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Exonération de TGAP pour les seuls mâchefers non valorisables : une fiscalité anti-écologique ?

par | 6 Juil 2011

mâchefers,douanes,taxe,tgap,fiscalité écologique,recyclage,sortie du statut de déchetLa fiscalité environnementale est un outil des politiques environnementales destiné à favoriser les comportements vertueux. Contrairement aux autres instruments fiscaux, elle n’a pas principalement vocation à financer les besoins (et les dépenses) de l’État et des collectivités publiques.

La publication au JO (30 juin) du décret du 28 juin 2011 fixant les conditions permettant de déterminer si les mâchefers sont ou non exonérés de TGAP témoigne, avec la circulaire des Douanes du 30 mars 2011, de la difficulté à se doter d’une fiscalité environnementale réellement incitative.

En effet, selon ces deux textes, l’exploitant d’un centre de stockage est incité à enfouir les mâchefers  (pas de TGAP)  plutôt qu’à les recycler à des fins de couverture (TGAP). A l’heure de la société du recyclage, ce dispositif ne favorise pas les comportements vertueux.

La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), instituée le 1er janvier 1999, a été conçue pour modifier les comportements dans un sens plus favorable à l’environnement. Elle porte sur huit catégories d’activités polluantes. Pour les déchets, le fait générateur de la TGAP est leur réception dans une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés.

Le décret du 28 juin 2011 et la circulaire du 30 mars 2011 témoignent de la difficulté à se doter d’une fiscalité environnementale réellement incitative, s’agissant des mâchefers.

1. Les mâchefers sont des résidus non dangereux provenant des fours d’incinération de déchets ménagers et assimilés. Ils peuvent être valorisés. Jusqu’à cette année, les mâchefers stockés en Centre de stockage de déchets non dangereux (CSDnD ou classe 2) étaient soumis à la TGAP. Ainsi, les mâchefers étaient taxés deux fois : d’abord sur le volume de déchets entrant dans l’usine d’incinération ; ensuite lors de leur stockage en centre d’enfouissement.

Cette double taxation a été corrigée par la loi de finances rectificative pour 2010 : « Le tarif applicable aux déchets réceptionnés dans une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés ne s’applique pas aux résidus de traitement des installations de traitement de déchets assujetties à la taxe générale sur les activités polluantes lorsque ceux-ci ne peuvent faire l’objet d’aucune valorisation pour des raisons techniques définies par décret ; à défaut de publication de ce décret dans les six mois suivant la promulgation de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, la taxe ne s’applique pas auxdits résidus » (4 bis de l’article 266 nonies du Code des douanes).

Selon ce texte, des mâchefers non valorisables enfouis dans un centre de stockage de déchets non dangereux (CSDnD) ne sont pas soumis à la TGAP. Le décret du 28 juin 2011 vient d’être pris pour son application. Il fixe les conditions techniques permettant de déterminer si les mâchefers peuvent ou non faire l’objet d’une valorisation. Selon les cas, les mâchefers seront exonérés de TGAP.

En pratique, divers paramètres devront être analysés, tel que le comportement à la lixiviation selon la teneur en éléments polluants (carbone, benzène, tolluène). En outre, les mâchefers devront faire l’objet de bordereaux de suivi des déchets, tenus à la disposition de l’Inspection des installations classées et du service chargé du contrôle de la TGAP.

En définitive, pour éviter une double taxation, les exploitants de centre de stockage n’auront plus à payer de TGAP pour l’enfouissement de mâchefers ayant vocation à rester des déchets (car non valorisables).

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2. Tout au contraire, d’après la circulaire du 30 mars 2011, les mâchefers valorisables sont à intégrer dans l’assiette de la TGAP : « [33] Les mâchefers sont des résidus incombustibles solides des déchets, récupérés en sortie du four d’incinération. Ce ne sont pas des déchets inertes, au sens du III de l’article 266 sexies du code des douanes, pouvant bénéficier de l’exonération de 20 %. L’utilisation de mâchefers a des fins de couverture périodique des déchets pour réduire les émissions d’odeurs et les envols de déchets ne remet pas en cause son caractère de déchet taxable. La circulaire 94 IV 1 du 19 mai 1994 de la direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR) définit les conditions dans lesquelles les mâchefers peuvent être utilises en travaux publics mais elle n’exonère pas de TGAP la réception de mâchefers dans un CSDnD ».

