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Les parcs éoliens peuvent-ils être autorisés tacitement ? (oui mais depuis peu)

par | 30 Oct 2012

article_Eolienne-2.jpgLa question de l’octroi d’autorisations administratives tacites pour la réalisation d’équipements industriels est un sujet sensible.

En effet, les opérateurs peuvent hésiter à se contenter du silence de l’administration pour s’estimer bénéficiaires de droits acquis et pouvoir démarrer les travaux en toute sécurité.

En outre, la réglementation est parfois d’une telle complexité qu’il peut-être difficile de déterminer si le silence de l’administration, à l’échéance du délai d’instruction, vaut accord ou au contraire refus tacite.

Si la pratique et la mise en œuvre des autorisations tacites est relativement courante pour des opérations de construction immobilières soumises au droit de l’urbanisme, il en va différemment pour des opérations industrielles soumises à une réglementation plus complexe.

Qu’en est–il pour les parcs éoliens en particulier ? Un examen au cas par cas montre que le classement sous le régime des ICPE a permis aux parcs éoliens de bénéficier de permis de construire tacites. Un « bienfait » de la nouvelle réglementation bien souvent oublié. Au contraire, auparavant, le silence de l’administration valait refus.

La particularité des  parcs éoliens est que ces équipements ne sont désormais plus seulement soumis à permis de construire mais également à autorisation d’exploitation au titre de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Or, cette réforme a précisément eu pour conséquence de modifier le régime des autorisations tacites applicables.

1. Effets des refus tacites pour les parcs éoliens seulement soumis à permis de construire

Jusqu’en juillet 2011, les parcs éoliens étaient seulement soumis à permis de construire.

Il revenait alors à cette seule autorisation d’urbanisme de prévoir les conditions de construction mais aussi d’exploitation de l’équipement. C’est d’ailleurs pourquoi la procédure impliquait une étude d’impact environnementale et une enquête publique.

Dans ce cas, l’éventuel silence de l’administration à l’issu du délai d’instruction (dont la date est matérialisée par la lettre de notification des délais adressée au pétitionnaire une fois son dossier complet) valait refus tacite.

Ainsi, la Cour administrative d’appel de Douai a jugé dans un récent arrêt du 13 août 2012, EDP RENEWABLES France c/ Préfet de la Somme (req. n° 11DA01304) : « en vertu des dispositions combinées des articles R. 421-12 et R. 421-19 du code de l’urbanisme, de l’article L. 553-2 du code de l’environnement et du 34° de l’annexe I à l’article R. 123-1 du même code applicable, les demandes de permis de construire portant sur des éoliennes d’une hauteur de mât supérieure à 50 mètres et soumises, à ce titre, à enquête publique, ne peuvent donner lieu à l’octroi d’un permis de construire tacite ; que, contrairement à ce que soutient la SOCIETE EDP RENEWABLES FRANCE, l’impossibilité de bénéficier d’un permis de construire tacite n’est pas limitée aux demandes de permis de construire soumis à enquête publique au titre de la rubrique 21° de la même annexe ; qu’il ressort des dossiers de demande de permis de construire et de l’étude d’impact, et il n’est pas contesté, que les projets en litige portaient sur la réalisation d’éoliennes d’une hauteur de plus de 50 mètres ; qu’ils étaient soumis à ce titre à enquête publique ; qu’ils ne pouvaient, de ce fait, donner lieu à l’octroi de permis de construire tacites ainsi, d’ailleurs, que le préfet de la Somme en a informé la société pétitionnaire ».

Ainsi, pour les parcs éoliens seulement soumis à permis de construire, le silence de l’administration à l’issue du délai d’instruction de la demande équivaut à un refus tacite.

Mais ce principe n’est plus valable depuis que les parcs éoliens sont également soumis à autorisation au titre de la législation des ICPE.

