Generic selectors
Exact matches only
Search in title
Search in content

Parcs solaires au sol : l’ensemble des droits acquis par la filière remis en cause par une ordonnance du Conseil d’État (important)

par | 20 Sep 2011

conseil d'état,droits acquis,photovoltaïque,pv,solaire,décret du 19 novembre 2009,permis de construire,alur sncSelon une très récente ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’état, appuyé par le MEDDTL, le régime du permis de construire s’imposerait rétroactivement à tous les parcs au sol, sans considération des droits acquis (CE, ord. réf, 25 août 2011, société Alur SNC, req. n° 351.811) .

Ainsi, tous les parcs au sol réalisés sous le bénéfice de la déclaration préalable (ou déclaration de travaux) pourraient devoir obtenir un permis de construire.  Cette décision peut entraîner des effets dominos désastreux, pouvant aller jusqu’à la mise en cause de la responsabilité pénale des opérateurs. Ceux-ci ne peuvent plus se fier à la circonstance que le dossier comporte une décision de non-opposition à déclaration préalable pour considérer que le projet n’est pas soumis à permis de construire.

____________________________________________________________________________________

Une récente ordonnance du juge des référés du Conseil d’État du 25 août 2011 (CE, société Alur SNC, req. n° 351.811) soulève des interrogations juridiques très sérieuses s’agissant de la soumission rétroactive des parcs photovoltaïques au sol au régime du permis de construire.

i Avant le décret du 19 novembre 2009

Jusqu’à la publication du décret du 19 novembre 2009, les parcs photovoltaïques au sol n’étaient pas soumis à permis de construire. Ils pouvaient en revanche relever du régime de la déclaration préalable (ex-déclaration de travaux).

En pratique, le pétitionnaire n’avait qu’à déposer un dossier de déclaration de travaux auprès de l’autorité compétente (généralement le maire) et attendre que celle-ci se prononce. En cas de silence, le projet bénéficiait, au bout d’un mois, d’une décision tacite d’approbation des travaux. De très nombreux parcs photovoltaïques au sol bénéficient de ces décisions administratives tacites, le plus souvent devenues définitives (après affichage sur le terrain).

 ii Après le décret du 19 novembre 2009

Le décret du 19 novembre 2009 est venu bouleverser cet ordonnancement juridique puisqu’il soumet désormais à permis de construire les parcs photovoltaïques au sol auparavant soumis seulement à déclaration préalable.

La question est donc de savoir si les droits acquis avant l’entrée en vigueur de ce nouveau texte sont susceptibles d’être remis en cause ? Une analyse juridique raisonnable permettait de considérer que les décisions obtenues préalablement à la réforme étaient constitutives de droits acquis pour l’exploitant.

Mais une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 25 août 2011 soulève de très sérieuses interrogations à cet égard. En effet, dans cette affaire, le maire de la Commune de Veules-les-Roses avait décidé de suspendre l’exécution de travaux d’un parc photovoltaïque au sol (Arrêté interruptif de travaux) bénéficiant d’une déclaration préalable obtenue avant l’entrée en vigueur du décret du 19 novembre 2009. Le maire a considéré que le nouveau régime juridique s’appliquait rétroactivement et que l’opérateur devait obtenir un permis de construire avant de poursuivre ses travaux.

Saisi d’un recours en référé contre cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions transitoires du décret du 19 novembre 2009 (article 9) sont rédigées de telle manière qu’un doute peut exister concernant l’application immédiate du nouveau régime juridique aux situations juridiques déjà établies (projets bénéficiant d’une déclaration préalable).

Comment a-ton pu en arriver là ?

En droit : Selon l’article 9 du décret n° 2009-1414 du 19 novembre 2009, ce texte s’applique à partir du 20 décembre 2009. Toutefois, les nouvelles règles en matière d’urbanisme (articles 1er à 3) ne sont pas applicables aux parcs solaires au sol dans deux hypothèses distinctes :

a) Lorsque ces ouvrages comportent des installations ou constructions ayant fait l’objet d’une décision de non-opposition à déclaration préalable ou d’un permis de construire avant l’entrée en vigueur du présent décret ;

b) Lorsque ces ouvrages sont dispensés de toute formalité au titre du code de l’urbanisme et que les travaux ont été entrepris ou achevés à la date de l’entrée en vigueur du présent décret ;

En l’espèce, la société ALUR SNC soutenait qu’elle bénéficiait de l’exemption prévue au a) puisqu’elle bénéficiait d’une décision de non opposition à déclaration préalable.