En effet, d’après la circulaire 94 IV 1 du 19 mai 1994, les mâchefers valorisables (V) peuvent être utilisés pour des travaux publics (en sous-couche routière). Dans ce cas, on doit considérer que le mâchefer a quitté le statut de déchet pour redevenir un « produit » s’il répond aux critères prévus par l’article L.541-4-3 du code de l’environnement pour considérer qu’un déchet cesse d’être un déchet :

– la substance ou l’objet doit couramment être utilisée à des fins spécifiques ;

– il doit exister une demande pour une telle substance ou objet ou elle répond à un marché ;

– la substance ou l’objet doit remplir les exigences techniques aux fins spécifiques et respecter la législation et les normes applicables aux produits ;

– son utilisation ne doit pas avoir d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humain.

Néanmoins, selon la circulaire des douanes du 30 mars 2011, le même mâchefer valorisable (mêmes caractéristiques techniques) n’est plus un produit s’il est utilisé dans un centre de stockage de déchets non dangereux comme couverture (notamment pour réduire les émissions d’odeurs et les envols de déchets).

Pourtant, dans un tel cas, le mâchefer remplace de la terre végétale ou, au minimum, un déchet inerte. Or, la circulaire exonère les déchets inertes (définis au III de l’article 266 sexies du code des douanes) de la TGAP dans la limite de 20 % de la quantité annuelle totale de déchets reçus par installation. Cette distinction subtile s’explique sans doute parce que les mâchefers valorisables ne sont pas exactement des « déchets qui ne se décomposent pas, ne brûlent pas et ne produisent aucune autre réaction physique ou chimique, ne sont pas biodégradables et ne détériorent pas d’autres matières avec lesquelles ils entrent en contact » au sens du III de l’article 266 sexies du code des douanes.

Il n’en demeure pas moins que la circulaire du 30 mars 2011 soumet tous les mâchefers valorisés en centre de stockage à la TGAP, quand bien même ils représenteraient moins de 20 % des déchets reçus.

En définitive l’exploitant d’un centre de stockage :

a. devra payer de la TGAP s’il valorise des mâchefers à des fins de couverture (à la place de terre végétale par exemple)

b. au contraire, sera exonéré de TGAP pour l’enfouissement de mâchefers non valorisables

Voilà un dispositif fiscal qui devrait inciter à ne pas recycler les mâchefers dans les centres de stockage. A l’heure de la société du recyclage, peut-on y voir une fiscalité environnementale réellement incitative de comportements vertueux ?

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024277736&fastPos=1&fastReqId=1487362656&categorieLien=id&oldAction=rechTexte

http://www.douane.gouv.fr/data/file/6854.pdf

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle jouit d’un monopole d’exploitation lui permettant de s’opposer aux pratiques des tiers.

Le droit des marques confère cette protection notamment par le biais de l’action en contrefaçon (civile) permettant d’engager la responsabilité de celui qui se livre à l’une des atteintes énumérées (article L.716-4 du Code de propriété intellectuelle).

Une autre action, dite en concurrence déloyale (article 1240 et 1241 du Code civil), permet d’engager la responsabilité de celui dont le comportement s’inscrit en violation des règles du commerce, et ce en dehors de tout droit privatif.

Alors que le commerce de contrefaçon dans le monde atteint 467 Md$ (rapport de l’OCDE sur la situation mondiale du commerce de contrefaçon), les titulaires de droits intellectuels s’étant livrés à de réels investissements, s’interrogent sur les actions à conduire afin d’obtenir des sanctions, si possible lourdes et dissuasives.

Les titulaires des droits intellectuels peuvent-ils envisager le cumul de l’action en contrefaçon et de l’action en concurrence déloyale ?

C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 mars 2025 (Com. 26 mars 2025, FS-B, n° 23-13.589).

