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Parcs solaires au sol : l’ensemble des droits acquis par la filière remis en cause par une ordonnance du Conseil d’État (important)

par | 20 Sep 2011

conseil d'état,droits acquis,photovoltaïque,pv,solaire,décret du 19 novembre 2009,permis de construire,alur sncSelon une très récente ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’état, appuyé par le MEDDTL, le régime du permis de construire s’imposerait rétroactivement à tous les parcs au sol, sans considération des droits acquis (CE, ord. réf, 25 août 2011, société Alur SNC, req. n° 351.811) .

Ainsi, tous les parcs au sol réalisés sous le bénéfice de la déclaration préalable (ou déclaration de travaux) pourraient devoir obtenir un permis de construire.  Cette décision peut entraîner des effets dominos désastreux, pouvant aller jusqu’à la mise en cause de la responsabilité pénale des opérateurs. Ceux-ci ne peuvent plus se fier à la circonstance que le dossier comporte une décision de non-opposition à déclaration préalable pour considérer que le projet n’est pas soumis à permis de construire.

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Une récente ordonnance du juge des référés du Conseil d’État du 25 août 2011 (CE, société Alur SNC, req. n° 351.811) soulève des interrogations juridiques très sérieuses s’agissant de la soumission rétroactive des parcs photovoltaïques au sol au régime du permis de construire.

i Avant le décret du 19 novembre 2009

Jusqu’à la publication du décret du 19 novembre 2009, les parcs photovoltaïques au sol n’étaient pas soumis à permis de construire. Ils pouvaient en revanche relever du régime de la déclaration préalable (ex-déclaration de travaux).

En pratique, le pétitionnaire n’avait qu’à déposer un dossier de déclaration de travaux auprès de l’autorité compétente (généralement le maire) et attendre que celle-ci se prononce. En cas de silence, le projet bénéficiait, au bout d’un mois, d’une décision tacite d’approbation des travaux. De très nombreux parcs photovoltaïques au sol bénéficient de ces décisions administratives tacites, le plus souvent devenues définitives (après affichage sur le terrain).

 ii Après le décret du 19 novembre 2009

Le décret du 19 novembre 2009 est venu bouleverser cet ordonnancement juridique puisqu’il soumet désormais à permis de construire les parcs photovoltaïques au sol auparavant soumis seulement à déclaration préalable.

La question est donc de savoir si les droits acquis avant l’entrée en vigueur de ce nouveau texte sont susceptibles d’être remis en cause ? Une analyse juridique raisonnable permettait de considérer que les décisions obtenues préalablement à la réforme étaient constitutives de droits acquis pour l’exploitant.

Mais une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 25 août 2011 soulève de très sérieuses interrogations à cet égard. En effet, dans cette affaire, le maire de la Commune de Veules-les-Roses avait décidé de suspendre l’exécution de travaux d’un parc photovoltaïque au sol (Arrêté interruptif de travaux) bénéficiant d’une déclaration préalable obtenue avant l’entrée en vigueur du décret du 19 novembre 2009. Le maire a considéré que le nouveau régime juridique s’appliquait rétroactivement et que l’opérateur devait obtenir un permis de construire avant de poursuivre ses travaux.

Saisi d’un recours en référé contre cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions transitoires du décret du 19 novembre 2009 (article 9) sont rédigées de telle manière qu’un doute peut exister concernant l’application immédiate du nouveau régime juridique aux situations juridiques déjà établies (projets bénéficiant d’une déclaration préalable).

Comment a-ton pu en arriver là ?

En droit : Selon l’article 9 du décret n° 2009-1414 du 19 novembre 2009, ce texte s’applique à partir du 20 décembre 2009. Toutefois, les nouvelles règles en matière d’urbanisme (articles 1er à 3) ne sont pas applicables aux parcs solaires au sol dans deux hypothèses distinctes :

a) Lorsque ces ouvrages comportent des installations ou constructions ayant fait l’objet d’une décision de non-opposition à déclaration préalable ou d’un permis de construire avant l’entrée en vigueur du présent décret ;

b) Lorsque ces ouvrages sont dispensés de toute formalité au titre du code de l’urbanisme et que les travaux ont été entrepris ou achevés à la date de l’entrée en vigueur du présent décret ;

En l’espèce, la société ALUR SNC soutenait qu’elle bénéficiait de l’exemption prévue au a) puisqu’elle bénéficiait d’une décision de non opposition à déclaration préalable.