Mais le Maire de la commune de Veules-les-Roses, et surtout le Ministère de l’Environnement, soutenaient la thèse inverse au vu d’un raisonnement qui mérite qu’on s’y arrêté : Compte tenu de sa nature, l’opération de réalisation d’un parc photovoltaïque au sol, en tant que telle, ne relevait pas du régime des autorisations d’urbanisme avant la réforme de 2009. Il s’en suit que la décision de non opposition à déclaration préalable obtenue est superfétatoire et que l’opérateur ne peut pas se prévaloir du bénéfice de l’exemption prévue au a) du 1° de l’article 9 du décret. Or, pour pouvoir prétendre au bénéfice du b) du 1° de l’article 9 du décret, il faut non seulement que l’ouvrage soit dispensé de toute formalité au titre du code de l’urbanisme (condition satisfaite) mais également que les travaux aient commencés avant le 20 décembre 2009 (date d’entrée en vigueur du décret). Dès lors que cette seconde condition n’est pas satisfaite, le nouveau régime juridique s’applique rétroactivement au projet qui doit obtenir un permis de construire !

Selon le juge des référés du Conseil d’État, « l’ambiguïté des dispositions des a) et b) du 1° de l’article 9 du décret du 19 novembre 2009, tenant à ce que les installations qui étaient dispensées de toute formalité mais qui auraient cependant fait l’objet d’une autorisation pourraient relever du b) par leur nature ou du a) par le fait qu’elles ont fait l’objet d’une autorisation » justifie que le maire ait pris un arrêté interruptif de travaux sans porter atteinte à une liberté fondamentale.

 Les conséquences de cette analyse juridique sont dramatiques pour les opérateurs qui se croient logiquement titulaires d’un droit acquis dès lors qu’ils bénéficient d’une décision de non opposition à déclaration préalable obtenue avant le 20 décembre 2009.

iii Un raisonnement juridique source de responsabilité administrative et pénale pour la filière photovoltaïque

Le raisonnement juridique esquissé dans l’ordonnance du Conseil d’état soulève une question de sécurité juridique essentielle dans la mesure où, à tout moment, un tiers intéressé peut contester la légalité des travaux en réclamant la mise en œuvre de la procédure du permis de construire, précédé d’une étude d’impact et d’une enquête publique, s’agissant des parcs de plus de 250 KWc.

Si ce raisonnement est le bon, les conditions d’exploitation du parc photovoltaïque pourront être remises en cause, notamment la solidité du contrat d’achat d’électricité, puisqu’il aura été octroyé à une installation sans autorisation d’urbanisme en bonne et due forme.

Qu’adviendrait-il si l’Administration se mettait à remettre en cause les contrats de rachat d’électricité pour des parcs photovoltaïques au sol bénéficiant d’une déclaration de travaux et pour lesquels un permis de construire pourrait être exigé rétroactivement ?

Pis encore, si l’opération est soumise rétroactivement à permis de construire alors qu’elle ne bénéficie que d’une déclaration préalable, il faut considérer qu’elle ne bénéficie d’aucune autorisation d’urbanisme en bonne et due forme. Or, dans un tel cas, au-delà du risque administratif, l’opérateur est soumis à un sérieux risque pénal. En effet, si le parc est achevé, les travaux pourront être assimilés à une construction sans permis de construire, ce qui constitue une infraction pénale délictuelle pouvant faire l’objet d’une amende mais aussi d’une injonction de démolition (articles L. 480-4 et L. 480-5 du Code de l’urbanisme).Le délai de prescription pénale de trois ans ne commencera à courir qu’à compter de l’achèvement des travaux.

iv Préconisations juridiques

L’incertitude soulevée par l’ordonnance du Conseil d’Etat du 25 août 2011 demeurera tant que la plus Haute juridiction administrative ne se sera pas prononcée au fond sur le recours en annulation déposé par l’opérateur.

Il s’en déduit que les opérateurs ne doivent pas se fier à la circonstance que le dossier comporte une décision de non-opposition à déclaration préalable pour considérer que le projet n’est pas soumis à permis de construire.

Il est donc très vivement conseillé de vérifier la solidité juridique des projets en s’assurant que ceux-ci ne reposent pas sur des déclarations de travaux superfétatoires, impliquant, par là même, selon le raisonnement défendu par le MEDDTL devant le Conseil d’État, une régularisation rétroactive par l’octroi d’un permis de construire.

Cela implique concrètement un audit du dossier pour déterminer si, en l’état du droit applicable avant le 19 novembre 2009, l’opération relevait du champ des autorisations d’urbanisme (critère de création de surface hors œuvre brute ou de changement de destination des locaux par exemple).

