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Confirmation du moratoire sur le solaire : Le Conseil d’État procède à un revirement de jurisprudence (important)

par | 18 Nov 2011

Lady justice.jpgDans un arrêt du 16 novembre 2011 qui fera date, sans aucun doute, le Conseil d’Etat vient de valider l’intégralité des dispositions du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations photovoltaïques (CE, 16 novembre 2011, société Ciel et Terre et autres, req. n 344972 et suivantes).

Pour confirmer le caractère rétroactif du décret (sur la date d’entrée en vigueur du moratoire, fixée au 2 décembre 2010, soit 8 jours avant sa publication au Journal Officiel), le Conseil d’État procède a un revirement de jurisprudence.

Décryptage d’un arrêt qui fait émerger une nouvelle exception au principe de non rétroactivité des actes administratifs : le requérant devrait se trouver dans une « situation juridiquement constituée ».

1 Consultations préalables

Le Conseil d’État juge tout d’abord que le Conseil Supérieur de l’Energie (CSE) a pu se réunir régulièrement le 9 décembre  2010 pour rendre un avis sur le projet de décret. Bien que le décret ait été signé le même jour que la réunion du Conseil Supérieur de l’Energie ce délai « a été suffisant pour permettre au Gouvernement de procéder, au vu de cet avis, à l’examen des modifications suggérées, les dispositions adoptées tenant ainsi compte, sur plusieurs points, des observations formulées par cet avis ».

Par ailleurs, aucune disposition n’obligeait de consulter la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), préalablement à la signature du décret. Un doute subsiste dès lors que le texte instaurant le moratoire disqualifie également tous les opérateurs concernés de la file d’attente avant raccordement, ce qui relève de la compétence de la CRE.

2 Information et participation du public

Eu égard à la nature et à la durée « très limitée » de la suspension prononcée, le Conseil d’Etat juge que le Gouvernement a pu se passer d’une consultation du public sans méconnaitre la charge de l’environnement, et notamment son article 7.

3 Article 10 de la loi du 10 février 2000 sur le service public de l’électricité

Le Premier Ministre a légalement pu estimer que l’obligation de conclure un contrat d’achat ne répondait plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements au vu de la capacité des installations mises en service mais également de celle des installations ayant fait l’objet d’une demande de raccordement. Le Conseil d’État reprend à son compte les informations selon lesquelles les demandes en attente étaient estimées à 5.375 mégawatts en novembre 2010, « dont le Gouvernement était fondé à considérer que la moitié au moins serait effectivement mise en service dans les mois à venir ».

4 Droit de l’Union Européenne et principe de confiance légitime

Le Conseil d’État reconnaît tout d’abord que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union Européenne, peut être invoqué par tout opérateur économique auprès duquel une autorité nationale a fait naître, à l’occasion de la mise en œuvre du droit de l’Union, des espérances fondées.

Toutefois, il précise, aussitôt, qu’un opérateur économique, « prudent et avisé », qui serait en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de nature à affecter ses intérêts, ne peut invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est finalement adoptée. Or, aucune disposition du droit de l’Union Européenne n’imposait de maintenir un tarif d’achat inchangé.

En d’autres termes, les opérateurs privés ne peuvent se prévaloir du principe de confiance légitime dès lors qu’ils connaissaient le projet du Gouvernement de mettre fin aux conditions tarifaires du rachat de l’énergie d’origine photovoltaïque. En outre :

– la loi du 12 juillet 2010 (loi portant engagement national pour l’environnement dite « Grenelle II ») a précisé que les contrats régis par l’article 10 de la loi du 10 février 2000 ne sont conclus, et n’engagent les parties, « qu’à compter de leur signature ».

– plusieurs rapports ont souligné le développement trop rapide des installations de production d’énergie solaire et le niveau excessif du tarif d’achat pesant sur les consommateurs (avis de la CREE, rapport du Conseil Général de l’Industrie, de l’Energie et des Technologies et rapport de l’Inspection Générale des Finances).

Dans ces conditions, les opérateurs « prudents et avisés » pouvaient prévoir la suspension provisoire de l’obligation d’achat et la remise en cause des tarifs applicables quand bien même les arrêtés ministériels fixant les conditions d’achat de du solaire prévoyaient que le tarif applicable dépende de la date d’acceptation de la PTF.

