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Jurisprudence cabinet : le risque d’atteinte à la sécurité publique doit être pris en compte en cas de proximité entre deux parcs éoliens

par | 1 Juil 2020

Le Conseil d’État juge dans un arrêt du 29 juin 2020 que la proximité immédiate entre deux parcs éoliens crée des incompatibilités techniques. Un arrêt qui intervient alors que le Ministère de la transition écologique et solidaire a engagé une réflexion avec les acteurs économiques sur la « répartition plus harmonieuse des parcs éoliens » sur le territoire.

Dans cette affaire, un préfet avait refusé de délivrer un permis sollicité pour un parc éolien en raison de la proximité d’un autre parc, la distance entre les pâles de certaines éoliennes pouvant être de quelques mètres. Dans un arrêt du 29 mai 2019, la cour administrative de Bordeaux avait cependant jugé qu’il n’y avait « aucune atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ». et enjoint au préfet de délivrer le permis de construire. Par un arrêt du 29 juin 2020, n°433166, le Conseil d’État juge au contraire que la proximité de deux parcs éoliens représente un risque pour la sécurité publique en raison des incompatibilités techniques qu’elle engendre. Il confirme à ce titre un refus de permis de construire opposé par le préfet.

L’arrêt du Conseil d’État du 29 juin 2020 est intéressant à double titre : le contrôle des incompatibilités techniques créés par la proximité entre projets industriels (I) et les conditions dans lesquelles le juge administratif peut enjoindre de délivrer une autorisation d’urbanisme (II).

 I. La prise en compte des incompatibilités techniques

Les incompatibilités techniques entre installations de production d’énergie renouvelable sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique.

S’agissant des autorisations d’urbanisme, l’article R.111-2 du code de l’urbanisme énonce que « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. ». Cette disposition est dite d’ordre public, c’est-à-dire qu’elle s’applique sans dérogation sur tout le territoire national.

Une disposition analogue existe pour les autorisations environnementales avec l’article L.181-3 du code de l’environnement qui prescrit notamment le respect des intérêts énoncés à l’article L. 511-1 du même code à savoir « la commodité du voisinage, [… ] la santé, la sécurité, la salubrité publiques, [… ] l’agriculture, [… ] la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, [… ] l’utilisation rationnelle de l’énergie, […] la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ». (souligné par nous).

En l’espèce, le Conseil d’État juge sur ce point que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier en estimant que ni l’incompatibilité technique ni les éventuelles difficultés de rendement des aérogénérateurs ne créerait d’atteinte à la sécurité publique. La Haute Assemblée relève au contraire qu’un avis du service interministériel de défense de protection civile (SIDPC) et une note technique sur les inter-distances produite par les sociétés requérantes mettent en évidence que la proximité favorise les phénomènes de turbulences, au point que cela rend techniquement impossible l’implantation d’une autre éolienne.

Pour parvenir à cette conclusion le Conseil d’État a repris l’intégralité des faits de l’espèce et a réalisé un contrôle sur pièces, concluant que les incompatibilités techniques ne relèvent pas seulement d’un éventuel enjeu concurrentiel mais également de la sécurité publique.

 II. Le contrôle de l’injonction de délivrer une autorisation d’urbanisme

A. Les modalités

Le pouvoir d’injonction de délivrer une autorisation d’urbanisme dans un délai déterminé est ouvert depuis un avis du 25 mai 2018, n°417350, du Conseil d’État. Il s’agit d’une précision prétorienne ayant pour fondement l’article L. 911-1 du code de justice administrative (« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure. »).

Les juridictions administratives s’en sont rapidement emparées. En effet, contrairement au contrôle du juge en plein contentieux (applicable aux autorisations ICPE et à l’autorisation environnementale), celui du recours pour excès de pouvoir (permis de construire) ne permet pas au juge de délivrer une autorisation d’urbanisme. Le pétitionnaire ayant démontré l’illégalité d’un refus de permis devait donc attendre, parfois très longtemps, que l’administration ré-instruise sa demande,

L’avis du Conseil d’État du 25 mai 2018 répond donc à un besoin pratique : conférer toute sa force à une décision de justice annulant le permis de construire. Ainsi, selon le Conseil d’État, afin de fluidifier l’instruction des projets, le juge administratif doit privilégier l’injonction de délivrer au simple réexamen de la demande. Le Conseil d’État prévoit cependant deux exceptions à ce principe : le juge n’imposera pas à l’administration de délivrer l’autorisation si un autre motif valable aurait justifié le refus, ou en cas de changement de circonstances de faits.

