (par ex. demande d’avis ou enquête publique complémentaire) de délivrer une autorisation modificatrice, à savoir un arrêté préfectoral complémentaire portant régularisation.

Si l’administration refuse explicitement ou ne répond pas, le porteur de projet peut saisir le juge pour contester cette décision. Si la décision préfectorale de refus est jugée illégale, c’est le juge qui accordera – le cas échéant après avoir régularisé ou complété la procédure – lui-même l’autorisation aux conditions qu’il fixe.

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