En d’autres termes, si des opérateurs se sont retrouvés pris de court, avec des conséquences financières parfois désastreuses, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes dès lors que l’ensemble des informations disponibles aurait dû les inciter à ne pas poursuivre leurs opérations, malgré la sécurité juridique offerte par les arrêtés tarifaires ministériels.

Selon nous, ce raisonnement est, au minimum, inapplicable à ceux des opérateurs qui ont adressé leur PTF entre la date du 2 décembre et celle du 10 décembre 2010 (c’est-à-dire avant la publication au Journal Officiel du décret), mais nous examinerons ce point plus précisément ci-après.

En outre, en l’espèce, ce sont les atermoiements des pouvoirs publics s’agissant de la baisse du tarif de rachat du solaire (notamment les déclarations successives du Ministère de l’Environnement à partir du mois de septembre 2010) qui ont directement conduit à la bulle spéculative et à l’engorgement des demandes.

5 Droit au respect des biens (protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme)

Le Conseil d’État reconnaît tout d’abord que l’espérance légitime d’obtenir une somme d’argent, fondée sur une base juridique suffisante, doit être regardée comme un bien, même en l’absence de créance certaine. Cependant, il relève aussitôt que la modification instaurée par la loi « engagement national pour l’environnement » du 12 juillet 2010, a eu pour effet de préciser que les parties ne sont engagées qu’à compter de la signature du contrat d’achat, de sorte que les opérateurs du solaire ne peuvent se prévaloir « d’une espérance légitime à la conclusion d’un contrat à des conditions tarifaires inchangées ».

Là encore, le Conseil d’Etat s’en remet au principe rappelé par la loi Grenelle II selon laquelle un contrat n’est formé qu’à compter de sa signature entre les parties. Cependant, selon nous, les requérants n’auraient pas invoqué le principe de « confiance légitime » s’ils avaient signé un contrat d’achat avec EDF. Dans un tel cas, en effet, la créance aurait été certaine et ils se seraient tournés vers le juge du contrat sans devoir invoquer la convention européenne des droits de l’homme.

6 Principe d’égalité

Le Conseil d’État juge que le décret a pu maintenir un tarif préférentiel pour les seules « installations de très faible puissance » (inférieure ou égale à 3 kilowatts) car les inconvénients qu’auraient connus leurs promoteurs auraient été « particulièrement élevés », sans pour autant que cela eut entraîné un effet significatif sur les finances publiques, répercuté sur le consommateur d’électricité. Il ajoute que la date du 2 décembre 2010, retenue par le décret du 9 décembre 2010, « est celle de l’annonce faite par le Gouvernement de la mesure de suspension ». Cette phrase sibylline aurait mérité d’être mieux expliquée, dans la mesure où on comprend mal à quoi elle se rapporte : communiqué de presse, déclaration publique ?

7 Principe de non rétroactivité des actes administratifs

En dernier lieu, le Conseil d’Etat se prononce sur la question juridique la plus débattue : la rétroactivité du décret du 9 décembre 2010 (publiée au JO le 10 décembre) au 2 décembre 2010.

Selon le Conseil d’État, le décret ne méconnait pas le principe de non-rétroactivité des actes administratifs dès lors que les producteurs lésés par la suspension n’étaient pas déjà liés à EDF par un contrat quelconque ou « placé dans une situation juridiquement constituée avant la signature d’un tel contrat ». Une nouvelle fois, mais de manière indirecte, le Conseil d’État fait référence à la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 et à ses dispositions selon lesquelles les contrats régis par l’article 10 de la loi du 10 février 2000 ne sont conclu, et n’engagent les parties, qu’à compter de leur signature.

Cette motivation semble résulter d’un revirement de jurisprudence. En effet, le principe de la jurisprudence administrative est que la rétroactivité des règlements est interdite (CE, 25 juillet 1948, société du journal l’Aurore). Par exception à ce principe, le Conseil d’État a prudemment toléré une rétroactivité des actes réglementaires dans un nombre de cas limités, énumérés sur le propre site internet du Conseil d’Etat:

– si cela résulte d’une loi (pas le cas en l’espèce puisque c’est un décret qui est en cause)

– si l’effet rétroactif est rendu nécessaire par le vide créé par une décision d’annulation prononcée par le juge de l’excès de pouvoir (arrêt Rodière).

