Generic selectors
Exact matches only
Search in title
Search in content

Statut juridique des matériaux recyclés : le Ministère de l’écologie reconnaît la sortie implicite du statut de déchet

par | 13 Jan 2016

Dans un avis aux exploitants d’installations de traitement de déchets et aux exploitants d’installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières, non daté mais publié au Journal Officiel du 13 janvier 2016, le Ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie se prononce sur le statut juridique des matériaux recyclés.

Il reconnaît notamment une sortie « implicite » du statut de déchet et souligne par la même que le passage d’une logique de traitement de déchets à une logique de gestion des ressources ne se résume pas à une simple question de sémantique mais est attaché au statut juridique du déchet, source d’interrogations et de préoccupations pour les opérateurs économiques.

Cette reconnaissance juridique va ouvrir de très intéressantes opportunités pour tous les acteurs de l’économie circulaire produisant ou utilisant des matériaux recyclés, tant pour une valorisation matière qu’énergétique. Décryptage.

La publication au Journal Officiel du 13 janvier 2016 de l’avis aux exploitants d’installations de traitement de déchets et aux exploitants d’installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières était attendue depuis plusieurs mois.

1. Pourquoi un avis au Journal Officiel ?

Dans le cadre des travaux conduits avec l’Institut de l’économie circulaire et la rédaction de la note « Faire évoluer le statut de déchet pour promouvoir l’économie circulaire » (synthèse des réflexions et propositions du groupe de travail réglementaire 2014/2015), nous avions pris connaissance d’une note blanche du Ministère de l’Environnement « note de discussion sur le statut de déchet », datée du 18 février 2015 (13 pages).

Ce document proposait de très intéressantes pistes de réflexion pour contribuer à lever des freins au recyclage et alimenter les échanges avec la Commission consultative sur le statut de déchet. Il envisageait notamment d’ « officialiser de manière explicite dans un avis au JO la notion jurisprudentielle de « sortie de statut de déchet implicite pour les installations de production » (selon laquelle les installations de production qui utilisent un déchet comme matière première mais qui auraient pu utiliser une autre matière première ne produisent pas du déchet) ».

Après 11 mois de gestation, c’est désormais chose faite.

2. Analyse de l’avis

L’avis publié au JO le 13 janvier 2016 est principalement consacré au statut juridique des déchets et des matériaux recyclés.

Il distingue, de manière pertinente, les matériaux produits par une installation de traitement de déchets (21) des matériaux produits par une installation de production utilisant des déchets en substitution de matières premières (22).

En effet, la définition juridique du déchet implique que ce statut dépend avant tout du comportement de son détenteur (« toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » art. L. 541-1-1 du code de l’environnement).

Comme le rappelait à ce titre la « note de discussion sur le statut de déchet » du 18 février 2015 « Le statut de déchet réside dans la notion de se défaire et l’intention de se défaire qui vont au-delà de la notion d’abandon. Ainsi la qualification de déchet est difficile à appréhender de façon générique puisqu’elle dépend de la volonté du détenteur sur le devenir de la substance ou de l’objet ».

Nous l’avons fait valoir également à de très nombreuses reprises ici, mais aussi et lors d’un article publié dans la revue Droit de l’environnement (Carl Enckell, évolution du statut de déchet : une contribution à l’économie circulaire ?, revue Droit de l’environnement, décembre 2013).

2.1. Statut juridique de ce qui est produit par une installation de traitement de déchets

Selon le Ministère, les matériaux produits par les installations de traitement de déchets demeurent par principe des déchets et peuvent devenir par exception des produits.

a. Le principe et le champ d’application

Le Ministère rappelle en introduction que les déchets passant par une installation de traitement de déchets demeurent juridiquement des déchets : « Tout déchet qui est traité dans une installation de traitement de déchets conserve un statut juridique de déchet après traitement ».

L’avis précise qu’on entend par « installations de traitement de déchet » les installations dont l’activité relève d’un des codes 27XX de la nomenclature des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), annexée à l’article R. 511-9 du code de l’environnement, à savoir toutes les installations classées dans la rubrique déchets :

b. Les exceptions

Par exception au principe, le Ministère de l’Ecologie reconnaît que certains déchets peuvent néanmoins sortir du statut juridique de déchet à l’occasion de leur passage par une installation de traitement de déchet :

  1. lorsque cette possibilité est prévue :
  • dans un règlement européen (à savoir, ferrailles, verre ou cuivre)
  • ou un arrêté ministériel spécifiques à ce type de déchets (seul exemple en France : Arrêté Ministériel du 29 juillet 2014 sur les bois d’emballage, auquel nous avons contribué)
  1. et si l’intégralité des critères fixés par le règlement européen ou l’arrêté ministériel sont respectés.