Mais le Maire de la commune de Veules-les-Roses, et surtout le Ministère de l’Environnement, soutenaient la thèse inverse au vu d’un raisonnement qui mérite qu’on s’y arrêté : Compte tenu de sa nature, l’opération de réalisation d’un parc photovoltaïque au sol, en tant que telle, ne relevait pas du régime des autorisations d’urbanisme avant la réforme de 2009. Il s’en suit que la décision de non opposition à déclaration préalable obtenue est superfétatoire et que l’opérateur ne peut pas se prévaloir du bénéfice de l’exemption prévue au a) du 1° de l’article 9 du décret. Or, pour pouvoir prétendre au bénéfice du b) du 1° de l’article 9 du décret, il faut non seulement que l’ouvrage soit dispensé de toute formalité au titre du code de l’urbanisme (condition satisfaite) mais également que les travaux aient commencés avant le 20 décembre 2009 (date d’entrée en vigueur du décret). Dès lors que cette seconde condition n’est pas satisfaite, le nouveau régime juridique s’applique rétroactivement au projet qui doit obtenir un permis de construire !

Selon le juge des référés du Conseil d’État, « l’ambiguïté des dispositions des a) et b) du 1° de l’article 9 du décret du 19 novembre 2009, tenant à ce que les installations qui étaient dispensées de toute formalité mais qui auraient cependant fait l’objet d’une autorisation pourraient relever du b) par leur nature ou du a) par le fait qu’elles ont fait l’objet d’une autorisation » justifie que le maire ait pris un arrêté interruptif de travaux sans porter atteinte à une liberté fondamentale.

 Les conséquences de cette analyse juridique sont dramatiques pour les opérateurs qui se croient logiquement titulaires d’un droit acquis dès lors qu’ils bénéficient d’une décision de non opposition à déclaration préalable obtenue avant le 20 décembre 2009.

iii Un raisonnement juridique source de responsabilité administrative et pénale pour la filière photovoltaïque

Le raisonnement juridique esquissé dans l’ordonnance du Conseil d’état soulève une question de sécurité juridique essentielle dans la mesure où, à tout moment, un tiers intéressé peut contester la légalité des travaux en réclamant la mise en œuvre de la procédure du permis de construire, précédé d’une étude d’impact et d’une enquête publique, s’agissant des parcs de plus de 250 KWc.

Si ce raisonnement est le bon, les conditions d’exploitation du parc photovoltaïque pourront être remises en cause, notamment la solidité du contrat d’achat d’électricité, puisqu’il aura été octroyé à une installation sans autorisation d’urbanisme en bonne et due forme.

Qu’adviendrait-il si l’Administration se mettait à remettre en cause les contrats de rachat d’électricité pour des parcs photovoltaïques au sol bénéficiant d’une déclaration de travaux et pour lesquels un permis de construire pourrait être exigé rétroactivement ?

Pis encore, si l’opération est soumise rétroactivement à permis de construire alors qu’elle ne bénéficie que d’une déclaration préalable, il faut considérer qu’elle ne bénéficie d’aucune autorisation d’urbanisme en bonne et due forme. Or, dans un tel cas, au-delà du risque administratif, l’opérateur est soumis à un sérieux risque pénal. En effet, si le parc est achevé, les travaux pourront être assimilés à une construction sans permis de construire, ce qui constitue une infraction pénale délictuelle pouvant faire l’objet d’une amende mais aussi d’une injonction de démolition (articles L. 480-4 et L. 480-5 du Code de l’urbanisme).Le délai de prescription pénale de trois ans ne commencera à courir qu’à compter de l’achèvement des travaux.

iv Préconisations juridiques

L’incertitude soulevée par l’ordonnance du Conseil d’Etat du 25 août 2011 demeurera tant que la plus Haute juridiction administrative ne se sera pas prononcée au fond sur le recours en annulation déposé par l’opérateur.

Il s’en déduit que les opérateurs ne doivent pas se fier à la circonstance que le dossier comporte une décision de non-opposition à déclaration préalable pour considérer que le projet n’est pas soumis à permis de construire.