2. Effets des refus tacites pour les parcs éoliens soumis à permis de construire et à autorisation ICPE

Depuis que les parcs éoliens sont classés dans le régime  des ICPE en plus de l’obligation d’obtention d’un permis de construire, il faut distinguer les deux procédures.

i. Pour la demande d’autorisation ICPE, l’article R. 512-26 al. 2 du Code de l’environnement dispose : « Le préfet statue dans les trois mois à compter du jour de réception par la préfecture du dossier de l’enquête transmis par le commissaire enquêteur. En cas d’impossibilité de statuer dans ce délai, le préfet, par arrêté motivé, fixe un nouveau délai« .

Par application de ce texte, le préfet doit statuer sur la demande d’autorisation ICPE dans un délai déterminé à compter de la réception du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur à l’issue de l’enquête publique. Il doit au préalable adresser son projet d’arrêté au pétitionnaire pour observations. Si le préfet n’est pas en mesure de statuer, il doit proroger l’instruction par arrêté motivé.

En revanche, selon une jurisprudence constante, le silence du préfet à l’échéance du délai de 3 mois n’entraîne ni le refus ni l’octroi de l’autorisation ICPE (CE, 9 juin 1995, Tchijakoff, 127763).

Dès lors, en cas de silence du préfet à l’issue du délai d’instruction, l’opérateur doit faire valoir que le préfet a l’obligation de statuer sur sa demande d’autorisation ICPE. Des prorogations successives peuvent faire grief au pétitionnaire et peuvent être contestées devant le juge administratif.

ii. Pour la demande de permis de construire, la procédure est différente.

En effet, dans ce cas, c’est la lettre de notification des délais d’instruction (éventuellement plusieurs courriers successifs en cas de prorogation du délai ou de pièces manquantes) qui détermine la date à laquelle l’autorité compétente doit se prononcer sur la demande.

Cette instruction n’a désormais plus de lien l’enquête publique, seulement prévue dans le cadre de la demande d’autorisation ICPE. Ainsi, le permis de construire du parc éolien peut être délivré avant ou après l’enquête publique de l’ICPE.

En pratique, en cas de silence de l’autorité compétente à l’échéance inscrite dans le courrier de notification du délai d’instruction, le principe est que le demandeur bénéficie d’un permis de construire tacite.

L’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme indique : « A défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III ci-dessus, le silence gardé par l’autorité compétente vaut, selon les cas :

a) Décision de non-opposition à la déclaration préalable ;

b) Permis de construire, permis d’aménager ou permis de démolir tacite.« 

Attention, cependant, car, par exception au principe, le silence continue de valoir refus tacite dans certains cas:

– Travaux soumis à l’autorisation du ministre de la défense ou à une autorisation au titre des sites classés ou des réserves naturelles;

– projet évoqué par le ministre chargé des sites;

– projet soumis à enquête publique en application du code de l’environnement;

– consultation de l’Assemblée de Corse;

– projet situé dans un espace ayant vocation à être classé dans le coeur d’un parc national;

– décision soumise à l’accord de l’architecte des Bâtiments de France si celui-ci a notifié un avis défavorable ou un avis favorable assorti de prescriptions.

En définitive, la question de l’octroi d’un permis de construire tacite ou pas est intimement liée à l’obligation d’une enquête publique.

Depuis le classement des parcs éoliens en ICPE, le permis de construire n’est plus soumis à enquête public et pourra donc, sauf exception, être obtenu tacitement.

Dans ce cas, l’opérateur éolien devra être très attentif aux documents qu’il affiche pour faire courir le délai de recours des tiers (lettre de notification des délais d’instruction).

Dans tous les cas il faudra également vérifier si le projet relève de l’une des exceptions visées. Attention car le préfet consulte souvent de manière facultative la CDNPS ou l’ABF sans que cela soit obligatoire. L’opérateur n’est alors pas dans le cas de l’une des exceptions.

L’Administration semble avoir bien intégré cette évolution et il lui arrive déjà d’attendre le dernier jour du délai d’instruction pour refuser le permis de construire, y compris pour des motifs discutables, mais avec pour principal objectif de ne pas laisser naître un permis tacite.

