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Le livre Blanc de l’économie circulaire du Grand Paris : mieux que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ?

par | 15 Sep 2015

 

États Généraux de l’Économie Circulaire du Grand Paris, livre blanc,oi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, Enckell Avocats, Grand Paris, BTP, Le Livre Blanc de l’Économie Circulaire du Grand Paris, commande publique, déchets, recylage, réemploi, bâtiments durables,  La Ville de Paris a organisé, avec différentes collectivités franciliennes et le soutien de l’ADEME Ile de France ainsi que de l’Institut de l’Économie circulaire, des États Généraux de l’Économie Circulaire du Grand Paris.

Ils ont eu vocation, entre mars et septembre 2015, à rassemblée des acteurs de différents horizons (administrations, entreprises, associations, ONG, monde académique, recherche…) autour de la dynamique et des enjeux de l’économie circulaire pour le Grand Paris.

Concrètement, sept groupes de travail ont été constitués et ont réunis 240 participants représentants 120 structures différentes (dont le cabinet Enckell Avocats) sur les thématiques suivantes :

GT n° 1 : Alimentation, de l’agriculture urbaine aux biodéchets

GT n° 2 : Aménagement, de l’écoconception au chantier vert

GT n° 3 : Nouvelles économies, fonctionnalité et réemploi

GT n° 4 : De l’éco-conception à la fin de vie, les produits à durée de vie courte (les produits de consommation courante)

GT n° 5 : De l’éco-conception à la fin de vie, les produits à durée de vie moyenne ou longue (les équipements)

GT n° 6 : Valorisation des énergies de récupération

GT n° 7 : Écologie industrielle et territoriale

J’ai été invité à participer au GT n° 2 consacré à l’Aménagement, de l’éco-conception au chantier vert.

Au terme de cette démarche, il convient de saluer la qualité du travail réalisé carles propositions émises, aussi bien au sein des groupes de travail que dans le Livre Blanc qui en fait la synthèse sont de très bon niveau.

Ces propositions vont même au-delà de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, dans le cadre de laquelle plusieurs amendements similaires n’ont pas été adoptés.

Toutes les propositions du Livre Blanc n’ont bien entendu pas vocation à être mises en œuvre. Elles témoignent en revanche de l’efficacité de la démarche, associant société civile et acteurs territoriaux dans une logique d’intelligence collective et d’indépendance d’esprit.

Le Livre Blanc peut être consulté ICI.

Vous trouverez ci-après notre analyse des propositions les plus notables.

I. Le Livre Blanc de l’Économie Circulaire du Grand Paris

Les contributions des participants aux ateliers ont permis de dégager 65 propositions d’actions regroupées en sept axes.

–       inciter et de soutenir les acteurs économiques

–       innover et expérimenter

–       changer d’échelle

–       changer les mentalités

–       impliquer collectivités entreprises et citoyens

–       mettre les acteurs en réseau

–       faire évoluer la réglementation

Le Livre Blanc peut être consulté ICI.

a. Les propositions du Livre Blanc sur la commande publique

Nous avons tout particulièrement relevé les propositions d’actions suivantes concernant la commande publique.

« I.1 Introduire et donner du poids aux clauses d’économie circulaire dans les marchés publics 

Seuls 6,7 % des marchés publics passés en 2013 comportent une clause environnementale (pour les marchés de 90 000 € HT et plus)3. Les clauses environnementales existantes sont généralement perçues comme complexes, et il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’indicateurs objectifs précis pour des clauses propres à l’économie circulaire. Le Grand Paris, en lien avec différents partenaires (ADEME, ARENE, Groupe des acheteurs publics responsables, etc.), pourrait développer des clauses incitatives et valoriser les projets qui les auront intégrées. Seraient considérés dans ces clauses à la fois des aspects amont (écoconception, phase d’utilisation des produits) et des aspects aval (réemploi, fin de vie des produits). 