Il est donc très vivement conseillé de vérifier la solidité juridique des projets en s’assurant que ceux-ci ne reposent pas sur des déclarations de travaux superfétatoires, impliquant, par là même, selon le raisonnement défendu par le MEDDTL devant le Conseil d’État, une régularisation rétroactive par l’octroi d’un permis de construire.

Cela implique concrètement un audit du dossier pour déterminer si, en l’état du droit applicable avant le 19 novembre 2009, l’opération relevait du champ des autorisations d’urbanisme (critère de création de surface hors œuvre brute ou de changement de destination des locaux par exemple).

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Par deux jugements du 3 décembre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les recours dirigés contre un projet de centrale solaire de 20 MW situé en région Nouvelle Aquitaine (TA Limoges, 3 décembre 2024, 2101881, 2101882 et 2101873). Le développeur du projet était défendu par le cabinet Altes.

Le tribunal a jugé que le projet respectait la réglementation locale d’urbanisme (1) et qu’il n’engendrait pas d’impact environnemental ou paysager (2).

1/ La centrale solaire respecte la réglementation d’urbanisme

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le préfet est compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les ouvrages de production d’énergie (art. L422-2, b. du code de l’urbanisme). Parallèlement, la commune ou l’intercommunalité est compétente pour fixer la réglementation d’urbanisme.

1.1. Pas d’illégalité du PLU

Les requérants invoquaient l’« exception d’illégalité » de la règle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune autorisant des « constructions industrielles concourant à la production d’énergie (centrale solaire PV…) » dans un secteur dédié aux activités sportives, touristiques et de loisir.

Le juge a écarté ce moyen en considérant que le développement des énergies renouvelables n’était pas incompatible avec la promotion de ces activités.

1.2. Pas d’obligation de sursis à statuer en attendant le nouveau PLU en cours d’élaboration

Les requérants reprochaient au préfet de ne pas avoir sursis à statuer sur la demande de permis. Cette possibilité prévue par le code de l’urbanisme (articles L. 153-11 et L. 424-1), concerne le cas où un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’utilisation ou non de cette faculté, limitée à l’erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens CE, 26 janv. 1979, n° 01485).

Le tribunal juge sur ce point que le seul projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du futur PLU ne justifiait pas un sursis à statuer au regard de son contenu : « eu égard à leur portée et à leur caractère général et en l’absence de zonage les concrétisant, les orientations précitées du PADD ne peuvent être regardées comme traduisant un état d’avancement du projet de plan local d’urbanisme suffisant à fonder une décision de sursis, compte tenu de la localisation du projet en litige ».

Il a sur ce point confirmé la jurisprudence selon laquelle un sursis ne peut être pris que si le projet de PLU forme une quasi-norme, formalisée et décantée (voir en ce sens CE, 9 déc. 1988, n° 68286 ; CE, 21 avril 2021, n°437599, conclusions du RP ; et aussi par ex. CAA Bordeaux, 9 juill. 2020, n° 19BX00571). Ainsi, l’exécution du PADD n’étant pas compromise ou rendue plus onéreuse, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

2/ La centrale solaire n’emporte aucun impact environnemental ou paysager sur le golf voisin

Les requérants contestaient enfin les impacts du projet sur l’environnement (art. R. 111-26 du code de l’urbanisme). Cependant, le tribunal juge que la localisation du projet dans une zone agricole non artificialisée ne permet pas d’établir des atteintes à l’environnement.

Les autres impacts présumés sur le paysage (art. R. 111-27), notamment un impact visuel sur un golf voisin, des risques liées aux retombées de balles, des impacts sur le drainage du terrain, ainsi qu’une dépréciation de la valeur du golf ne sont pas matériellement démontrés, d’autant plus que le projet répond efficacement à chacun de ces présumés impacts, notamment grâce à la topographie et des mesures d’insertion.

Ces jugements constituent un signal encourageant pour le développement des énergies renouvelables, même dans un contexte local parfois éprouvant. Ils démontrent également l’importance de la coordination entre le préfet et la commune dans le processus de délivrance des permis des installations de production d’énergie. Ainsi que, au besoin, l’utilité d’un accompagnement juridique des promoteurs pour limiter le risque d’annulation.