C’est peut être là un effet pervers des « bienfaits » de la réforme.

Addendum du 6 Octobre 2012 :

D’excellents confrères lillois observent à juste titre que le bénéfice d’un permis de construire tacite n’est certain que pour les éoliennes de moins de 50 mètres de haut, ce qui méritait effectivement d’être souligné.

En effet, depuis la réforme soumettant les parcs éoliens à autorisation ICPE, les demandes de permis de construire continuent d’être soumises à l’avis du ministère de la défense, par le mécanisme de renvoi du code de l’urbanisme vers l’article R.244-1 du Code de l’aviation civile (pris en application du futur article  L. 6352-1 du Code des transports) et l’arrêté pris pour son application du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l’établissement à l’extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation.

Dans un tel cas, l’octroi d’un permis de construire tacite n’est pas automatique et le silence de l’administration à l’issu du délai d’instruction vaudra refus.

On pourra ajouter 3 précisions :

i. Les délais d’instruction de la demande par les services de la défense sont ambigus. En effet, en pratique, l’administration peut se prévaloir alternativement :

– Soit d’un délai d’instruction d’un an par application de l’article R. 423-31 du Code de l’urbanisme (« Le délai d’instruction prévu par le b et le c de l’article R. 423-23 est porté à un an lorsque les travaux sont soumis à l’autorisation du ministre de la défense ou du ministre chargé des site. »).

– Soit d’un délai d’instruction de deux mois par application de l’article R.423-63 du Code de l’urbanisme (« Par exception aux dispositions de l’article R. 423-59, le délai à l’issue duquel le ministre chargé de l’aviation civile, le ministre de la défense ou leur délégué, consultés en application de l’article R. 425-9, sont réputés avoir émis un avis favorable est de deux mois »).

Ce dernier délai semble devoir prévaloir sur le premier compte tenu de la spécificité du texte dont il fait application.

iii. La jurisprudence semble parfois procéder à un contrôle in concreto de l’effet d’un parc éolien sur la navigation aérienne et de la nécessité corrélative d’obtenir l’autorisation spéciale du ministre de la défense. Ainsi, dans un arrêt du 4 janvier 2012, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé : «  qu’il résulte des dispositions précitées de l’article R. 425-9 du code de l’urbanisme et de l’article R. 244-1 du code de l’aviation civile que, dans l’hypothèse d’un projet susceptible, en raison de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ne peut être délivré en l’absence d’ une autorisation spéciale du ministre de la défense ; qu’il est constant que les deux projets litigieux, visant à la construction d’un total de sept éoliennes dans une zone d’entraînements militaires à basse et très basse altitude, sont susceptibles de constituer des obstacles à la navigation aérienne » (CAA Lyon, 4 janvier 2012, Soc Innovent, req. n° 10LY01901). Qu’en serait-il pour un parc éolien localisé en dehors de toute zone d’entraînement militaire, notamment à basse altitude ?

iii. L’instruction des projets éoliens par les services de l’aviation civile fait l’objet d’une procédure détaillée dans la circulaire du 2 janvier 2012 (guichet unique) et il serait souhaitable qu’un même mécanisme soit adopté pour les services de la défense.

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

La société Nièvre Agrisolaire a obtenu trois permis de construire, délivrés par arrêtés du préfet de la Nièvre en janvier 2023 pour l’implantation d’une centrale photovoltaïque au sol comprenant modules, quinze postes de transformation, et un poste de livraison.

Saisi d’un recours formé par des associations, le tribunal administratif de Dijon a rendu son jugement le 26 janvier 2024. Il procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Celle-ci résulte de l’association entre des panneaux photovoltaïques et la production de fourrages agricole de haute qualité incluant un séchoir thermovoltaïque.

Le juge reconnait ensuite des fragilités juridiques mais permet la régularisation du projet via la production d’un complément à l’étude d’impact puis un permis modificatif (jugement TA Dijon, 1re ch., 26 janv. 2024, n° 2300854).