I.2 Augmenter la part des produits éco-conçus dans les achats publics 

Alors qu’il existe des labels permettant d’identifier les produits les plus respectueux de l’environnement, ceux-ci sont peu utilisés par les acheteurs publics dans leurs cahiers des charges. L’objectif serait d’augmenter dans un premier temps la part des produits et services éco-conçus dans les achats publics, avant de rendre systématique l’achat de ces produits et services4. Dans le sillage de la circulaire « État exemplaire » publiée lors du Grenelle de l’Environnement, et du Plan national d’action pour les achats publics durables 2015 – 2020, le Grand Paris pourrait être pilote d’actions qui seraient étendues par la suite à la France entière, à condition d’y attacher une volonté forte et des échéances claires. Dans certains cas, une réflexion est à engager pour passer de l’acquisition d’un produit à l’achat d’un service. 

I.3 Développer une logique d’économie de la fonctionnalité dans les marchés publics 

Au moment de rédiger un cahier des charges dans le cadre d’appel d’offres, les acheteurs publics pourraient davantage s’interroger sur leur besoin réel et le résultat qu’ils souhaitent atteindre : la logique d’achat de service pourrait ainsi se substituer à celle d’acquisition de biens (on passerait du bien vendu au service rendu). Les entreprises sont concernées, au même titre, par ce changement de pratique. Elles sont aussi appelées à développer des offres plus globales, qui proposeraient un service plutôt qu’un bien, ou a minima le réemploi d’un bien en fin de vie. Une telle approche d’analyse de cycle de vie permettrait de réduire l’impact environnemental des prestations offertes (à résultat identique), tout en préservant dans bien des cas l’emploi local. 

L’impact budgétaire pour les collectivités serait à apprécier au cas par cas, en comparant les dépenses d’investissement et de fonctionnement. Et pour avancer dans la voie d’une économie de fonctionnalité, la formation des prescripteurs semble un préalable nécessaire, de même qu’un soutien juridique vis-à-vis du droit des marchés publics et de la concurrence pour les acteurs publics. S’appuyer sur un « Club des acheteurs responsables » enclencherait une dynamique et permettrait éventuellement de développer des commandes groupées pour faire émerger de nouvelles filières ». 

b. Les propositions du Livre Blanc sur les produits et déchets

D’autres propositions visent à agir sur les produits et les déchets, y compris au travers de la TGAP ou de la TVA, avec, par exemple, comme proposition originale d’abaisser la TVA des produits réparés ou réalisés avec des matériaux réemployés, recyclés ou biosourcés (voir en ce sens nos propositions dans Environnement Magazine) :

« I.4 Inciter à l’écoconception des produits 

L’écoconception n’est aujourd’hui un réflexe ni pour les producteurs, ni pour les consommateurs. La fabrication de produits respectueux de l’environnement tout au long de leur cycle de vie suppose des investissements, que les entreprises ont tendance à reporter sur les consommateurs, pour des produits plutôt haut de gamme, voire de niche. Pour aller dans le sens d’une prise en compte d’un coût global des produits (intégrant leur production, leur utilisation, leur élimination, ainsi que leurs externalités environnementales et sociales), les incitations à l’écoconception pourraient prendre en pratique les formes suivantes : 

• Pour inciter les producteurs à fabriquer des produits éco-conçus, on pourrait réfléchir à un crédit d’impôt (type crédit d’impôt recherche) ou, dans le cadre des filières REP uniquement, à poursuivre les efforts dans le sens d’une modulation du barème de l’éco-contribution (incitation à fabriquer des produits recyclables par exemple) ; 

• Pour inciter les consommateurs à acheter des produits éco-conçus, plusieurs pistes sont envisageables (relance de l’étiquetage environnemental des produits, crédit d’impôt « achat vert » ou prêt à taux zéro pour les biens les plus coûteux, TVA réduite, taxe carbone, etc 

I.5 Moduler et territorialiser progressivement la TGAP en rendant de plus en plus dissuasifs le stockage et l’incinération des déchets 

Derniers modes de traitement dans la hiérarchie européenne de gestion des déchets, l’incinération (sans valorisation énergétique) et le stockage présentent entre autres l’inconvénient de créer moins d’emplois que les activités de valorisation des déchets. De plus, il peut exister des phénomènes de saturation d’exutoires locaux, moyennant quoi les déchets sont parfois transportés sur de longues distances. 