– si l’Administration procède au retrait d’un acte illégal (arrêt Dame Cachet).

– si la rétroactivité de l’acte est exigée par la situation qu’il a pour objet de régir.

– si un premier règlement prévoit que les règlements pris pour son application s’appliqueront le jour de sa propre entrée en vigueur.

En l’espèce, la rétroactivité prévue par le décret du 9 décembre 2009 ne satisfaisait à aucune de ces exceptions. Il faut donc considérer que le Conseil d’Etat procédé à un revirement de jurisprudence : Un règlement peut désormais s’appliquer rétroactivement à des administrés qui ne se trouveraient pas dans une « situation juridiquement constituée ».

Cette nouvelle exception est a première vue baroque puisqu’elle revient, en quelque sorte, a apprécier la légalité d’un acte règlementaire rétroactif en considération de la qualité du requérant (celui-ci se trouve-t-il dans une « situation juridiquement constituée » ?)

Le raisonnement laisse également penser que le Conseil d’État a tranché une question de légalité d’un acte administratif (en qualité de juge de l’excès de pouvoir) en raisonnant comme juge du contrat, ce qui est inédit. Faut-il en déduire qu’il a involontairement anticipé sur d’éventuelles actions indemnitaires ?

Enfin, cette exigence de justification d’une « situation juridiquement constituée » s’imposera-t-elle à l’avenir à tout administré contestant le caractère rétroactif d’un règlement ?

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En définitive, cet arrêt, décevant quant à la motivation de l’exception au principe de non-rétroactivité des actes réglementaires, témoigne de la très mauvaise qualité du mécanisme juridique mis en œuvre pour favoriser l’émergence des énergies renouvelables, et notamment du photovoltaïque.

En effet, la règle du rachat obligatoire de l’énergie par l’opérateur historique crée un déséquilibre dans les relations contractuelles qu’il implique. Il en irait autrement si l’électricité produite était vendue directement sur le réseau sans rachat obligatoire par EDF avec le bénéfice d’une subvention publique au producteur, de manière à lui permettre d’équilibrer son activité. Cela supposerait cependant que les producteurs indépendants puissent participer eux-mêmes au mécanisme d’ajustement directement ou indirectement.

Cette situation pourrait n’être que provisoire si, comme les projections professionnelles de la filière l’indiquent, l’énergie photovoltaïque sera rentable sans subvention d’ici l’horizon 2016.

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Par deux jugements du 3 décembre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les recours dirigés contre un projet de centrale solaire de 20 MW situé en région Nouvelle Aquitaine (TA Limoges, 3 décembre 2024, 2101881, 2101882 et 2101873). Le développeur du projet était défendu par le cabinet Altes.

Le tribunal a jugé que le projet respectait la réglementation locale d’urbanisme (1) et qu’il n’engendrait pas d’impact environnemental ou paysager (2).

1/ La centrale solaire respecte la réglementation d’urbanisme

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le préfet est compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les ouvrages de production d’énergie (art. L422-2, b. du code de l’urbanisme). Parallèlement, la commune ou l’intercommunalité est compétente pour fixer la réglementation d’urbanisme.

1.1. Pas d’illégalité du PLU

Les requérants invoquaient l’« exception d’illégalité » de la règle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune autorisant des « constructions industrielles concourant à la production d’énergie (centrale solaire PV…) » dans un secteur dédié aux activités sportives, touristiques et de loisir.

Le juge a écarté ce moyen en considérant que le développement des énergies renouvelables n’était pas incompatible avec la promotion de ces activités.

1.2. Pas d’obligation de sursis à statuer en attendant le nouveau PLU en cours d’élaboration

Les requérants reprochaient au préfet de ne pas avoir sursis à statuer sur la demande de permis. Cette possibilité prévue par le code de l’urbanisme (articles L. 153-11 et L. 424-1), concerne le cas où un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’utilisation ou non de cette faculté, limitée à l’erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens CE, 26 janv. 1979, n° 01485).