Les communes objet du projet n’ayant pas de PLU, c’est le RNU qui s’applique.

1. Reconnaissance de la nature agrivoltaïque du projet

La question de la nature agrivoltaïque du projet relève au moins autant de la législation de l’énergie que de celle de l’urbanisme.

Ainsi, la définition d’une installation agrivoltaïque est désormais inscrite à l’article L. 314-36 du code de l’énergie, résultant de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (dite APER). Parmi d’autres conditions, la production agricole doit être l’activité principale de la parcelle agricole. La consultation publique du projet de décret d’application s’est quant à elle terminée en janvier 2024.

Les permis de construire objets du jugement du tribunal administratif de Dijon le 24 janvier 2024  sont antérieurs à la loi, ce qui peut expliquer pourquoi il ne s’y réfère pas. En revanche, le jugement procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Le juge administratif recourt ainsi en quelque sorte à la technique jurisprudentielle dite du « faisceau d’indices » :

  • le projet implique le remplacement de cultures céréalières et oléo-protéagineuses exploitées sur les parcelles d’assiette par une production fourragère dite « de haute qualité » répondant aux enjeux du plan dit « K végétales » lancé par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation à la fin de l’année 2020.
  • la centrale solaire  « sera construite de façon à permettre le maintien d’une activité agricole au sein des parcelles », avec notamment des distances minimales entre les rangs de modules photovoltaïques adaptées à la circulation des engins agricoles.
  • un séchoir thermovoltaïque dimensionné à l’organisation de l’exploitation assurera la production d’un fourrage séché en grange, d’une valeur nutritive notablement supérieure à celle du fourrage en champs et offrant de meilleurs débouchés commerciaux

Le tribunal relève également que « les ouvrages de production d’énergie et le séchoir concourent à la réalisation d’un même projet […] à savoir la construction d’un parc dit « agrivoltaïque », associant à la production d’électricité celle d’un fourrage » (considérant 13).

Enfin, le tribunal juge que le séchoir thermovoltaïque que la société envisage de construire (bâtiment de 80 mètres) concourt à la qualification de projet agrivoltaïque, dans la mesure où il permettra la production d’un fourrage à proximité du siège de l’exploitation, avec un débouché économique pour l’agriculteur.

Au vu de ces éléments, et alors même qu’il implique un changement du type de culture exercé sur le terrain (75 hectares de maïs), il apparait que la production agricole sera significative par rapport à la production d’électricité.

2. Les arguments rejetés par le tribunal

Le juge rejette les moyens avancés par les requérants s’agissant de l’appréciation satisfaisante et proportionnée des incidences du projet sur les paysages et le patrimoine culturel.

Le tribunal a également rejeté le moyen selon lequel l’étude d’impact serait insuffisante du fait du manque d’estimation des émissions attendus (pollution air eau sol sous-sol) puisque les parcelles concernées font déjà l’objet d’une exploitation agricole intensive.

Les moyens relatifs à l’illégalité de l’enquête publique sont également rejetés, ainsi que celui concernant la dérogation espèce protégée, en soulignant que l’obtention de la dérogation conditionne uniquement la mise en œuvre du permis de construire, mais pas sa légalité.

3. Les arguments accueillis par le tribunal

Le juge accueille néanmoins deux des arguments de procédure avancés par les requérants.

Le premier concerne le périmètre de l’étude d’impact (considérant 14). En effet, le juge rappelle que l’article L. 122-1 du code de l’environnement dispose que tout projet constitué de plusieurs interventions dans le milieu naturel doit être évalué dans son ensemble, même en cas de fractionnement dans le temps et l’espace, afin de comprendre ses incidences environnementales globales.

Le tribunal conclut que la construction du séchoir est nécessaire en raison du changement de type de culture induit par le parc photovoltaïque. Ces deux éléments concourent à la réalisation d’un même projet, qualifié d’agrivoltaïque. Par conséquent, l’étude d’impact aurait dû couvrir l’ensemble du projet, y compris la construction du séchoir.