Or le cadre réglementaire actuel n’est pas réellement dissuasif vis-à-vis de l’incinération et du stockage des déchets ; il ne pousse pas à une meilleure valorisation des déchets, qui serait aussi plus locale. Par exemple, la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) varie, non pas en fonction du volume de déchets incinérés ou stockés, mais selon les catégories d’activité et de produit. Pour moduler et territorialiser la TGAP, et valoriser localement les déchets produits, la piste suivante serait à étudier : augmenter la TGAP dans les zones de surcapacité en incinération et stockage, pour éviter de drainer des déchets venant de l’extérieur du territoire. 

L’échelle de territoire adéquate serait à déterminer par les futurs porteurs de l’initiative (communes, communautés de communes, etc.), sachant qu’une évolution du mode de calcul de la TGAP impliquerait une évolution législative au niveau national. 

 (…)  I.7 Avancer sur l’incitation au don en nature et le soutien aux produits réparés 

Les invendus des entreprises sont encore souvent détruits, ou laissés aux grossistes ; et en règle générale, les fabricants ou les distributeurs ne cherchent pas à réparer les produits présentant un (léger) défaut. Cette proposition d’action a pour objectif de lever les freins actuels au don des produits pour réemploi et réparation. Les entreprises devraient être davantage incitées à travailler avec les acteurs de la seconde vie des produits, de façon à sortir d’une logique de déchets. L’incitation pourrait être fiscale, avec à titre d’exemples : 

• L’augmentation de la part de défiscalisation sur le don en nature des invendus (de 60 % à 80 % par exemple) ; 

• L’abaissement de la TVA des produits réparés ; 

• La reconnaissance à certaines associations environnementales d’un statut qui offrirait des avantages fiscaux aux entreprises qui leur donnent. 

Le Grand Paris pourrait porter ces messages à l’échelle nationale, avant même qu’ils ne soient relayés à l’échelle européenne »

c. Les propositions du Livre Blanc sur les bâtiments et les énergies

« I.9 Développer de nouveaux modèles économiques pour une construction durable 

L’approche économique actuelle, fondée sur une valeur économique qui n’intègre pas les externalités environnementales et sociales, freine en partie l’émergence des initiatives de construction dans l’esprit de l’économie circulaire. Le Grand Paris pourrait porter une première phase de création et de test d’un logiciel d’analyse économique, pour comparer deux versions d’un même projet de construction, l’une basée sur l’approche linéaire et l’autre sur l’approche circulaire. Des leviers fiscaux pourraient également être mobilisés, comme l’exonération de TVA pour des matériaux réemployés, recyclés ou biosourcés, l’octroi d’un bonus en surface pour les projets de construction circulaire, ou l’évolution d’un dispositif d’investissement immobilier, sur la base d’un label Économie Circulaire reconnu (du « Pinel BBC » au « Pinel EC »). En règle générale, ces leviers devront préférer les obligations de résultats aux obligations de moyens, de façon à ne pas freiner l’innovation. 

 (…) II.5 Expérimenter de nouvelles pratiques de maîtrise d’ouvrage publique pour bâtir en économie circulaire 

Aujourd’hui, il est souvent plus facile de faire du neuf avec des nouveaux matériaux, que de rénover de l’ancien avec des matériaux recyclés. À terme, on pourrait imaginer de changer les règles d’obtention des permis de construire, en fonction de critères d’économie circulaire. Dans l’intervalle, le Grand Paris pourrait être moteur de l’initiative et lancer des projets publics pilotes pour la déconstruction sélective, le réemploi des matériaux de chantier, l’utilisation de matériaux recyclés ou biosourcés, etc. Un portage politique fort serait le garant d’un soutien aux expérimentations menées.  »