En l’espèce, en appel, la cour administrative avait « forcé » l’administration à délivrer le permis de construire dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt. Le Conseil d’État annule cet arrêt au motif que le refus d’autorisation devait bien prendre en compte les autres projets voisins.

B. Les conséquences de l’annulation d’une injonction de délivrer un permis de construire

Dans son avis du 25 mai 2018, le Conseil d’État envisage le cas où l’injonction de délivrer le permis de construire était annulée, ainsi que ses effets sur le permis de construire délivré éventuellement entre temps. Dans ce cas de figure, l’autorité compétente (maire ou préfet) peut retirer l’autorisation « dans un délai raisonnable qui ne saurait, eu égard à l’objet et aux caractéristiques des autorisations d’urbanisme, excéder trois mois à compter de la notification à l’administration de la décision juridictionnelle ». Aucune distinction n’est faite que l’autorisation soit ou non attaquée. Dans les deux cas, elle n’est pas définitive avant ce délai de 3 mois faisant suite à la notification à l’administration de l’arrêt annulant l’annulation du permis de construire et/ou de l’injonction.

Ce dispositif prétorien déroge au droit commun selon lequel une autorisation d’urbanisme ne peut être retirée que si elle est illégale et dans le délai de 3 mois suivant la date de la décision d’autoriser. En effet, passé ce délai, l’autorisation peut en principe uniquement être retirée sur demande expresse du bénéficiaire (article L.424-5 code de l’urbanisme). Le Conseil d’État réussit ainsi une nécessaire adaptation du délai, en faisant commencer à courir le délai à compter de la notification à l’administration de la décision juridictionnelle, et non à compter de la délivrance de l’autorisation.

S’agissant des modalités, avant de retirer un permis de construire délivré suite à une injonction du juge, elle-même annulée, l’administration doit écrire au bénéficiaire pour lui en faire part et l’inviter à présenter ses observations écrites ou orales, conformément au respect du principe du contradictoire (article L.121-1 du code des relations entre le public et l’administration). La jurisprudence estime que ce délai raisonnable ne saurait être inférieur à 15 jours (CAA Nantes, 6 janvier 2017, n°15NT01580 : un délai de 4 jours est insuffisant).

Conclusion

L’arrêt du 29 juin 2020 est rendu alors que le Ministère de la transition écologique et solidaire (DGEC) et les acteurs économiques ont engagé une réflexion sur la « répartition plus harmonieuse des parcs éoliens » sur le territoire. Depuis décembre 2019, un groupe de travail a identifié comme principales pistes d’action une meilleure prise en compte des enjeux paysagers, la création d’une cartographie départementale des enjeux, la limitation des projets dans les régions très équipées et l’implication des collectivités et des citoyens dans les projets.

Contrefaçon de marque : le dirigeant engage sa responsabilité personnelle (TJ Lyon, 7 janvier 2025, société Hermès Sellier)

Contrefaçon de marque : le dirigeant engage sa responsabilité personnelle (TJ Lyon, 7 janvier 2025, société Hermès Sellier)

En cas de faute « détachable » ou « séparable » de ses fonctions, le dirigeant social d’une société peut engager sa propre responsabilité civile tant à l’égard des tiers que de ses associés. Dans ce cas, la personnalité morale en droit des sociétés ne permet plus de faire écran entre son dirigeant et le monde extérieur.

Tel est le cas lorsque le dirigeant commet « intentionnellement une faute d’une gravité particulière incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions » (Cass. Com., 20 mai 2003, n°99-17.092). Au fil du temps, la Cour de cassation a consacré plusieurs hypothèses de faute détachable des fonctions (voir Cass. Com., 4 juillet 2006, n°15-13.930 pour le fait d’omettre sciemment le paiement d’une prime d’assurance automobile et d’avertir les salariés de la perte consécutive de garantie ; ou encore Cass. 3e civ., 5 déc. 2024, n° 22-22998, F-D, pour le défaut de souscription à une assurance construction obligatoire).