On parle alors de sortie « explicite » du statut de déchet.

c. Application des règlements REACH et CLP aux matériaux sortis explicitement du statut de déchet ?

Le Ministère souligne un point important, qui fait encore débat : Dans le cas d’une sortie explicite du statut de déchet, le produit issu du déchet doit respecter les dispositions des règlements :

  • REACH (règlement (CE) n° 1907/2006 du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances)
  • mais aussi CLP (règlement (CE) n° 1272/2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges)

d. Notre analyse

Précisons tout de même, et c’est un point essentiel, que le respect du règlement REACH n’implique pas nécessairement la mise en œuvre d’une procédure d’enregistrement.

En effet, dans le cas ou les matériaux sont des articles, il est possible de revendiquer une exemption, comme c’est le cas pour les recycleurs de granulats et leurs utilisateurs au Pays-Bas et dans d’autres pays européens.

De même, on ne manquera pas de relever que la proposition de Directive modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets, diffusé à l’occasion du nouveau paquet économie circulaire de la Commission européenne (diffusée le 2 décembre 2015), ne fait plus de la sortie de statut de déchet une possibilité mais une nécessité pour les Etats membres, dans le cas ou ils ont subi une opération de valorisation (COM 2015 595 final).

Selon ce projet, la procédure de sortie de statut de déchet (de ce qui est valorisé par une installation de traitement de déchets) n’est pas une opération neutre mais une fin en soi, dès lors que les conditions sont réunies.

2.2. Statut juridique de ce qui est produit par une installation de production utilisant des déchets en substitution de matières premières

a. Le principe

Dans le cas des matériaux produits par une installation de production utilisant des déchets en substitution de matières premières, le principe est inversé : ces matériaux sont présumés des produits.

Le Ministère précise qu’on entend par « installations de production » les seules installations inscrites à la nomenclature des ICPE (qu’elles soient soumises à un régime d’autorisation, d’enregistrement ou de déclaration ou non) et dont l’intitulé de la rubrique comprend les termes exacts « production de… », « fabrication de… », « préparation de… », « élaboration de… » ou « transformation de… ».

A savoir un nombre important d’installations classées, qu’il serait difficile de répertorier. Mais qui vise aussi bien les installations utilisant des déchets en substitution de matières premières pour une valorisation matière que pour une valorisation énergétique.

Et peut être pourquoi pas les installations valorisation des combustibles solides de récupération (CSR) (consultation en cours) ? dès lors que :

  • ce sont des installations de «  production de chaleur et/ou d’électricité »
  • et qu’elles relèvent de la rubrique 2971 de la nomenclature des ICPE

b. Les modalités

Le Ministère s’appui à nouveau sur le règlement REACH et envisage deux hypothèses :

  1. Tout d’abord, un article ou un assemblage d’articles constituant un objet (au sens du règlement REACH), lui-même fabriqué dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matières premières, n’a pas le statut de déchet.
  2. De même, une substance ou un mélange (au sens des règlements REACH et CLP), élaboré dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matières premières, n’a pas le statut de déchet quand cette substance ou ce mélange est similaire à la substance ou au mélange qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets.

Dans ces différents cas, on parle alors de sortie « implicite » du statut de déchet.

Les critères de reconnaissance de la sortie implicite de statut de déchet sont donc les suivants. Il convient de démontrer :

  • que les matériaux  sont des articles, assemblages d’article, substance ou mélange au sens de REACH et qu’ils respectent les dispositions des règlements REACH et CLP ;
  • que les matériaux  sont utilisés en remplacement de matières premières dans une ICPE de production
  • que la substance ou le mélange produit est similaire à la substance ou au mélange qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets.

Le ministère précise que cette interprétation est valable pour les produits finis mais aussi pour ceux pouvant être qualifiés de matières premières ou de produits intermédiaires.

Précisons que certains combustibles sont exemptés totalement ou partiellement de REACH, notamment les carburants pour les moteurs, carburants et combustibles utilisés dans des installations de combustion mobiles ou fixes de produits dérivés d’huiles minérales et aux utilisations comme carburants et combustibles en système fermés.

De sorte que la sortie implicite de sortie de statut de déchet pourrait être plus facile pour certaines formes de valorisation énergétique.

c. Cas des ex-déchets recyclés, au sein d’installations non classées (qui ne sont pas ICPE)

La reconnaissance d’une sortie implicite du statut de déchet ne vaut, d’après cet avis, que pour les matériaux élaborés, à partir d’ex-déchets recyclés, au sein d’une installation classée (ICPE).