d. Les propositions du Livre Blanc sur l’évolution de la réglementation

« (…) VII.4 Privilégier la rénovation plutôt que la démolition

Il arrive que des bâtiments bien construits et encore en bon état soient démolis, au profit d’une construction neuve consommatrice de ressources et génératrice de nuisances pour le voisinage. Une alternative consisterait à systématiser l’étude des scénarios de rénovation, par rapport aux scénarios de démolition et reconstruction (quels impacts financiers, sociaux, environnementaux). Un tiers de confiance pourrait porter l’étude d’opportunité d’une rénovation au standard du neuf. Le Grand Paris aurait un rôle à jouer dans la promotion de la rénovation, en expérimentant a minima une communication à destination des maîtres d’ouvrage : « Pensez à rénover » ; ou de façon plus ambitieuse en imposant avant chaque démolition l’étude d’un scénario rénovation.

VII.5 Diagnostiquer les ressources, trier et valoriser les déchets de chantier

Aujourd’hui, un diagnostic déchets est imposé par la réglementation avant toute démolition d’un bâtiment de plus de 1 000 m.. Cependant, ce diagnostic n’est pas réalisé dans une optique de meilleure gestion des ressources, et il reste facultatif dans le secteur des travaux publics. L’objectif serait de rendre obligatoire un diagnostic sérieux, quel que soit le type et l’ampleur du chantier, pour favoriser le réemploi des matériaux de construction et réduire le coût des opérations. Les matériaux identifiés pourraient être réutilisés sur site ou alimenter des plateformes de stockage de proximité (plateformes mobiles et modulables). Enfin, les diagnostics réalisés seraient utilement compilés dans une base de données publique répertoriant les ressources disponibles, à mettre en cohérence avec la modélisation des données du bâtiment (BIM».

II. Les propositions spécifiques du groupe de travail n° 2 consacré à l’Aménagement, de l’éco-conception au chantier vert

Le cabinet Enckell Avocats a été invité à participer au GT n° 2 consacré à l’Aménagement, de l’éco-conception au chantier vert, animé par BIO by Deloitte et auxilia (et avec la participation d’une quarantaine de structures telles que l’ADEME, le collectif BELLASTOCK, Bouygues, la Communauté d’Agglomération Plaine Commune, le Conseil Général du Val de Marne, la DRIEE, l’Agence Encore Heureux, la FFB, HESUS, Lafarge, Paris Habitat, la Société du Grand Paris, l’UNICEM VNF, Yprema …).

Les actions proposées par ce groupe de travail pluridisciplinaire ont été très riches et diversifiées, telles que :

– Diagnostiquer les ressources pour développer le réemploi/recyclage des matériaux (rendre le diagnostic contraignant ?).

– Faire évoluer les référentiels normatifs dans la construction pour inciter à travers la commande publique à l’usage des matériaux recyclés

– Faire évoluer les référentiels normatifs pour structurer de nouvelles filières de nouveaux matériaux

–       Sensibiliser les élus et décideurs aux grands enjeux, aux besoins d’aménager autrement et aux bonnes pratiques

– Cartographier les sites pouvant servir de zone de stockage de proximité

– Valoriser les déchets de chantier triés

– Proposer du foncier pour des zones de stockage de proximité

– Intégrer des modules « aménager autrement, construction durable » dans la formation des architectes

– Imposer un taux minimum de recyclable des ouvrages

– Introduire des clauses environnementales et sociales sur l’aval ET l’amont des projets + donner davantage de poids à des critères dans les marchés

– Former les services de la commande publique et les services techniques au suivi des marchés

– Privilégier le territoire et la proximité

Certaines de ces mesures ont vocation à concerner la France entière et pas seulement le Grand Paris. C’est sans doute la raison pour laquelle elles n’ont pas été retenues dans le Livre Blanc.

Elles méritent cependant d’être examinées attentivement dans le cadre des autres travaux de concertations conduits pour promouvoir la filière du BTP durable.

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Par deux jugements du 3 décembre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les recours dirigés contre un projet de centrale solaire de 20 MW situé en région Nouvelle Aquitaine (TA Limoges, 3 décembre 2024, 2101881, 2101882 et 2101873). Le développeur du projet était défendu par le cabinet Altes.