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

La procédure dite de régularisation « dans le prétoire » a été inscrite au code de l’environnement en 2017 pour faire aboutir des projets industriels et d’énergies renouvelables (notamment parcs éoliens) malgré des recours en justice. En pratique, elle peut durer et demeurer aléatoire. Cette décision démontre l’efficacité du dispositif, y compris si l’Etat, après avoir accordé une autorisation illégale, refuse in fine de la régulariser. En octroyant la régularisation malgré le refus du préfet, le juge se comporte comme un administrateur et se substitue à l’inertie de l’Etat.

En l’espèce, suite à un recours dirigé contre l’autorisation environnementale d’un projet éolien, le juge administratif avait pris un sursis à statuer (SAS) dans l’attente de sa régularisation. Deux ans plus tard, la société n’avait toujours pas obtenu l’arrêté préfectoral nécessaire à la continuité de son projet. Finalement, la Cour administrative d’appel de Douai délivre elle-même la régularisation attendue, après avoir jugé que l’inertie de l’administration était illégale (CAA Douai, 29 août 2024, 24DA00695).

1/ Une innovation prétorienne

Le recours direct contre un refus de régularisation est possible. Un refus tacite de régularisation est un acte administratif faisant grief, de sorte qu’il peut faire l’objet d’un recours. La particularité est l’articulation de ce recours mené par la société porteur du projet éolien, avec celui entamé initialement par les opposants contestant ledit projet.

Les opposants ont demandé l’annulation de l’arrêté d’autorisation environnementale alors que la société demande, quatre ans plus tard, l’annulation du refus de régulariser la même autorisation environnementale. Suivant les conclusions de sa rapporteure publique, la Cour juge que ce nouveau recours implique un recours distinct (voir en ce sens CE, 9 novembre 2021, Sté Lucien Viseur req. 440028 B), n’y reconnaissant que le statut d’observateur aux opposants.

La rapporteure publique recommande également aux juges d’examiner la légalité du refus de régularisation avant de poursuivre l’instance dirigée contre l’autorisation initiale suspendue.

Le silence opposé par le préfet à une demande de régularisation vaut refus. En l’espèce, le préfet n’avait pas explicitement refusé la demande de la société mais s’était contenté de rester silencieux.

Pour conclure que cette inertie équivaut à un refus, la Cour se base sur le délai du droit commun énoncé à l’article L.231-1 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, le principe est que silence gardé par l’administration (deux mois après la demande) vaut acceptation. Par exception, le silence vaut refus dans certains cas, tel que la demande d’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental (annexe du décret 2014-1273 du 30 octobre 2014).

La Cour juge que la demande de la société tendant à la délivrance d’une autorisation modificative, « devait conduire le préfet à apprécier s’il impliquait une modification substantielle ou seulement notable du projet autorisé. Dans la mesure où, d’une part, l’une ou l’autre de ces modifications était susceptible de justifier soit une nouvelle étude d’impact, soit une modification de l’étude d’impact et où, d’autre part, l’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental déroge au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation » (considérant 11). Une décision tacite est donc née, mais elle vaut refus. En outre, une décision tacite de refus est par principe illégale dans la mesure où elle n’est pas motivée.

Un nouvel exemple du juge administrateur. Le juge n’a pas régularisé l’acte spontanément. C’est seulement au vu de la durée de la procédure de régularisation et de l’inertie de l’administration qu’il fait usage de ses pouvoirs de plein contentieux et se substitue à l’administration pour permettre à la continuité du projet. La rapporteure publique souligne que reconnaître cette action est le seul moyen de combattre la tendance de l’administration de refuser de statuer expressément sur certains projets éoliens.

Ainsi, la Cour précise que « [le juge administratif] a, en particulier, le pouvoir d’annuler la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé l’autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d’accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu’il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions » (considérant 31). La formulation de ce considérant de principe laisse entendre que le juge peut régulariser ou compléter la procédure, avant d’accorder lui-même l’autorisation.

2/ Comment procéder lorsque la procédure de régularisation n’aboutit pas ?