L’installation de production doit donc elle-même relever de la procédure ICPE.

Cette limitation semble témoigner d’une prudence du Ministère de l’Ecologie. Elle peut aussi s’expliquer par le fait que la DGPR, à l’origine de l’avis, est compétente pour réglementer l’exploitation des ICPE. Le Ministère consacre donc avant tout son interprétation de la procédure de sortie de statut de déchet implicite aux activités qu’il réglemente et contrôle.

Nous sommes cependant d’avis que d’autres installations de productions (manufactures, ateliers…) pourront également invoquer la reconnaissance d’une procédure de sortie implicite de statut de déchets quand bien même elles ne relèveraient pas de la procédure ICPE.

d. Cas des sous-produits

L’avis publié le 13 janvier 2016 revient en dernier lieu, mais très timidement, sur le cas des sous-produits.

Il précise sur ce point, de manière sibylline, que « Cette interprétation ne s’étend pas aux éventuels résidus des processus de production dont le statut juridique doit être apprécié au cas par cas ».

Rappelons à ce titre que la loi pour la transition énergétique et la croissance verte du 17 août 2015 a supprimé la condition de la mise en œuvre du statut juridique du sous-produit via un décret d’application.

C’est donc la jurisprudence (européenne principalement) qui s’applique uniquement en la matière.

Le Ministère écarte opportunément les résidus de processus de production de l’option d’une sortie de statut de déchet, cette dernière démarche ne valant que pour les résidus de processus de consommation.

Pour autant, des résidus de processus de production dont l’utilisation ultérieure est certaine (parmi d’autres conditions) sont des sous-produits et, donc, des produits. C’est au cas par cas que les opérateurs économiques pourront le démontrer, par le biais d’une analyse technico-juridique.

e. Un avis : quelle valeur juridique ?

Les « avis » (au sens d’information), émis par les ministères et publiés au JO peuvent être des décisions qui s’imposent dans ce cas à leurs destinataires et sont contestables. Tel est le cas de :

  • L’avis du Ministère de l’économie de l’économie à l’intention des exportateurs ou importateurs : CE, Sect. 28 juin 1974, Charmasson;
  • L’« avis » du premier ministre relatif au statut de certaines exportations : CE, Ass. 18 avril 1980, Maxi-Librati création.
  • L’ « avis » émanant du Ministère de la santé à l’intention des fabricants de certaines spécialités pharmaceutiques (CE, 16 juin 1990, SARL Santa Cura)

Sont, au contraire, insusceptibles de recours les mesures qui ne font que donner des renseignements et informations, relativement à des faits ou par rappel de l’état du droit :

Par exemple, CE, 25 mars 1964, Avalle, ou 21 mars 1986, Synd. Nat. Des pharmaciens d’hôpitaux : indication de l’interprétation qui devrait être donnée à diverses dispositions (Chapus, Contentieux adm., p. 462 et 491).

En l’espèce, l’avis publié au JO le 13 janvier 2016 fait valoir une interprétation du statut juridique de déchet, ce qui nous semble dépasser le stade de la simple information, mais ce point mérite d’être approfondi.

3. Conclusion

Au terme de cette analyse, on saluera la prise de position du Ministère, qui reconnaît une sortie implicite de statut de déchet. Sans doute avant tout pour des raisons d’intérêt général, mais peut être aussi également pour désencombrer la commission consultative sur la sortie de statut de déchet de demandes inappropriées.

L’avis aux exploitants d’installations de traitement de déchets et aux exploitants d’installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières permet de faire émerger plusieurs options permettant de sortir du statut juridique du déchet :

  1. Deux procédures génériques pour les résidus de processus de consommation qui sont devenus des déchets :
  • la procédure explicite de sortie de statut de déchet ;
  • et la procédure implicite de sortie de statut de déchet, dont les modalités pratiques demeurent tout de même à préciser
  1. Une procédure au cas par cas pour les résidus de processus de production, qui peuvent se voir reconnaître le statut de sous-produit et, donc, de produit, dont les modalités pratiques demeurent là aussi à préciser

Cet avis soulèvera donc sans doute encore beaucoup de questions, s’agissant aussi bien des modalités, des critères, du cas particulier des combustibles exemptés de REACH ou encore de la frontière entre les différentes catégories pour les sites mutifonctions.

Mais il va certainement dans le bon sens, celui d’un passage d’une logique de traitement des déchets à une logique de gestion des ressources.