Il estime que l’absence d’analyse des incidences environnementales du séchoir dans l’étude d’impact constitue une insuffisance préjudiciable à l’information complète de la population.

Le second moyen concerne la notion d’ensemble immobilier unique (considérant 49). L’article L. 421-1 du code de l’urbanisme requiert une autorisation de construire pour toute construction, même sans fondations. Selon l’article L. 421-6, la construction d’un ensemble immobilier unique devrait normalement faire l’objet d’une seule autorisation, sauf si l’ampleur et la complexité du projet justifient des permis distincts. Les requérants reprochent à la société Nièvre Agrisolaire de ne pas avoir inclus le séchoir dans ses demandes de permis, bien que celui-ci soit considéré comme essentiel pour maintenir des activités agricoles significatives sur les parcelles du projet.

Le tribunal affirme que le parc photovoltaïque et le séchoir, bien que distincts du point de vue technique et économique, forment un ensemble immobilier unique en raison de leurs liens fonctionnels et de leur impact sur le maintien des activités agricoles.

L’absence de présentation du séchoir dans les demandes de permis rend donc impossible une évaluation globale par l’autorité administrative du respect des règles d’urbanisme et de la protection des intérêts généraux.

4. Conséquences du jugement

Le juge fait usage de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme  et soumet le projet à régularisation pour chacun de ces deux vices, permettant ainsi de sauver le projet. En effet, s’agissant du périmètre de l’étude d’impact, il demande la production d’un complément à celle-ci. Quant à la qualification d’ensemble immobilier unique comprenant le séchoir, un permis modificatif est sollicité.

L’affaire sera donc à nouveau jugée dans quelques mois une fois la procédure de régularisation accomplie.

Eco-organismes : le Conseil d’État annule partiellement le décret portant réforme de la REP

Eco-organismes : le Conseil d’État annule partiellement le décret portant réforme de la REP

La société EcoDDS, éco-organisme de la filière des déchets diffus spécifiques ménagers, a demandé l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 novembre 2020 n°2020-1455 portant réforme de la responsabilité élargie des producteurs (REP), pris pour application de la loi AGEC.

Par une décision du 10 novembre 2023 n° 449213, publié au Journal Officiel n°0264 du 15 novembre 2023, le Conseil d’Etat a confirmé la solidité juridique du régime de la responsabilité élargie du producteur (REP) en apportant certaines précisions utiles (I).

Un des moyens présentés a cependant été retenu par le juge, relatif au mandat de représentation des producteurs (article R. 541-174 du code de l’environnement). Son annulation emporte des conséquences importantes immédiates pour les éco organismes (II).

I. Les dispositions conformes à la loi

La redevance versée à l’ADEME. Elle n’est pas une condition financière préalable au sens de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Les missions de suivi de l’Ademe sont également conformes à la loi AGEC.

La résorption des dépôts sauvages. Il revient au cahier des charges de chaque éco-organisme de prévoir au cas par cas si les coûts de ramassage et de traitement des déchets illégalement abandonnés sont pris en charge. Par ailleurs, ce dispositif ne méconnait pas les dispositions du TFUE relatives aux restrictions quantitatives, ni les objectifs de la directive Déchets s’agissant des couts nécessaires à la gestion des déchets.

Les garanties financières en cas de défaillance. Un dispositif financier a été créé pour garantir la continuité du service des éco-organismes (art R. 541-119 du code de l’environnement). Le terme « défaillance » est interprété de manière large, englobant toutes les situations pouvant compromettre la continuité du service public de gestion des déchets, tels que l’arrêt de l’activité, le non-renouvellement de l’agrément, ou des événements imprévus.

La consultation de l’Autorité de la concurrence n’était pas nécessaire, car les contrats types et l’uniformité des contributions n’entravent pas le libre choix des producteurs en matière de prix ou de conditions de vente.