La procédure ordinaire : classique mais robuste. Dans le cas où l’acte est susceptible d’être régularisé, le juge sursoit à statuer en fixant un délai pour l’administration (article L. 181-18, I, 2° du code de l’environnement).

Le recours des tiers dirigé contre l’autorisation est alors suspendue jusqu’à ce que le préfet statue sur la mesure de régularisation. De plus, le Conseil d’Etat a précisé, dans un avis contentieux, que le juge doit user de ses pouvoirs de régularisation lorsque les conditions en sont réunies à le faire (CE, avis contentieux, 10 novembre 2023, n° 474431). La régularisation est donc devenue le principe, et non pas une simple faculté.

Enfin, le dépassement éventuel du délai fixé par le juge pour mener la procédure de régularisation ne constitue pas une entrave (Voir en ce sens CE, 16 février 2022, Société MSE la Tombelle, req. 420554, 420575  à propos de la régularisation d’un permis de construire selon l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, « [le juge administratif] ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu’il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué »).

La procédure finalisée par le juge : une exception. Le juge a certes l’obligation de sursoir à statuer en l’attente de l’acte de régularisation. Mais si celui-ci tarde à arriver, en raison d’un blocage du préfet, comment agir ?

En suivant l’exemple du cas d’espèce, le porteur du projet, doit d’abord procéder aux formalités qui lui incombent nécessaires pour régulariser les vices constatés (par ex. mise à jour du dossier).

Il doit ensuite demander à l’administration, au besoin après qu’elle ait finalisé les formalités à même de régulariser l’autorisation illégale (par ex. demande d’avis ou enquête publique complémentaire) de délivrer une autorisation modificatrice, à savoir un arrêté préfectoral complémentaire portant régularisation.

Si l’administration refuse explicitement ou ne répond pas, le porteur de projet peut saisir le juge pour contester cette décision. Si la décision préfectorale de refus est jugée illégale, c’est le juge qui accordera – le cas échéant après avoir régularisé ou complété la procédure – lui-même l’autorisation aux conditions qu’il fixe.

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

La société Nièvre Agrisolaire a obtenu trois permis de construire, délivrés par arrêtés du préfet de la Nièvre en janvier 2023 pour l’implantation d’une centrale photovoltaïque au sol comprenant modules, quinze postes de transformation, et un poste de livraison.

Saisi d’un recours formé par des associations, le tribunal administratif de Dijon a rendu son jugement le 26 janvier 2024. Il procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Celle-ci résulte de l’association entre des panneaux photovoltaïques et la production de fourrages agricole de haute qualité incluant un séchoir thermovoltaïque.

Le juge reconnait ensuite des fragilités juridiques mais permet la régularisation du projet via la production d’un complément à l’étude d’impact puis un permis modificatif (jugement TA Dijon, 1re ch., 26 janv. 2024, n° 2300854).

Les communes objet du projet n’ayant pas de PLU, c’est le RNU qui s’applique.

1. Reconnaissance de la nature agrivoltaïque du projet

La question de la nature agrivoltaïque du projet relève au moins autant de la législation de l’énergie que de celle de l’urbanisme.

Ainsi, la définition d’une installation agrivoltaïque est désormais inscrite à l’article L. 314-36 du code de l’énergie, résultant de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (dite APER). Parmi d’autres conditions, la production agricole doit être l’activité principale de la parcelle agricole. La consultation publique du projet de décret d’application s’est quant à elle terminée en janvier 2024.

Les permis de construire objets du jugement du tribunal administratif de Dijon le 24 janvier 2024  sont antérieurs à la loi, ce qui peut expliquer pourquoi il ne s’y réfère pas. En revanche, le jugement procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Le juge administratif recourt ainsi en quelque sorte à la technique jurisprudentielle dite du « faisceau d’indices » :

  • le projet implique le remplacement de cultures céréalières et oléo-protéagineuses exploitées sur les parcelles d’assiette par une production fourragère dite « de haute qualité » répondant aux enjeux du plan dit « K végétales » lancé par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation à la fin de l’année 2020.
  • la centrale solaire  « sera construite de façon à permettre le maintien d’une activité agricole au sein des parcelles », avec notamment des distances minimales entre les rangs de modules photovoltaïques adaptées à la circulation des engins agricoles.
  • un séchoir thermovoltaïque dimensionné à l’organisation de l’exploitation assurera la production d’un fourrage séché en grange, d’une valeur nutritive notablement supérieure à celle du fourrage en champs et offrant de meilleurs débouchés commerciaux

Le tribunal relève également que « les ouvrages de production d’énergie et le séchoir concourent à la réalisation d’un même projet […] à savoir la construction d’un parc dit « agrivoltaïque », associant à la production d’électricité celle d’un fourrage » (considérant 13).