En l’espèce, la société Cargo Media AG exploite un site de rencontres pour adultes à caractère sexuel dénommé « Fuckbook ». Dans ce cadre, elle a acquis deux noms de domaine (« fuckbook.xxx » et « fuckbook.com »). Invoquant l’atteinte à ses droits, la célèbre société Meta Platforms Inc. (anciennement Facebook Inc.) invoque l’atteinte à ses marques renommées, la contrefaçon de marques (verbales et figuratives) ainsi qu’une concurrence déloyale.

La Cour d’appel de Paris (Paris, 28 octobre 2022) a fait droit aux demandes de la société Meta Platforms Inc. en retenant l’atteinte à la renommée des marques, prononce des mesures d’interdiction et condamne la société Cargo Media AG au paiement de dommages et intérêts.

Suite à un pourvoi formé par la société Cargo Media AG, la Cour de cassation a confirmé – par son arrêt du 26 mars 2025 – le raisonnement des juges du fond.

Le premier moyen de la société Cargo Media AG portait sur la détermination du public de référence. Elle remettait en cause la détermination du public choisi pour apprécier le risque de confusion (critère essentiel pour la qualification de contrefaçon). Elle soutenait qu’il ne pouvait s’agir du « public qui utilise les réseaux sociaux » et qu’il convenait de se livrer à une détermination plus précise.

À cet argument, qui « ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation des juges du fond », la Cour répond négativement : le public de référence – à l’appui duquel il convient d’apprécier le risque de confusion entre les marques en cause et le signe « Fuckbook » – est un public qui se confond dans la catégorie plus large du « public des services du réseau social « Facebook ».

Le public de référence peut donc être un public particulier qui entre dans une catégorie plus large. Partant de ces constatations, le risque de confusion et le risque de confusion sont confirmés.

Le second moyen de la société Cargo Media AG portait sur le cumul entre la contrefaçon et la concurrence déloyale. Elle affirmait qu’en l’espèce, un tel cumul était impossible en raison de l’absence de constatation de faits distincts de ceux à l’appui desquels avait été prononcée la contrefaçon.

C’est sur l’appréciation de ces faits distincts que réside le cœur de l’arrêt commenté.

Rompant avec le raisonnement du tribunal judiciaire, les juges de la Cour d’appel de Paris avaient en effet considéré que « les atteintes au nom commercial Facebook et au nom de domaine facebook.com constituent des faits distincts de concurrence déloyale, s’agissant de sanctionner un comportement fautif différent ».

Pour arbitrer de point, la Haute juridiction fait référence à sa jurisprudence antérieure. Les deux actions sont cumulables à condition que la concurrence déloyale résulte de faits distincts de ceux retenus pour la contrefaçon. Toutefois, il ne faut pas confondre faits distincts et faits matériels. En effet, un seul fait matériel peut caractériser des faits distincts « s’il porte atteinte à des droits de nature différente ». En l’espèce, le nom commercial et le nom de domaine se distinguent des droits détenus sur une marque. Dès lors, lorsque s’illustre un risque de confusion, les deux actions peuvent être cumulées puisqu’elles reposent sur des faits distincts (à entendre au sens de conséquences distinctes). La Cour d’appel avait retenu un tel risque résultant de la création, l’esprit du public de référence, d’une impression de continuité économique entre les deux entités. 

La dernière étape du raisonnement de la Cour porte sur la conséquence attachée à ce cumul. Elle affirme, « la victime peut obtenir, au titre de la concurrence déloyale, la réparation du préjudice distinct né de l’atteinte à la distinctivité de ses signes d’identification, tels le nom commercial ou le nom de domaine, seulement si le préjudice n’est pas déjà réparé au titre de la contrefaçon ». Pour que le cumul soit prononcé, il faut donc caractériser des préjudices distincts.

Retenons donc le possible cumul des sanctions, favorable aux titulaires de droit de propriété intellectuelle. L’arrêt s’illustre également par l’encadrement de cette possibilité, permettant d’éviter de tordre la règle non bis in idem.