La possibilité de prendre en charge les frais de mise en place des éco-organismes via les éco-contributions. Le Conseil juge que les frais de mise en place (le plus souvent engagés lors du dossier de candidature à l’agrément) peuvent être couverts par l’écocontribution au même titre que les frais de fonctionnement (considérant 47 de l’arrêt). En pratique, cette prise en charge sera rétroactive, puisque les fais de mise en place sont engagés avant l’agrément des éco-organismes.

Le soutien aux collectivités d’outre-mer. Le principe de planification par les éco-organismes est jugé conforme aux dispositions de la directive Déchets. La planification dans les collectivités d’outre-mer, régies par l’article 73 de la Constitution, sera mise en œuvre dans les cas où leurs performances sont inférieures à la moyenne métropolitaine.

Le barème amont. L’article R. 541-110 du code de l’environnement dispose que le cahier des charges peut détailler les modalités d’application du barème amont défini par la loi (L. 541-10-2 code env.). Le Conseil d’État valide cette disposition, au regard de la procédure transparente d’élaboration de ce barème, qui offre des garanties suffisantes et ne portant pas atteinte au principe de « bon rapport cout-efficacité ».

Par ailleurs, les modalités d’agrément des éco-organismes, la création et la compétence des comités des parties prenantes, la modulation de l’écocontribution, le rôle de l’organisme coordonnateur, les modalités d’autocontrôle sont également jugés conformes à la loi.

II. La disposition contraire à la loi : le mandat de subrogation pour les producteurs (art. R. 541-174 code env.)

2.1. Motifs de l’annulation

La société EcoDDS a obtenu l’annulation du décret en ce qu’il introduit l’article R. 541-174 dans le code de l’environnement. Cet article autorisait tout producteur, indépendamment de son origine, à déléguer à un mandataire la responsabilité « d’assurer le respect des obligations liées au régime de responsabilité élargie des producteurs », cette personne serait « subrogée dans toutes les obligations de responsabilité élargie du producteur » dont il acceptait le mandat.

Le Conseil d’État relève d’abord que la directive Déchets prévoit seulement une possibilité de mandat pour les producteurs qui commercialisent sur le territoire national des produits élaborés dans autre Etat (art. 8bis §5 de la directive). Dans ce cas, le mandataire est chargé d’assurer le respect des obligations qui découlent du régime de la REP.  La directive souligne en outre que les Etats membres peuvent définir d’autres exigences, telles que l’enregistrement l’information et la communication des données qui doivent être remplies par le mandataire, afin de suivre et de vérifier les obligations du producteur établi à l’étranger.

Ensuite, le Conseil d’État relève que la loi AGEC a partiellement transposé ce point de la directive à l’article L. 541-10 du code de l’environnement, sans mention d’un mandat, et en prévoyant simplement, pour les producteurs, l’obligation de « pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent ». La loi aborde ensuite la mise en place d’éco-organismes agrées auxquels les producteurs transfèrent leur obligation en contrepartie d’une contribution financière.

Ainsi, d’une part, seul le décret transpose cette disposition de la directive, et, d’autre part, selon des modalités singulièrement différentes. En effet, l’article R. 541-174 du code de l’environnement résultant du décret prévoit que le mandat :

  • est permis à tous les producteurs (produisant en France ou à l’étranger)
  • et qu’il emporte une subrogation intégrale dans les obligations du producteur

Ce qui a une portée beaucoup plus large qu’un simple mandat au sens du droit des obligations (art. 1346 et suivants du code civil). La responsabilité attachée à un mandat classique (articles 1984 et suivants du code civil) est plus limitée. Ainsi, dans le cas du mandat avec subrogation, le mandataire doit répondre des obligations du mandant vis-à-vis des tiers. Par exemple les pénalités contractuelles dues aux éco-organismes. Au contraire, dans le cas du simple mandat, le mandant est responsable des actes du mandataire (la responsabilité du mandataire ne pouvant être engagée envers les tiers que dans le cas où il méconnait le mandat).