Le tribunal juge sur ce point que le seul projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du futur PLU ne justifiait pas un sursis à statuer au regard de son contenu : « eu égard à leur portée et à leur caractère général et en l’absence de zonage les concrétisant, les orientations précitées du PADD ne peuvent être regardées comme traduisant un état d’avancement du projet de plan local d’urbanisme suffisant à fonder une décision de sursis, compte tenu de la localisation du projet en litige ».

Il a sur ce point confirmé la jurisprudence selon laquelle un sursis ne peut être pris que si le projet de PLU forme une quasi-norme, formalisée et décantée (voir en ce sens CE, 9 déc. 1988, n° 68286 ; CE, 21 avril 2021, n°437599, conclusions du RP ; et aussi par ex. CAA Bordeaux, 9 juill. 2020, n° 19BX00571). Ainsi, l’exécution du PADD n’étant pas compromise ou rendue plus onéreuse, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

2/ La centrale solaire n’emporte aucun impact environnemental ou paysager sur le golf voisin

Les requérants contestaient enfin les impacts du projet sur l’environnement (art. R. 111-26 du code de l’urbanisme). Cependant, le tribunal juge que la localisation du projet dans une zone agricole non artificialisée ne permet pas d’établir des atteintes à l’environnement.

Les autres impacts présumés sur le paysage (art. R. 111-27), notamment un impact visuel sur un golf voisin, des risques liées aux retombées de balles, des impacts sur le drainage du terrain, ainsi qu’une dépréciation de la valeur du golf ne sont pas matériellement démontrés, d’autant plus que le projet répond efficacement à chacun de ces présumés impacts, notamment grâce à la topographie et des mesures d’insertion.

Ces jugements constituent un signal encourageant pour le développement des énergies renouvelables, même dans un contexte local parfois éprouvant. Ils démontrent également l’importance de la coordination entre le préfet et la commune dans le processus de délivrance des permis des installations de production d’énergie. Ainsi que, au besoin, l’utilité d’un accompagnement juridique des promoteurs pour limiter le risque d’annulation.

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

La procédure dite de régularisation « dans le prétoire » a été inscrite au code de l’environnement en 2017 pour faire aboutir des projets industriels et d’énergies renouvelables (notamment parcs éoliens) malgré des recours en justice. En pratique, elle peut durer et demeurer aléatoire. Cette décision démontre l’efficacité du dispositif, y compris si l’Etat, après avoir accordé une autorisation illégale, refuse in fine de la régulariser. En octroyant la régularisation malgré le refus du préfet, le juge se comporte comme un administrateur et se substitue à l’inertie de l’Etat.

En l’espèce, suite à un recours dirigé contre l’autorisation environnementale d’un projet éolien, le juge administratif avait pris un sursis à statuer (SAS) dans l’attente de sa régularisation. Deux ans plus tard, la société n’avait toujours pas obtenu l’arrêté préfectoral nécessaire à la continuité de son projet. Finalement, la Cour administrative d’appel de Douai délivre elle-même la régularisation attendue, après avoir jugé que l’inertie de l’administration était illégale (CAA Douai, 29 août 2024, 24DA00695).

1/ Une innovation prétorienne

Le recours direct contre un refus de régularisation est possible. Un refus tacite de régularisation est un acte administratif faisant grief, de sorte qu’il peut faire l’objet d’un recours. La particularité est l’articulation de ce recours mené par la société porteur du projet éolien, avec celui entamé initialement par les opposants contestant ledit projet.

Les opposants ont demandé l’annulation de l’arrêté d’autorisation environnementale alors que la société demande, quatre ans plus tard, l’annulation du refus de régulariser la même autorisation environnementale. Suivant les conclusions de sa rapporteure publique, la Cour juge que ce nouveau recours implique un recours distinct (voir en ce sens CE, 9 novembre 2021, Sté Lucien Viseur req. 440028 B), n’y reconnaissant que le statut d’observateur aux opposants.