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

Le droit de la propriété intellectuelle octroi à son bénéficiaire un droit exclusif d’exploitation en vertu duquel il peut s’opposer aux agissements des tiers. Cependant, des limitations au droit de propriété existent en droit des marques , même dument enregistrées (L.713-1 du Code de la propriété intellectuelle), par exemple lorsque le produit revêtu de la marque a fait l’objet d’un épuisement des droits – c’est-à-dire lorsque la première vente ou mise en circulation dans l’UE/EEE a été autorisée par le titulaire des droits – ou lorsque l’utilisation litigieuse n’a pas lieu dans la vie des affaires (CJCE, n° C-206/01, Arrêt de la Cour, Arsenal Football Club plc contre Matthew Reed, 12 novembre 2002).

Naturellement, la coexistence entre le droit privatif et les tiers conduit à des litiges quant à la juste articulation des droits de chacun. Les marques de renommée ne sont pas exemptées, d’autant que leur protection se distingue en ce qu’elle dépasse le principe de spécialité. En effet, elles jouissent d’une protection qui dépasse les produits et services pour lesquels elles sont déposées. La liberté d’expression apparaît alors comme un droit légitimement opposé.

La liberté d’expression peut-elle limiter le droit exclusif conféré au titulaire d’une marque enregistrée ?

À de nombreuses reprises, les juges du fond se sont prononcés sur l’articulation entre le droit des marques et la liberté d’expression des tiers. Citons par exemple, la possible qualification d’atteinte à la marque en cas de caricature de marques lorsque les agissements du tiers rendent compte d’une volonté d’« exploiter l’impact » de la marque déposée (TGI Paris, 4 oct. 1996) ou d’« user de la caricature et de la parodie, non pas uniquement pour railler ou faire sourire, mais aussi dans l’intention essentiellement commerciale de profiter des marques déposées pour vendre son propre produit (…) » (Paris, 9 sept. 1998). La liberté d’expression se voit alors écartée lorsque la caricature est détournée pour profiter indûment de la notoriété de la marque en cause.

Quid de la liberté d’expression artistique ? L’utilisation de la marque de renommée dans une démarche artistique fait-elle obstacle à la revendication d’actes de contrefaçon ?

C’est sur cette question que s’est prononcé le Tribunal judiciaire de Paris, le 2 avril 2025. En l’espèce, un artiste a représenté des montres Rolex dans ses œuvres, en conservant certains éléments des marques en cause, tout en modifiant le fond du cadran pour y intégrer des créations personnelles inspirées du Pop Art.

Les sociétés Rolex ont revendiqué la renommée de leurs marques – en s’appuyant notamment sur « plusieurs sondages et enquêtes de notoriété » qui placent les marques en cause parmi les plus réputées au monde – et estiment qu’il s’agit d’utilisations sans autorisation à des fins économiques (utilisation dans un clip promotionnel, diffusion sur les réseaux sociaux…). Les sociétés ROLEX ont affirmé que l’exploitation donne « l’impression d’un lien contractuel » dont il résulte une altération du « caractère distinctif de leurs marques », c’est-à-dire que l’usage artistique brouille l’image de la marque : le public ne l’associe plus uniquement à Rolex.

En réponse, l’artiste a contesée la renommée de l’ensemble des marques invoquées et affirmé que la démarche artistique faisait obstacle à ce que les sociétés Rolex revendiquent des actes de contrefaçon, « d’autant qu’aucun profit tiré de la renommée de ces marques, ni impact sur le comportement économique des consommateurs n’a été démontré ».

Après avoir rappelé la définition de la marque de renommée et ses critères d’appréciation, le Tribunal judiciaire de Paris s’est livré à un arbitrage.

D’une part, les juges du fond retiennent la renommée de certaines marques de la société Rolex : « Au vu de ces éléments, l’importance du budget publicitaire sur plusieurs années, le référencement de la marque dans la presse française, l’existence de sondages et enquêtes de notoriété, l’usage dans le temps et son étendue géographique, les sociétés Rolex démontrent la renommée de leurs marques n° 976721, n° 1355807 et n° 476371 ». Les juges du fond se livrent ainsi à une appréciation rigoureuse de la renommée et rappellent qu’« En effet, c’est uniquement les marques « Rolex » et son logo à la couronne qui jouissent d’une grande notoriété » puisque « Le dépôt de plusieurs marques concernant ces signes ne peut à lui seul caractériser leur renommée ». La démonstration de la renommée apparaît comme une étape cruciale dans la recherche de l’équilibre convoité.