Le tribunal a jugé que le projet respectait la réglementation locale d’urbanisme (1) et qu’il n’engendrait pas d’impact environnemental ou paysager (2).

1/ La centrale solaire respecte la réglementation d’urbanisme

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le préfet est compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les ouvrages de production d’énergie (art. L422-2, b. du code de l’urbanisme). Parallèlement, la commune ou l’intercommunalité est compétente pour fixer la réglementation d’urbanisme.

1.1. Pas d’illégalité du PLU

Les requérants invoquaient l’« exception d’illégalité » de la règle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune autorisant des « constructions industrielles concourant à la production d’énergie (centrale solaire PV…) » dans un secteur dédié aux activités sportives, touristiques et de loisir.

Le juge a écarté ce moyen en considérant que le développement des énergies renouvelables n’était pas incompatible avec la promotion de ces activités.

1.2. Pas d’obligation de sursis à statuer en attendant le nouveau PLU en cours d’élaboration

Les requérants reprochaient au préfet de ne pas avoir sursis à statuer sur la demande de permis. Cette possibilité prévue par le code de l’urbanisme (articles L. 153-11 et L. 424-1), concerne le cas où un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’utilisation ou non de cette faculté, limitée à l’erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens CE, 26 janv. 1979, n° 01485).

Le tribunal juge sur ce point que le seul projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du futur PLU ne justifiait pas un sursis à statuer au regard de son contenu : « eu égard à leur portée et à leur caractère général et en l’absence de zonage les concrétisant, les orientations précitées du PADD ne peuvent être regardées comme traduisant un état d’avancement du projet de plan local d’urbanisme suffisant à fonder une décision de sursis, compte tenu de la localisation du projet en litige ».

Il a sur ce point confirmé la jurisprudence selon laquelle un sursis ne peut être pris que si le projet de PLU forme une quasi-norme, formalisée et décantée (voir en ce sens CE, 9 déc. 1988, n° 68286 ; CE, 21 avril 2021, n°437599, conclusions du RP ; et aussi par ex. CAA Bordeaux, 9 juill. 2020, n° 19BX00571). Ainsi, l’exécution du PADD n’étant pas compromise ou rendue plus onéreuse, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

2/ La centrale solaire n’emporte aucun impact environnemental ou paysager sur le golf voisin

Les requérants contestaient enfin les impacts du projet sur l’environnement (art. R. 111-26 du code de l’urbanisme). Cependant, le tribunal juge que la localisation du projet dans une zone agricole non artificialisée ne permet pas d’établir des atteintes à l’environnement.

Les autres impacts présumés sur le paysage (art. R. 111-27), notamment un impact visuel sur un golf voisin, des risques liées aux retombées de balles, des impacts sur le drainage du terrain, ainsi qu’une dépréciation de la valeur du golf ne sont pas matériellement démontrés, d’autant plus que le projet répond efficacement à chacun de ces présumés impacts, notamment grâce à la topographie et des mesures d’insertion.

Ces jugements constituent un signal encourageant pour le développement des énergies renouvelables, même dans un contexte local parfois éprouvant. Ils démontrent également l’importance de la coordination entre le préfet et la commune dans le processus de délivrance des permis des installations de production d’énergie. Ainsi que, au besoin, l’utilité d’un accompagnement juridique des promoteurs pour limiter le risque d’annulation.

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

La procédure dite de régularisation « dans le prétoire » a été inscrite au code de l’environnement en 2017 pour faire aboutir des projets industriels et d’énergies renouvelables (notamment parcs éoliens) malgré des recours en justice. En pratique, elle peut durer et demeurer aléatoire. Cette décision démontre l’efficacité du dispositif, y compris si l’Etat, après avoir accordé une autorisation illégale, refuse in fine de la régulariser. En octroyant la régularisation malgré le refus du préfet, le juge se comporte comme un administrateur et se substitue à l’inertie de l’Etat.