Enfin, le tribunal juge que le séchoir thermovoltaïque que la société envisage de construire (bâtiment de 80 mètres) concourt à la qualification de projet agrivoltaïque, dans la mesure où il permettra la production d’un fourrage à proximité du siège de l’exploitation, avec un débouché économique pour l’agriculteur.

Au vu de ces éléments, et alors même qu’il implique un changement du type de culture exercé sur le terrain (75 hectares de maïs), il apparait que la production agricole sera significative par rapport à la production d’électricité.

2. Les arguments rejetés par le tribunal

Le juge rejette les moyens avancés par les requérants s’agissant de l’appréciation satisfaisante et proportionnée des incidences du projet sur les paysages et le patrimoine culturel.

Le tribunal a également rejeté le moyen selon lequel l’étude d’impact serait insuffisante du fait du manque d’estimation des émissions attendus (pollution air eau sol sous-sol) puisque les parcelles concernées font déjà l’objet d’une exploitation agricole intensive.

Les moyens relatifs à l’illégalité de l’enquête publique sont également rejetés, ainsi que celui concernant la dérogation espèce protégée, en soulignant que l’obtention de la dérogation conditionne uniquement la mise en œuvre du permis de construire, mais pas sa légalité.

3. Les arguments accueillis par le tribunal

Le juge accueille néanmoins deux des arguments de procédure avancés par les requérants.

Le premier concerne le périmètre de l’étude d’impact (considérant 14). En effet, le juge rappelle que l’article L. 122-1 du code de l’environnement dispose que tout projet constitué de plusieurs interventions dans le milieu naturel doit être évalué dans son ensemble, même en cas de fractionnement dans le temps et l’espace, afin de comprendre ses incidences environnementales globales.

Le tribunal conclut que la construction du séchoir est nécessaire en raison du changement de type de culture induit par le parc photovoltaïque. Ces deux éléments concourent à la réalisation d’un même projet, qualifié d’agrivoltaïque. Par conséquent, l’étude d’impact aurait dû couvrir l’ensemble du projet, y compris la construction du séchoir.

Il estime que l’absence d’analyse des incidences environnementales du séchoir dans l’étude d’impact constitue une insuffisance préjudiciable à l’information complète de la population.

Le second moyen concerne la notion d’ensemble immobilier unique (considérant 49). L’article L. 421-1 du code de l’urbanisme requiert une autorisation de construire pour toute construction, même sans fondations. Selon l’article L. 421-6, la construction d’un ensemble immobilier unique devrait normalement faire l’objet d’une seule autorisation, sauf si l’ampleur et la complexité du projet justifient des permis distincts. Les requérants reprochent à la société Nièvre Agrisolaire de ne pas avoir inclus le séchoir dans ses demandes de permis, bien que celui-ci soit considéré comme essentiel pour maintenir des activités agricoles significatives sur les parcelles du projet.

Le tribunal affirme que le parc photovoltaïque et le séchoir, bien que distincts du point de vue technique et économique, forment un ensemble immobilier unique en raison de leurs liens fonctionnels et de leur impact sur le maintien des activités agricoles.

L’absence de présentation du séchoir dans les demandes de permis rend donc impossible une évaluation globale par l’autorité administrative du respect des règles d’urbanisme et de la protection des intérêts généraux.

4. Conséquences du jugement

Le juge fait usage de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme  et soumet le projet à régularisation pour chacun de ces deux vices, permettant ainsi de sauver le projet. En effet, s’agissant du périmètre de l’étude d’impact, il demande la production d’un complément à celle-ci. Quant à la qualification d’ensemble immobilier unique comprenant le séchoir, un permis modificatif est sollicité.

L’affaire sera donc à nouveau jugée dans quelques mois une fois la procédure de régularisation accomplie.

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