Dans un jugement du 7 janvier 2025, le Tribunal judiciaire de Lyon s’est prononcé sur un cas de responsabilité du dirigeant social pour des faits constituant la violation du droit d’auteur. Ce dernier commet une faute détachable de ses fonctions lorsque sa société réalise des produits contrefaits (TJ Lyon, 3e ch., 7 janvier 2025, 23/03036, société Hermès Sellier c/ Société YM).

La violation du droit d’auteur peut entraîner la responsabilité personnelle du dirigeant

En l’espèce, la société HERMES SELLIER avait constaté la commercialisation et la présentation par la société YM, gérée par Monsieur (D), de vêtements reproduisant les motifs de certains de ses célèbres carrés de soie dans une boutique. Après une mise en demeure restée infructueuse, et sur le fondement de la titularité de ses dessins, la société HERMES SELLIER a fait assigner la société YM et son dirigeant devant le Tribunal judiciaire de Lyon aux fins de faire juger que les produits commercialisés par la société YM constituaient des actes de contrefaçon résultant de la création d’une même impression d’ensemble et/ou reproduisant la combinaison originale des caractéristiques des dessins. À l’appui de ces revendications figurait notamment un procès-verbal de constat.

Le Tribunal judiciaire de Lyon, après avoir retenu la protection par le droit d’auteur des motifs SPACE DERBY, CHEVAL DE FÊTE et SELLE DES STEPPES, puis les actes de contrefaçon, confirme que lesdits actes engagent la responsabilité in solidum de la société et de son gérant.

Pour retenir la responsabilité du dirigeant, le Tribunal identifie plusieurs éléments constitutifs d’une faute séparable de ses fonctions : ses déclarations personnelles « selon lesquelles il a lui-même fait réaliser les produits contrefaisants à partir de photographies trouvées sur internet », le caractère peu contestable de l’argument selon lequel il n’avait pas connaissance de l’exploitation des motifs par la société HERMES SELLIER alors « qu’ont été reproduits trois motifs appartenant à la même collection printemps-été 2021, ainsi que leurs déclinaisons de couleurs »  puisqu’il avait été personnellement informé des droits revendiqués par la mise en demeure lui ayant été adressée, sans pour autant les avoir retirés « de sorte qu’il a laissé se poursuivre en connaissance de cause les actes de contrefaçon. ».

Il convient d’observer que la « taille très modeste de la société » n’a pas joué en sa faveur… Le demandeur ayant d’ailleurs souligné que Monsieur (D) était la seule personne travaillant pour la société, de sorte qu’il a personnellement commandé et mis en vente les vêtements incriminés.

Cette affaire souligne que le dirigeant ne peut ignorer les règles du droit de la propriété intellectuelle, tant leur maîtrise est aujourd’hui essentielle dans les pratiques commerciales.

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Par une décision du 7 avril 2025, le tribunal administratif de Strasbourg vient de juger que l’étude d’impact du projet de liaison ferroviaire vers l’aéroport de Bâle-Mulhouse, porté par les sociétés SNCF et EuroAirport (d’une longueur de 6 km et d’un coût estimé d’environ 400 millions d’euros), était partiellement insuffisante s’agissant de la délimitation des zones humides (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2206161).

En conséquence, le tribunal sursoit à statuer sur la demande des associations (notamment Alsace Nature) dirigée contre l’arrêté du 14 mars 2022 du préfet du Haut-Rhin portant déclaration d’utilité publique (DUP) du projet. Le juge fixe à l’Etat et au maître d’ouvrage un délai de 12 mois pour que l’étude d’impact environnemental soit complétée, via une procédure dite de régularisation. Ainsi, une fois le dossier complété, le tribunal réexaminera le recours.