Contrefaçon de marque : le dirigeant engage sa responsabilité personnelle (TJ Lyon, 7 janvier 2025, société Hermès Sellier)

Contrefaçon de marque : le dirigeant engage sa responsabilité personnelle (TJ Lyon, 7 janvier 2025, société Hermès Sellier)

En cas de faute « détachable » ou « séparable » de ses fonctions, le dirigeant social d’une société peut engager sa propre responsabilité civile tant à l’égard des tiers que de ses associés. Dans ce cas, la personnalité morale en droit des sociétés ne permet plus de faire écran entre son dirigeant et le monde extérieur.

Tel est le cas lorsque le dirigeant commet « intentionnellement une faute d’une gravité particulière incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions » (Cass. Com., 20 mai 2003, n°99-17.092). Au fil du temps, la Cour de cassation a consacré plusieurs hypothèses de faute détachable des fonctions (voir Cass. Com., 4 juillet 2006, n°15-13.930 pour le fait d’omettre sciemment le paiement d’une prime d’assurance automobile et d’avertir les salariés de la perte consécutive de garantie ; ou encore Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 22-22998, F-D, pour le défaut de souscription à une assurance construction obligatoire).

Dans un jugement du 7 janvier 2025, le Tribunal judiciaire de Lyon s’est prononcé sur un cas de responsabilité du dirigeant social pour des faits constituant la violation du droit d’auteur. Ce dernier commet une faute détachable de ses fonctions lorsque sa société réalise des produits contrefaits (TJ Lyon, 3e ch., 7 janvier 2025, 23/03036, société Hermès Sellier c/ Société YM).

La violation du droit d’auteur peut entraîner la responsabilité personnelle du dirigeant

En l’espèce, la société HERMES SELLIER avait constaté la commercialisation et la présentation par la société YM, gérée par Monsieur (D), de vêtements reproduisant les motifs de certains de ses célèbres carrés de soie dans une boutique. Après une mise en demeure restée infructueuse, et sur le fondement de la titularité de ses dessins, la société HERMES SELLIER a fait assigner la société YM et son dirigeant devant le Tribunal judiciaire de Lyon aux fins de faire juger que les produits commercialisés par la société YM constituaient des actes de contrefaçon résultant de la création d’une même impression d’ensemble et/ou reproduisant la combinaison originale des caractéristiques des dessins. À l’appui de ces revendications figurait notamment un procès-verbal de constat.

Le Tribunal judiciaire de Lyon, après avoir retenu la protection par le droit d’auteur des motifs SPACE DERBY, CHEVAL DE FÊTE et SELLE DES STEPPES, puis les actes de contrefaçon, confirme que lesdits actes engagent la responsabilité in solidum de la société et de son gérant.

Pour retenir la responsabilité du dirigeant, le Tribunal identifie plusieurs éléments constitutifs d’une faute séparable de ses fonctions : ses déclarations personnelles « selon lesquelles il a lui-même fait réaliser les produits contrefaisants à partir de photographies trouvées sur internet », le caractère peu contestable de l’argument selon lequel il n’avait pas connaissance de l’exploitation des motifs par la société HERMES SELLIER alors « qu’ont été reproduits trois motifs appartenant à la même collection printemps-été 2021, ainsi que leurs déclinaisons de couleurs »  puisqu’il avait été personnellement informé des droits revendiqués par la mise en demeure lui ayant été adressée, sans pour autant les avoir retirés « de sorte qu’il a laissé se poursuivre en connaissance de cause les actes de contrefaçon. ».

Il convient d’observer que la « taille très modeste de la société » n’a pas joué en sa faveur… Le demandeur ayant d’ailleurs souligné que Monsieur (D) était la seule personne travaillant pour la société, de sorte qu’il a personnellement commandé et mis en vente les vêtements incriminés.

Cette affaire souligne que le dirigeant ne peut ignorer les règles du droit de la propriété intellectuelle, tant leur maîtrise est aujourd’hui essentielle dans les pratiques commerciales.

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Par une décision du 7 avril 2025, le tribunal administratif de Strasbourg vient de juger que l’étude d’impact du projet de liaison ferroviaire vers l’aéroport de Bâle-Mulhouse, porté par les sociétés SNCF et EuroAirport (d’une longueur de 6 km et d’un coût estimé d’environ 400 millions d’euros), était partiellement insuffisante s’agissant de la délimitation des zones humides (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2206161).