En l’espèce, suite à un recours dirigé contre l’autorisation environnementale d’un projet éolien, le juge administratif avait pris un sursis à statuer (SAS) dans l’attente de sa régularisation. Deux ans plus tard, la société n’avait toujours pas obtenu l’arrêté préfectoral nécessaire à la continuité de son projet. Finalement, la Cour administrative d’appel de Douai délivre elle-même la régularisation attendue, après avoir jugé que l’inertie de l’administration était illégale (CAA Douai, 29 août 2024, 24DA00695).

1/ Une innovation prétorienne

Le recours direct contre un refus de régularisation est possible. Un refus tacite de régularisation est un acte administratif faisant grief, de sorte qu’il peut faire l’objet d’un recours. La particularité est l’articulation de ce recours mené par la société porteur du projet éolien, avec celui entamé initialement par les opposants contestant ledit projet.

Les opposants ont demandé l’annulation de l’arrêté d’autorisation environnementale alors que la société demande, quatre ans plus tard, l’annulation du refus de régulariser la même autorisation environnementale. Suivant les conclusions de sa rapporteure publique, la Cour juge que ce nouveau recours implique un recours distinct (voir en ce sens CE, 9 novembre 2021, Sté Lucien Viseur req. 440028 B), n’y reconnaissant que le statut d’observateur aux opposants.

La rapporteure publique recommande également aux juges d’examiner la légalité du refus de régularisation avant de poursuivre l’instance dirigée contre l’autorisation initiale suspendue.

Le silence opposé par le préfet à une demande de régularisation vaut refus. En l’espèce, le préfet n’avait pas explicitement refusé la demande de la société mais s’était contenté de rester silencieux.

Pour conclure que cette inertie équivaut à un refus, la Cour se base sur le délai du droit commun énoncé à l’article L.231-1 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, le principe est que silence gardé par l’administration (deux mois après la demande) vaut acceptation. Par exception, le silence vaut refus dans certains cas, tel que la demande d’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental (annexe du décret 2014-1273 du 30 octobre 2014).

La Cour juge que la demande de la société tendant à la délivrance d’une autorisation modificative, « devait conduire le préfet à apprécier s’il impliquait une modification substantielle ou seulement notable du projet autorisé. Dans la mesure où, d’une part, l’une ou l’autre de ces modifications était susceptible de justifier soit une nouvelle étude d’impact, soit une modification de l’étude d’impact et où, d’autre part, l’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental déroge au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation » (considérant 11). Une décision tacite est donc née, mais elle vaut refus. En outre, une décision tacite de refus est par principe illégale dans la mesure où elle n’est pas motivée.

Un nouvel exemple du juge administrateur. Le juge n’a pas régularisé l’acte spontanément. C’est seulement au vu de la durée de la procédure de régularisation et de l’inertie de l’administration qu’il fait usage de ses pouvoirs de plein contentieux et se substitue à l’administration pour permettre à la continuité du projet. La rapporteure publique souligne que reconnaître cette action est le seul moyen de combattre la tendance de l’administration de refuser de statuer expressément sur certains projets éoliens.

Ainsi, la Cour précise que « [le juge administratif] a, en particulier, le pouvoir d’annuler la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé l’autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d’accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu’il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions » (considérant 31). La formulation de ce considérant de principe laisse entendre que le juge peut régulariser ou compléter la procédure, avant d’accorder lui-même l’autorisation.

2/ Comment procéder lorsque la procédure de régularisation n’aboutit pas ?

La procédure ordinaire : classique mais robuste. Dans le cas où l’acte est susceptible d’être régularisé, le juge sursoit à statuer en fixant un délai pour l’administration (article L. 181-18, I, 2° du code de l’environnement).

Le recours des tiers dirigé contre l’autorisation est alors suspendue jusqu’à ce que le préfet statue sur la mesure de régularisation. De plus, le Conseil d’Etat a précisé, dans un avis contentieux, que le juge doit user de ses pouvoirs de régularisation lorsque les conditions en sont réunies à le faire (CE, avis contentieux, 10 novembre 2023, n° 474431). La régularisation est donc devenue le principe, et non pas une simple faculté.