La rapporteure publique recommande également aux juges d’examiner la légalité du refus de régularisation avant de poursuivre l’instance dirigée contre l’autorisation initiale suspendue.

Le silence opposé par le préfet à une demande de régularisation vaut refus. En l’espèce, le préfet n’avait pas explicitement refusé la demande de la société mais s’était contenté de rester silencieux.

Pour conclure que cette inertie équivaut à un refus, la Cour se base sur le délai du droit commun énoncé à l’article L.231-1 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, le principe est que silence gardé par l’administration (deux mois après la demande) vaut acceptation. Par exception, le silence vaut refus dans certains cas, tel que la demande d’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental (annexe du décret 2014-1273 du 30 octobre 2014).

La Cour juge que la demande de la société tendant à la délivrance d’une autorisation modificative, « devait conduire le préfet à apprécier s’il impliquait une modification substantielle ou seulement notable du projet autorisé. Dans la mesure où, d’une part, l’une ou l’autre de ces modifications était susceptible de justifier soit une nouvelle étude d’impact, soit une modification de l’étude d’impact et où, d’autre part, l’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental déroge au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation » (considérant 11). Une décision tacite est donc née, mais elle vaut refus. En outre, une décision tacite de refus est par principe illégale dans la mesure où elle n’est pas motivée.

Un nouvel exemple du juge administrateur. Le juge n’a pas régularisé l’acte spontanément. C’est seulement au vu de la durée de la procédure de régularisation et de l’inertie de l’administration qu’il fait usage de ses pouvoirs de plein contentieux et se substitue à l’administration pour permettre à la continuité du projet. La rapporteure publique souligne que reconnaître cette action est le seul moyen de combattre la tendance de l’administration de refuser de statuer expressément sur certains projets éoliens.

Ainsi, la Cour précise que « [le juge administratif] a, en particulier, le pouvoir d’annuler la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé l’autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d’accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu’il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions » (considérant 31). La formulation de ce considérant de principe laisse entendre que le juge peut régulariser ou compléter la procédure, avant d’accorder lui-même l’autorisation.

2/ Comment procéder lorsque la procédure de régularisation n’aboutit pas ?

La procédure ordinaire : classique mais robuste. Dans le cas où l’acte est susceptible d’être régularisé, le juge sursoit à statuer en fixant un délai pour l’administration (article L. 181-18, I, 2° du code de l’environnement).

Le recours des tiers dirigé contre l’autorisation est alors suspendue jusqu’à ce que le préfet statue sur la mesure de régularisation. De plus, le Conseil d’Etat a précisé, dans un avis contentieux, que le juge doit user de ses pouvoirs de régularisation lorsque les conditions en sont réunies à le faire (CE, avis contentieux, 10 novembre 2023, n° 474431). La régularisation est donc devenue le principe, et non pas une simple faculté.

Enfin, le dépassement éventuel du délai fixé par le juge pour mener la procédure de régularisation ne constitue pas une entrave (Voir en ce sens CE, 16 février 2022, Société MSE la Tombelle, req. 420554, 420575  à propos de la régularisation d’un permis de construire selon l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, « [le juge administratif] ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu’il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué »).

La procédure finalisée par le juge : une exception. Le juge a certes l’obligation de sursoir à statuer en l’attente de l’acte de régularisation. Mais si celui-ci tarde à arriver, en raison d’un blocage du préfet, comment agir ?

En suivant l’exemple du cas d’espèce, le porteur du projet, doit d’abord procéder aux formalités qui lui incombent nécessaires pour régulariser les vices constatés (par ex. mise à jour du dossier).

Il doit ensuite demander à l’administration, au besoin après qu’elle ait finalisé les formalités à même de régulariser l’autorisation illégale (par ex. demande d’avis ou enquête publique complémentaire) de délivrer une autorisation modificatrice, à savoir un arrêté préfectoral complémentaire portant régularisation.

Si l’administration refuse explicitement ou ne répond pas, le porteur de projet peut saisir le juge pour contester cette décision. Si la décision préfectorale de refus est jugée illégale, c’est le juge qui accordera – le cas échéant après avoir régularisé ou complété la procédure – lui-même l’autorisation aux conditions qu’il fixe.

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