Les conclusions du Rapporteur public, Nicolas Agnoux, permettent d’éclairer l’arrêt sur ce point : « Ces dispositions entretiennent ainsi une confusion entre la possibilité, prévue au paragraphe 5 de l’article 8 bis de la directive, de désigner un simple « mandataire » chargé d’agir au nom et pour le compte du producteur, sans transfert de responsabilité, conformément à la définition qu’en donne le code civil (art. 1984 et 1998) et un régime de subrogation entraînant, comme l’indique la deuxième phrase de l’article, un transfert de la responsabilité élargie du producteur. Or cette seconde hypothèse apparaît non seulement contraire à la directive (CE, 13 juillet 2006, 281231) mais également entachée d’incompétence en ce qu’elle régit les obligations civiles des opérateurs ».

Pour ces raisons, le Conseil d’État juge que le pouvoir règlementaire a excédé sa compétence. L’article R. 541-174 du code de l’environnement est annulé dans son intégralité et immédiatement, sans effet différé.

2.2. Conséquences de l’annulation

Le fondement réglementaire de la subrogation intégrale ayant disparu avec l’annulation de l’article R. 541-174 code env., les mandats passés sont a minima devenus inopposables à l’administration sur ce point (cad les dispositions contractuelles désignant les mandataires des producteurs comme interlocuteurs « exclusif » de l’éco-organisme).

L’annulation emportant en outre des effets rétroactifs, l’article est censé n’avoir jamais existé, ce qui peut nécessiter une reconstitution du passé par l’administration. Cela peut donc également remettre en question les poursuites engagées et les sanctions déjà infligées à des mandataires en lieu et place des producteurs (les pénalités au titre des dispositions contractuelles spécifiques à chaque éco-organisme mais aussi au besoin les amendes administratives tel que prévu à l’article L. 5421-10-11 code env.). En cas de préjudice (risque de remboursement notamment), la responsabilité de l’État pourra être engagée.

Pour mémoire, en faisant reposer la responsabilité sur les épaules du mandataire, le décret d’application de la loi AGEC partait d’une bonne intention, consistant à faciliter les possibilités de poursuites vis-à-vis de producteurs situés à l’étranger en cas de dysfonctionnement.

De ce fait, désormais, si un producteur établi à l’étranger importe sa production en France, il est seul soumis au régime de la responsabilité élargie du producteur. Dans la mesure où il méconnaitrait ses obligations, l’éco-organisme doit le poursuivre directement et pas son mandataire.

Un mandat simple de représentation demeure possible. De même les cas particuliers ou des groupes ou maisons mères sont désignés mandataires par leurs filiales doivent pouvoir être pris en compte par les eco-organismes, y compris avec une responsabilité solidaire si elle est librement consentie.

2.3. Suites possibles

Une solution serait que le législateur vote une disposition reprenant les termes de l’article R. 541-174 du code de l’environnement, à savoir la possibilité d’un mandat avec subrogation intégrale pour les producteurs, sous réserve de sa conventionnalité et de sa constitutionnalité. Elle ne sera cependant valable que pour l’avenir, sans effets rétroactifs.

Save the date – Conférence du CEREMA : « Économie circulaire dans le BTP »

Save the date – Conférence du CEREMA : « Économie circulaire dans le BTP »

Le Département Infrastructures et Matériaux du Cerema Méditerranée organise une Conférence Technique Territoriale le 12 octobre 2023 :

« Economie circulaire dans le BTP : développements et perspectives sur notre territoire« .

Maitre Rosalie Amabile, responsable du bureau de Marseille du cabinet Altes, y interviendra sur le thème du « Cadre juridique de l’économie circulaire : commande publique et BTP »

Le nombre de places est limité et la conférence aura lieu uniquement en présentiel sur le site d’Aix-en-Provence.

Les inscriptions sont obligatoires et se font par internet via ce lien.

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