Enfin, le dépassement éventuel du délai fixé par le juge pour mener la procédure de régularisation ne constitue pas une entrave (Voir en ce sens CE, 16 février 2022, Société MSE la Tombelle, req. 420554, 420575  à propos de la régularisation d’un permis de construire selon l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, « [le juge administratif] ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu’il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué »).

La procédure finalisée par le juge : une exception. Le juge a certes l’obligation de sursoir à statuer en l’attente de l’acte de régularisation. Mais si celui-ci tarde à arriver, en raison d’un blocage du préfet, comment agir ?

En suivant l’exemple du cas d’espèce, le porteur du projet, doit d’abord procéder aux formalités qui lui incombent nécessaires pour régulariser les vices constatés (par ex. mise à jour du dossier).

Il doit ensuite demander à l’administration, au besoin après qu’elle ait finalisé les formalités à même de régulariser l’autorisation illégale (par ex. demande d’avis ou enquête publique complémentaire) de délivrer une autorisation modificatrice, à savoir un arrêté préfectoral complémentaire portant régularisation.

Si l’administration refuse explicitement ou ne répond pas, le porteur de projet peut saisir le juge pour contester cette décision. Si la décision préfectorale de refus est jugée illégale, c’est le juge qui accordera – le cas échéant après avoir régularisé ou complété la procédure – lui-même l’autorisation aux conditions qu’il fixe.

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

La société Nièvre Agrisolaire a obtenu trois permis de construire, délivrés par arrêtés du préfet de la Nièvre en janvier 2023 pour l’implantation d’une centrale photovoltaïque au sol comprenant modules, quinze postes de transformation, et un poste de livraison.

Saisi d’un recours formé par des associations, le tribunal administratif de Dijon a rendu son jugement le 26 janvier 2024. Il procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Celle-ci résulte de l’association entre des panneaux photovoltaïques et la production de fourrages agricole de haute qualité incluant un séchoir thermovoltaïque.

Le juge reconnait ensuite des fragilités juridiques mais permet la régularisation du projet via la production d’un complément à l’étude d’impact puis un permis modificatif (jugement TA Dijon, 1re ch., 26 janv. 2024, n° 2300854).

Les communes objet du projet n’ayant pas de PLU, c’est le RNU qui s’applique.

1. Reconnaissance de la nature agrivoltaïque du projet

La question de la nature agrivoltaïque du projet relève au moins autant de la législation de l’énergie que de celle de l’urbanisme.

Ainsi, la définition d’une installation agrivoltaïque est désormais inscrite à l’article L. 314-36 du code de l’énergie, résultant de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (dite APER). Parmi d’autres conditions, la production agricole doit être l’activité principale de la parcelle agricole. La consultation publique du projet de décret d’application s’est quant à elle terminée en janvier 2024.

Les permis de construire objets du jugement du tribunal administratif de Dijon le 24 janvier 2024  sont antérieurs à la loi, ce qui peut expliquer pourquoi il ne s’y réfère pas. En revanche, le jugement procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Le juge administratif recourt ainsi en quelque sorte à la technique jurisprudentielle dite du « faisceau d’indices » :

  • le projet implique le remplacement de cultures céréalières et oléo-protéagineuses exploitées sur les parcelles d’assiette par une production fourragère dite « de haute qualité » répondant aux enjeux du plan dit « K végétales » lancé par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation à la fin de l’année 2020.
  • la centrale solaire  « sera construite de façon à permettre le maintien d’une activité agricole au sein des parcelles », avec notamment des distances minimales entre les rangs de modules photovoltaïques adaptées à la circulation des engins agricoles.
  • un séchoir thermovoltaïque dimensionné à l’organisation de l’exploitation assurera la production d’un fourrage séché en grange, d’une valeur nutritive notablement supérieure à celle du fourrage en champs et offrant de meilleurs débouchés commerciaux

Le tribunal relève également que « les ouvrages de production d’énergie et le séchoir concourent à la réalisation d’un même projet […] à savoir la construction d’un parc dit « agrivoltaïque », associant à la production d’électricité celle d’un fourrage » (considérant 13).