D’autre part, s’agissant de la liberté d’expression, les juges du fond rappellent que la directive 2015/2436 permet de considérer que l’usage d’une marque fait par des tiers à des fins d’expression artistique est loyal lorsque celui-ci est conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Or, tel n’est pas le cas lorsque l’usage de la marque « dépasse les usages loyaux en matière industrielle et commerciale » c’est-à-dire lorsque « l’identification de la marque sert un objectif d’auto-promotion ». En effet, les marques renommées des sociétés Rolex ont été utilisées à plusieurs reprises – parfois associées au terme « Watch » – dans un clip vidéo, sur les réseaux sociaux etc… Indéniablement, cela a participé à la création d’une impression d’un lien commercial entre les marques des sociétés Rolex et les œuvres de l’artiste, le public pertinent étant celui des amateurs de montres de luxe.

Partant de ces considérations, le Tribunal judiciaire de Paris a retenu l’atteinte à la renommée des marques en cause, condamné l’artiste pour parasitisme et ordonné notamment l’interdiction de l’usage des signes « Rolex » et le retrait de ces signes dans la vidéo promotionnelle ainsi que dans les messages sur les réseaux sociaux. La création du lien commercial a conduit à une dilution et une banalisation desdites marques.

Les juges du fond participent ainsi à la protection du droit des marques et des investissements réalisés. Il en résulte que la liberté d’expression artistique ne peut primer sur le droit des marques qu’à des conditions strictes. Dès lors, la preuve de la renommée et l’existence d’un usage déloyal sont des prérequis essentiels à l’éviction de cette liberté.

La marque de renommée est de nature à faire obstacle à la liberté d’expression artistique à la condition que la preuve de ladite renommée soit apportée et que l’usage du tiers ne soit un usage honnête conformément à la directive 2015/2436. De telles conditions sont réunies lorsque l’artiste utilise de façon déloyale la notoriété de la marque pour son auto-promotion.

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

La défense d’un dessin ou modèle de valise conduit la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, à rendre une solution remarquable. La Haute juridiction précise les conditions de validité d’un procès-verbal de constat d’achat établi après l’intervention d’un stagiaire du requérant.

L’article L.716-7 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens ». Parmi les options ouvertes aux titulaires des droits de propriété intellectuelle, se trouve le constat d’achat, mesure probatoire de droit commun. Cette mesure conduit à l’intervention d’une commissaire de justice (anciennement huissier de justice) qui, à la suite d’un achat, réalise un procès-verbal. Elle permet de rendre compte d’une offre faite au public de produits présumés contrefaisants. Contrairement à la saisie- contrefaçon, aucune ordonnance judiciaire n’est nécessaire.

En dépit de cette facilité d’apparence, de nombreuses règles encadrent la mise en œuvre de ladite mesure probatoire et sa validité. En effet, « les huissiers de justice peuvent (…) effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » (rappel au considérant 7 de l’arrêt commenté) – au risque d’une requalification en saisie-contrefaçon déguisée et d’une annulation pour ce motif (Paris, 23 septembre 1998 : PIBD III, p. 79)- et, il « n’est pas autorisé à pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, tel qu’un magasin, pour y recueillir des preuves au bénéfice de son mandant et, en particulier, y faire un achat, sans décliner préalablement sa qualité» (rappel au considérant 8 de l’arrêt commenté).

Pour réaliser l’achat qui précède le procès-verbal de constat d’achat, le Commissaire de Justice peut recourir à la méthode dite du « tiers acheteur » consistant à « solliciter un tiers, qui n’a pas la qualité d’officier public, afin qu’il pénètre dans un tel lieu pour y faire un achat, et, ensuite, relater les faits de ce tiers qu’il a personnellement constatés, se faire par lui remettre toute marchandise en sa possession à la sortie du magasin (…) » (rappel au considérant 9 de l’arrêt commenté).