En conséquence, le tribunal sursoit à statuer sur la demande des associations (notamment Alsace Nature) dirigée contre l’arrêté du 14 mars 2022 du préfet du Haut-Rhin portant déclaration d’utilité publique (DUP) du projet. Le juge fixe à l’Etat et au maître d’ouvrage un délai de 12 mois pour que l’étude d’impact environnemental soit complétée, via une procédure dite de régularisation. Ainsi, une fois le dossier complété, le tribunal réexaminera le recours.

  • Le jugement du 8 avril 2025 : insuffisance de l’étude d’impact sur la délimitation des zones humides

Le tribunal juge que les études ont négligé une part importante des zones humides impactées (42% selon l’avocat des associations) : « pour procéder au calcul de la superficie des zones humides, les maîtres d’ouvrage ont, à tort, fait une application cumulative des critères ‘habitats’ et ‘sols’, alors que ces critères sont alternatifs. L’étude d’impact est dès lors entachée d’inexactitude sur ce point » (consid. 12).

Le jugement laisse ainsi entendre que le diagnostic écologique du projet n’a pas pris en compte la nouvelle définition – plus exigeante – des zones humides, introduite par la loi du 24 juillet 2019 (art. L211-1 c. env. I, 1°). L’autorité environnementale recommandait déjà, dans son avis émis sur le projet le 22 janvier 2020, « de reprendre l’inventaire des zones humides selon la réglementation actuellement en vigueur » (p. 16).

Enfin, pour répondre à l’argumentation en défense de l’Etat, le tribunal souligne que « compte tenu de l’intérêt écologique particulier qui s’attache aux zones humides, et de la nécessité qui en découle de prévoir des mesures adaptées, » celles-ci doivent être prises en compte dès le stade de l’étude d’impact rattachée à la procédure de DUP (consid. 13), sans attendre donc l’étape ultérieure de l’autorisation environnementale.

  • Notre analyse et nos préconisations

1. Il est important de souligner que les compléments d’analyse de l’étude d’impact prescrits par le tribunal ne sont pas seulement destinés à régulariser un vice de forme. En effet, le jugement souligne explicitement que le tribunal réserve sa décision sur d’autres arguments soulevés par les requérants : « dès lors que la modification de la superficie des zones humides est susceptible d’avoir des conséquences sur d’autres aspects du projet, les moyens tirés de l’insuffisante évaluation des enjeux des milieux naturels […], de l’insuffisance du bilan environnemental et des mesures compensatoires, et de l’utilité publique du projet, doivent être réservés jusqu’en fin d’instance. » (consid. 18).

Il est déroutant que le communiqué de presse du tribunal semble contredire le jugement sur ce dernier point, en indiquant « Le tribunal n’a pas remis en cause le caractère d’utilité publique du projet, constatant que la nécessité d’améliorer l’accès à l’aéroport répondait à une finalité d’intérêt général et n’emportait pas de conséquences économiques, environnementales et sociales excessives ». Car, en réalité, le tribunal confirme l’utilité publique du projet dans un second jugement rendu le même jour, en réponse aux arguments soulevés par la commune suisse d’Allschwil (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2203304).

Nonobstant, le juge souligne que la régularisation ne garantit pas le rejet du recours dans le cadre de l’audience de réexamen qui interviendra en 2026.

2. En ce sens, il peut être fait mention d’une autre décision récente rendue par la Cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy, 3 avril 2025, 20NC00801). Dans cette affaire, le juge administratif a annulé l’autorisation environnementale d’un projet éolien d’envergure (63 éoliennes sur 7 communes) malgré la régularisation des vices relevés par la même juridiction, trois ans auparavant, s’agissant de l’absence d’avis indépendant de l’autorité environnementale. En définitive, le juge annule le projet sur la base de nouveaux vices révélés par l’avis obtenu durant le délai de régularisation (à savoir saturation du paysage et effet d’écrasement).

3. Bien que le mécanisme de régularisation en cours d’instance contribue à la sécurité des projets, ces décisions des juridictions du fond illustrent qu’il constitue plutôt une « seconde chance », sans garantie. Elles soulignent également l’importance du respect de la procédure (complétude de l’étude d’impact, prise en compte autant que possible de l’avis de l’autorité environnementale s’agissant de l’évaluation exhaustive des impacts environnementaux).

Ainsi, si les normes ou les règles de l’art évoluent dans le cadre de l’instruction et qu’elles peuvent influer l’impact environnemental de l’opération, alors il appartient au maître d’ouvrage de les prendre en compte dans le cadre de mise à jour des études. D’ailleurs, dans ce cas de figure, le promoteur peut toujours opter pour la « régularisation spontanée », c’est-à-dire régulariser son dossier de sa propre initiative, sans attendre la décision du juge (CE 22 sept. 2014, SIETOM, n° 367889).

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».

Share This