Enfin, le tribunal juge que le séchoir thermovoltaïque que la société envisage de construire (bâtiment de 80 mètres) concourt à la qualification de projet agrivoltaïque, dans la mesure où il permettra la production d’un fourrage à proximité du siège de l’exploitation, avec un débouché économique pour l’agriculteur.

Au vu de ces éléments, et alors même qu’il implique un changement du type de culture exercé sur le terrain (75 hectares de maïs), il apparait que la production agricole sera significative par rapport à la production d’électricité.

2. Les arguments rejetés par le tribunal

Le juge rejette les moyens avancés par les requérants s’agissant de l’appréciation satisfaisante et proportionnée des incidences du projet sur les paysages et le patrimoine culturel.

Le tribunal a également rejeté le moyen selon lequel l’étude d’impact serait insuffisante du fait du manque d’estimation des émissions attendus (pollution air eau sol sous-sol) puisque les parcelles concernées font déjà l’objet d’une exploitation agricole intensive.

Les moyens relatifs à l’illégalité de l’enquête publique sont également rejetés, ainsi que celui concernant la dérogation espèce protégée, en soulignant que l’obtention de la dérogation conditionne uniquement la mise en œuvre du permis de construire, mais pas sa légalité.

3. Les arguments accueillis par le tribunal

Le juge accueille néanmoins deux des arguments de procédure avancés par les requérants.

Le premier concerne le périmètre de l’étude d’impact (considérant 14). En effet, le juge rappelle que l’article L. 122-1 du code de l’environnement dispose que tout projet constitué de plusieurs interventions dans le milieu naturel doit être évalué dans son ensemble, même en cas de fractionnement dans le temps et l’espace, afin de comprendre ses incidences environnementales globales.

Le tribunal conclut que la construction du séchoir est nécessaire en raison du changement de type de culture induit par le parc photovoltaïque. Ces deux éléments concourent à la réalisation d’un même projet, qualifié d’agrivoltaïque. Par conséquent, l’étude d’impact aurait dû couvrir l’ensemble du projet, y compris la construction du séchoir.

Il estime que l’absence d’analyse des incidences environnementales du séchoir dans l’étude d’impact constitue une insuffisance préjudiciable à l’information complète de la population.

Le second moyen concerne la notion d’ensemble immobilier unique (considérant 49). L’article L. 421-1 du code de l’urbanisme requiert une autorisation de construire pour toute construction, même sans fondations. Selon l’article L. 421-6, la construction d’un ensemble immobilier unique devrait normalement faire l’objet d’une seule autorisation, sauf si l’ampleur et la complexité du projet justifient des permis distincts. Les requérants reprochent à la société Nièvre Agrisolaire de ne pas avoir inclus le séchoir dans ses demandes de permis, bien que celui-ci soit considéré comme essentiel pour maintenir des activités agricoles significatives sur les parcelles du projet.

Le tribunal affirme que le parc photovoltaïque et le séchoir, bien que distincts du point de vue technique et économique, forment un ensemble immobilier unique en raison de leurs liens fonctionnels et de leur impact sur le maintien des activités agricoles.

L’absence de présentation du séchoir dans les demandes de permis rend donc impossible une évaluation globale par l’autorité administrative du respect des règles d’urbanisme et de la protection des intérêts généraux.

4. Conséquences du jugement

Le juge fait usage de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme  et soumet le projet à régularisation pour chacun de ces deux vices, permettant ainsi de sauver le projet. En effet, s’agissant du périmètre de l’étude d’impact, il demande la production d’un complément à celle-ci. Quant à la qualification d’ensemble immobilier unique comprenant le séchoir, un permis modificatif est sollicité.

L’affaire sera donc à nouveau jugée dans quelques mois une fois la procédure de régularisation accomplie.

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