Qui est ce tiers ? Peut-il s’agir du stagiaire du cabinet d’avocat chargé de la défense du requérant ? Si oui, à quelles conditions peut-il intervenir dans le constat sans que sa participation ne conduise à la nullité du procès-verbal réalisé par le Commissaire de Justice ?

La réponse est apportée par la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 12 mai 2025 (Cour de cassation, Chambre mixte, Pourvoi n° 22-20.739), après un renvoi de l’examen du pourvoi.

En l’espèce, la société Rimowa GmbH – ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de bagagerie en aluminium et polycarbonate – est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur un dessin et modèle de valises (via la protection résultant des dessins et modèles). Or, en 2016, elle observe que la société HP Design commercialisait, sous la marque « Bill Tornade » des valises, considérées par elle comme contrefaisant le modèle « Limbo Multiwheel », puisque reproduisant ses caractéristiques originales. Partant, l’avocat de la société Rimowa a sollicité un constat d’achat lequel a été consigné par procès-verbal d’huissier de justice.

En novembre 2016, elle a assigné la société HP Design et une société tierce Intersod (qui exploitait la marque « Bill Tornade »). La Cour d’appel avait fait droit aux demandes de la société Rimowa GmbH en déclarant valable le procès-verbal de constat d’achat et en condamnant in solidum les sociétés HP Design et Intersod à indemniserla société Rimowa au titre d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Un pourvoi en cassation est alors formé, la société Intersod considérant que « le principe de loyauté de l’administration de la preuve et le droit au procès équitable (…) » imposent que le tiers qui réalise l’achat « soit indépendant de la partie requérante » ce qui n’est pas le cas du stagiaire au cabinet d’avocat de la requérante. Pour la société demanderesse, l’appréciation de l’indépendance dudit tiers n’impose pas «  de s’interroger sur l’existence d’un stratagème imputable à la partie requérante ».

Confirmant le raisonnement des juges du fond sur ce point, la Cour de cassation réfute l’analyse de la société demanderesse. Pour la Cour « Il y a lieu de juger désormais que l’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas de nature à entraîner la nullité du constat d’achat. » (considérant 18 de l’arrêt commenté). Le stagiaire, placé dans une situation de dépendance – puisque soumis à un lien de subordination vis-à-vis du cabinet du requérant – ne pouvait être considéré comme un tiers indépendant, mais cela n’a pas suffi à entraîner la nullité du procès-verbal. Désormais, la seule absence d’indépendance du tiers acheteur ne suffit plus à justifier l’annulation du procès-verbal.

Pour la Cour de cassation, ce sont les conditions de réalisation du procès-verbal qui permettent d’apprécier sa validité. En effet, elle affirme « il appartient au juge d’apprécier si, au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d’indépendance affecte la valeur probante du constat» (considérant 18 de l’arrêt commenté). Or, en l’espèce, l’intensité du contrôle exercé par le Commissaire de Justice (description précise de la mise en œuvre traduisant une vérification minutieuse et un encadrement du stagiaire – qui entre sans sac puis lui remet aussitôt la valise et la facture) et l’absence de déloyauté (mention de l’identité et de la qualité du tiers acheteur dans le procès-verbal ainsi que l’absence de démonstration d’un quelconque stratagème) conduisent la Cour à considérer que le défaut d’indépendance n’affecte pas le caractère objectif des constatations du procès-verbal.

Observons que le positionnement de la Haute juridiction est marqué par une volonté assumée de prendre en considération les « divergences d’application parmi les juges du fond et des critiques de la part de la doctrine et de praticiens, qui ont souligné sa rigueur excessive » (considérant 12 de l’arrêt commenté).

Toutes ces circonstances particulières justifient cet arrêt remarquable, qui apparaît comme un revirement d’arrêts antérieurs tel que celui rendu huit ans plus tôt (Civ. 1re, 25 janv. 2017, F-P+B, n° 15-25.210).

Enfin, ajoutons qu’en l’espèce, la Cour de cassation vient également sanctionner les juges du fond quant à la qualification de concurrence déloyale. En effet, « En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser des faits distincts portant atteinte à des droits de nature différente de ceux dont la méconnaissance a été réparée sur le fondement de l’action en contrefaçon, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » (considérant 33 de l’arrêt commenté).

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