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Liaison ferroviaire de l’aéroport Bâle-Mulhouse : le tribunal administratif de Strasbourg prescrit de compléter l’étude d’impact sur les zones humides

Par une décision du 7 avril 2025, le tribunal administratif de Strasbourg vient de juger que l’étude d’impact du projet de liaison ferroviaire vers l’aéroport de Bâle-Mulhouse, porté par les sociétés SNCF et EuroAirport (d’une longueur de 6 km et d’un coût estimé d’environ 400 millions d’euros), était partiellement insuffisante s’agissant de la délimitation des zones humides (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2206161).

En conséquence, le tribunal sursoit à statuer sur la demande des associations (notamment Alsace Nature) dirigée contre l’arrêté du 14 mars 2022 du préfet du Haut-Rhin portant déclaration d’utilité publique (DUP) du projet. Le juge fixe à l’Etat et au maître d’ouvrage un délai de 12 mois pour que l’étude d’impact environnemental soit complétée, via une procédure dite de régularisation. Ainsi, une fois le dossier complété, le tribunal réexaminera le recours.

  • Le jugement du 8 avril 2025 : insuffisance de l’étude d’impact sur la délimitation des zones humides

Le tribunal juge que les études ont négligé une part importante des zones humides impactées (42% selon l’avocat des associations) : « pour procéder au calcul de la superficie des zones humides, les maîtres d’ouvrage ont, à tort, fait une application cumulative des critères ‘habitats’ et ‘sols’, alors que ces critères sont alternatifs. L’étude d’impact est dès lors entachée d’inexactitude sur ce point » (consid. 12).

Le jugement laisse ainsi entendre que le diagnostic écologique du projet n’a pas pris en compte la nouvelle définition – plus exigeante – des zones humides, introduite par la loi du 24 juillet 2019 (art. L211-1 c. env. I, 1°). L’autorité environnementale recommandait déjà, dans son avis émis sur le projet le 22 janvier 2020, « de reprendre l’inventaire des zones humides selon la réglementation actuellement en vigueur » (p. 16).

Enfin, pour répondre à l’argumentation en défense de l’Etat, le tribunal souligne que « compte tenu de l’intérêt écologique particulier qui s’attache aux zones humides, et de la nécessité qui en découle de prévoir des mesures adaptées, » celles-ci doivent être prises en compte dès le stade de l’étude d’impact rattachée à la procédure de DUP (consid. 13), sans attendre donc l’étape ultérieure de l’autorisation environnementale.

  • Notre analyse et nos préconisations

1. Il est important de souligner que les compléments d’analyse de l’étude d’impact prescrits par le tribunal ne sont pas seulement destinés à régulariser un vice de forme. En effet, le jugement souligne explicitement que le tribunal réserve sa décision sur d’autres arguments soulevés par les requérants : « dès lors que la modification de la superficie des zones humides est susceptible d’avoir des conséquences sur d’autres aspects du projet, les moyens tirés de l’insuffisante évaluation des enjeux des milieux naturels […], de l’insuffisance du bilan environnemental et des mesures compensatoires, et de l’utilité publique du projet, doivent être réservés jusqu’en fin d’instance. » (consid. 18).

Il est déroutant que le communiqué de presse du tribunal semble contredire le jugement sur ce dernier point, en indiquant « Le tribunal n’a pas remis en cause le caractère d’utilité publique du projet, constatant que la nécessité d’améliorer l’accès à l’aéroport répondait à une finalité d’intérêt général et n’emportait pas de conséquences économiques, environnementales et sociales excessives ». Car, en réalité, le tribunal confirme l’utilité publique du projet dans un second jugement rendu le même jour, en réponse aux arguments soulevés par la commune suisse d’Allschwil (TA Strasbourg, 7 avril 2025, 2203304).

Nonobstant, le juge souligne que la régularisation ne garantit pas le rejet du recours dans le cadre de l’audience de réexamen qui interviendra en 2026.

2. En ce sens, il peut être fait mention d’une autre décision récente rendue par la Cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy, 3 avril 2025, 20NC00801). Dans cette affaire, le juge administratif a annulé l’autorisation environnementale d’un projet éolien d’envergure (63 éoliennes sur 7 communes) malgré la régularisation des vices relevés par la même juridiction, trois ans auparavant, s’agissant de l’absence d’avis indépendant de l’autorité environnementale. En définitive, le juge annule le projet sur la base de nouveaux vices révélés par l’avis obtenu durant le délai de régularisation (à savoir saturation du paysage et effet d’écrasement).