  • Le jugement du 8 avril 2025 : insuffisance de l’étude d’impact sur la délimitation des zones humides

Le tribunal juge que les études ont négligé une part importante des zones humides impactées (42% selon l’avocat des associations) : « pour procéder au calcul de la superficie des zones humides, les maîtres d’ouvrage ont, à tort, fait une application cumulative des critères ‘habitats’ et ‘sols’, alors que ces critères sont alternatifs. L’étude d’impact est dès lors entachée d’inexactitude sur ce point » (consid. 12).

Le jugement laisse ainsi entendre que le diagnostic écologique du projet n’a pas pris en compte la nouvelle définition – plus exigeante – des zones humides, introduite par la loi du 24 juillet 2019 (art. L211-1 c. env. I, 1°). L’autorité environnementale recommandait déjà, dans son avis émis sur le projet le 22 janvier 2020, « de reprendre l’inventaire des zones humides selon la réglementation actuellement en vigueur » (p. 16).

Enfin, pour répondre à l’argumentation en défense de l’Etat, le tribunal souligne que « compte tenu de l’intérêt écologique particulier qui s’attache aux zones humides, et de la nécessité qui en découle de prévoir des mesures adaptées, » celles-ci doivent être prises en compte dès le stade de l’étude d’impact rattachée à la procédure de DUP (consid. 13), sans attendre donc l’étape ultérieure de l’autorisation environnementale.

  • Notre analyse et nos préconisations

1. Il est important de souligner que les compléments d’analyse de l’étude d’impact prescrits par le tribunal ne sont pas seulement destinés à régulariser un vice de forme. En effet, le jugement souligne explicitement que le tribunal réserve sa décision sur d’autres arguments soulevés par les requérants : « dès lors que la modification de la superficie des zones humides est susceptible d’avoir des conséquences sur d’autres aspects du projet, les moyens tirés de l’insuffisante évaluation des enjeux des milieux naturels […], de l’insuffisance du bilan environnemental et des mesures compensatoires, et de l’utilité publique du projet, doivent être réservés jusqu’en fin d’instance. » (consid. 18).

Il est déroutant que le communiqué de presse du tribunal semble contredire le jugement sur ce dernier point, en indiquant « Le tribunal n’a pas remis en cause le caractère d’utilité publique du projet, constatant que la nécessité d’améliorer l’accès à l’aéroport répondait à une finalité d’intérêt général et n’emportait pas de conséquences économiques, environnementales et sociales excessives ». Car, en réalité, le tribunal confirme l’utilité publique du projet dans un second jugement rendu le même jour, en réponse aux arguments soulevés par la commune suisse d’Allschwil (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2203304).

Nonobstant, le juge souligne que la régularisation ne garantit pas le rejet du recours dans le cadre de l’audience de réexamen qui interviendra en 2026.

2. En ce sens, il peut être fait mention d’une autre décision récente rendue par la Cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy, 3 avril 2025, 20NC00801). Dans cette affaire, le juge administratif a annulé l’autorisation environnementale d’un projet éolien d’envergure (63 éoliennes sur 7 communes) malgré la régularisation des vices relevés par la même juridiction, trois ans auparavant, s’agissant de l’absence d’avis indépendant de l’autorité environnementale. En définitive, le juge annule le projet sur la base de nouveaux vices révélés par l’avis obtenu durant le délai de régularisation (à savoir saturation du paysage et effet d’écrasement).

3. Bien que le mécanisme de régularisation en cours d’instance contribue à la sécurité des projets, ces décisions des juridictions du fond illustrent qu’il constitue plutôt une « seconde chance », sans garantie. Elles soulignent également l’importance du respect de la procédure (complétude de l’étude d’impact, prise en compte autant que possible de l’avis de l’autorité environnementale s’agissant de l’évaluation exhaustive des impacts environnementaux).

Ainsi, si les normes ou les règles de l’art évoluent dans le cadre de l’instruction et qu’elles peuvent influer l’impact environnemental de l’opération, alors il appartient au maître d’ouvrage de les prendre en compte dans le cadre de mise à jour des études. D’ailleurs, dans ce cas de figure, le promoteur peut toujours opter pour la « régularisation spontanée », c’est-à-dire régulariser son dossier de sa propre initiative, sans attendre la décision du juge (CE 22 sept. 2014, SIETOM, n° 367889).

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».

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