3. Bien que le mécanisme de régularisation en cours d’instance contribue à la sécurité des projets, ces décisions des juridictions du fond illustrent qu’il constitue plutôt une « seconde chance », sans garantie. Elles soulignent également l’importance du respect de la procédure (complétude de l’étude d’impact, prise en compte autant que possible de l’avis de l’autorité environnementale s’agissant de l’évaluation exhaustive des impacts environnementaux).

Ainsi, si les normes ou les règles de l’art évoluent dans le cadre de l’instruction et qu’elles peuvent influer l’impact environnemental de l’opération, alors il appartient au maître d’ouvrage de les prendre en compte dans le cadre de mise à jour des études. D’ailleurs, dans ce cas de figure, le promoteur peut toujours opter pour la « régularisation spontanée », c’est-à-dire régulariser son dossier de sa propre initiative, sans attendre la décision du juge (CE 22 sept. 2014, SIETOM, n° 367889).

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Par deux jugements du 3 décembre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les recours dirigés contre un projet de centrale solaire de 20 MW situé en région Nouvelle Aquitaine (TA Limoges, 3 décembre 2024, 2101881, 2101882 et 2101873). Le développeur du projet était défendu par le cabinet Altes.

Le tribunal a jugé que le projet respectait la réglementation locale d’urbanisme (1) et qu’il n’engendrait pas d’impact environnemental ou paysager (2).

1/ La centrale solaire respecte la réglementation d’urbanisme

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le préfet est compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les ouvrages de production d’énergie (art. L422-2, b. du code de l’urbanisme). Parallèlement, la commune ou l’intercommunalité est compétente pour fixer la réglementation d’urbanisme.

1.1. Pas d’illégalité du PLU

Les requérants invoquaient l’« exception d’illégalité » de la règle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune autorisant des « constructions industrielles concourant à la production d’énergie (centrale solaire PV…) » dans un secteur dédié aux activités sportives, touristiques et de loisir.

Le juge a écarté ce moyen en considérant que le développement des énergies renouvelables n’était pas incompatible avec la promotion de ces activités.

1.2. Pas d’obligation de sursis à statuer en attendant le nouveau PLU en cours d’élaboration

Les requérants reprochaient au préfet de ne pas avoir sursis à statuer sur la demande de permis. Cette possibilité prévue par le code de l’urbanisme (articles L. 153-11 et L. 424-1), concerne le cas où un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’utilisation ou non de cette faculté, limitée à l’erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens CE, 26 janv. 1979, n° 01485).

Le tribunal juge sur ce point que le seul projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du futur PLU ne justifiait pas un sursis à statuer au regard de son contenu : « eu égard à leur portée et à leur caractère général et en l’absence de zonage les concrétisant, les orientations précitées du PADD ne peuvent être regardées comme traduisant un état d’avancement du projet de plan local d’urbanisme suffisant à fonder une décision de sursis, compte tenu de la localisation du projet en litige ».

Il a sur ce point confirmé la jurisprudence selon laquelle un sursis ne peut être pris que si le projet de PLU forme une quasi-norme, formalisée et décantée (voir en ce sens CE, 9 déc. 1988, n° 68286 ; CE, 21 avril 2021, n°437599, conclusions du RP ; et aussi par ex. CAA Bordeaux, 9 juill. 2020, n° 19BX00571). Ainsi, l’exécution du PADD n’étant pas compromise ou rendue plus onéreuse, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

2/ La centrale solaire n’emporte aucun impact environnemental ou paysager sur le golf voisin

Les requérants contestaient enfin les impacts du projet sur l’environnement (art. R. 111-26 du code de l’urbanisme). Cependant, le tribunal juge que la localisation du projet dans une zone agricole non artificialisée ne permet pas d’établir des atteintes à l’environnement.

Les autres impacts présumés sur le paysage (art. R. 111-27), notamment un impact visuel sur un golf voisin, des risques liées aux retombées de balles, des impacts sur le drainage du terrain, ainsi qu’une dépréciation de la valeur du golf ne sont pas matériellement démontrés, d’autant plus que le projet répond efficacement à chacun de ces présumés impacts, notamment grâce à la topographie et des mesures d’insertion.

Ces jugements constituent un signal encourageant pour le développement des énergies renouvelables, même dans un contexte local parfois éprouvant. Ils démontrent également l’importance de la coordination entre le préfet et la commune dans le processus de délivrance des permis des installations de production d’énergie. Ainsi que, au besoin, l’utilité d’un accompagnement juridique des promoteurs pour limiter le risque d’annulation.

Share This