Generic selectors
Exact matches only
Search in title
Search in content

Statut juridique des matériaux recyclés : le Ministère de l’écologie reconnaît la sortie implicite du statut de déchet

par | 13 Jan 2016

Dans un avis aux exploitants d’installations de traitement de déchets et aux exploitants d’installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières, non daté mais publié au Journal Officiel du 13 janvier 2016, le Ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie se prononce sur le statut juridique des matériaux recyclés.

Il reconnaît notamment une sortie « implicite » du statut de déchet et souligne par la même que le passage d’une logique de traitement de déchets à une logique de gestion des ressources ne se résume pas à une simple question de sémantique mais est attaché au statut juridique du déchet, source d’interrogations et de préoccupations pour les opérateurs économiques.

Cette reconnaissance juridique va ouvrir de très intéressantes opportunités pour tous les acteurs de l’économie circulaire produisant ou utilisant des matériaux recyclés, tant pour une valorisation matière qu’énergétique. Décryptage.

La publication au Journal Officiel du 13 janvier 2016 de l’avis aux exploitants d’installations de traitement de déchets et aux exploitants d’installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières était attendue depuis plusieurs mois.

1. Pourquoi un avis au Journal Officiel ?

Dans le cadre des travaux conduits avec l’Institut de l’économie circulaire et la rédaction de la note « Faire évoluer le statut de déchet pour promouvoir l’économie circulaire » (synthèse des réflexions et propositions du groupe de travail réglementaire 2014/2015), nous avions pris connaissance d’une note blanche du Ministère de l’Environnement « note de discussion sur le statut de déchet », datée du 18 février 2015 (13 pages).

Ce document proposait de très intéressantes pistes de réflexion pour contribuer à lever des freins au recyclage et alimenter les échanges avec la Commission consultative sur le statut de déchet. Il envisageait notamment d’ « officialiser de manière explicite dans un avis au JO la notion jurisprudentielle de « sortie de statut de déchet implicite pour les installations de production » (selon laquelle les installations de production qui utilisent un déchet comme matière première mais qui auraient pu utiliser une autre matière première ne produisent pas du déchet) ».

Après 11 mois de gestation, c’est désormais chose faite.

2. Analyse de l’avis

L’avis publié au JO le 13 janvier 2016 est principalement consacré au statut juridique des déchets et des matériaux recyclés.

Il distingue, de manière pertinente, les matériaux produits par une installation de traitement de déchets (21) des matériaux produits par une installation de production utilisant des déchets en substitution de matières premières (22).

En effet, la définition juridique du déchet implique que ce statut dépend avant tout du comportement de son détenteur (« toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » art. L. 541-1-1 du code de l’environnement).

Comme le rappelait à ce titre la « note de discussion sur le statut de déchet » du 18 février 2015 « Le statut de déchet réside dans la notion de se défaire et l’intention de se défaire qui vont au-delà de la notion d’abandon. Ainsi la qualification de déchet est difficile à appréhender de façon générique puisqu’elle dépend de la volonté du détenteur sur le devenir de la substance ou de l’objet ».

Nous l’avons fait valoir également à de très nombreuses reprises ici, mais aussi et lors d’un article publié dans la revue Droit de l’environnement (Carl Enckell, évolution du statut de déchet : une contribution à l’économie circulaire ?, revue Droit de l’environnement, décembre 2013).

2.1. Statut juridique de ce qui est produit par une installation de traitement de déchets

Selon le Ministère, les matériaux produits par les installations de traitement de déchets demeurent par principe des déchets et peuvent devenir par exception des produits.

a. Le principe et le champ d’application

Le Ministère rappelle en introduction que les déchets passant par une installation de traitement de déchets demeurent juridiquement des déchets : « Tout déchet qui est traité dans une installation de traitement de déchets conserve un statut juridique de déchet après traitement ».

L’avis précise qu’on entend par « installations de traitement de déchet » les installations dont l’activité relève d’un des codes 27XX de la nomenclature des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), annexée à l’article R. 511-9 du code de l’environnement, à savoir toutes les installations classées dans la rubrique déchets :

b. Les exceptions

Par exception au principe, le Ministère de l’Ecologie reconnaît que certains déchets peuvent néanmoins sortir du statut juridique de déchet à l’occasion de leur passage par une installation de traitement de déchet :

  1. lorsque cette possibilité est prévue :
  • dans un règlement européen (à savoir, ferrailles, verre ou cuivre)
  • ou un arrêté ministériel spécifiques à ce type de déchets (seul exemple en France : Arrêté Ministériel du 29 juillet 2014 sur les bois d’emballage, auquel nous avons contribué)
  1. et si l’intégralité des critères fixés par le règlement européen ou l’arrêté ministériel sont respectés.

On parle alors de sortie « explicite » du statut de déchet.

c. Application des règlements REACH et CLP aux matériaux sortis explicitement du statut de déchet ?

Le Ministère souligne un point important, qui fait encore débat : Dans le cas d’une sortie explicite du statut de déchet, le produit issu du déchet doit respecter les dispositions des règlements :

  • REACH (règlement (CE) n° 1907/2006 du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances)
  • mais aussi CLP (règlement (CE) n° 1272/2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges)

d. Notre analyse

Précisons tout de même, et c’est un point essentiel, que le respect du règlement REACH n’implique pas nécessairement la mise en œuvre d’une procédure d’enregistrement.

En effet, dans le cas ou les matériaux sont des articles, il est possible de revendiquer une exemption, comme c’est le cas pour les recycleurs de granulats et leurs utilisateurs au Pays-Bas et dans d’autres pays européens.

De même, on ne manquera pas de relever que la proposition de Directive modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets, diffusé à l’occasion du nouveau paquet économie circulaire de la Commission européenne (diffusée le 2 décembre 2015), ne fait plus de la sortie de statut de déchet une possibilité mais une nécessité pour les Etats membres, dans le cas ou ils ont subi une opération de valorisation (COM 2015 595 final).

Selon ce projet, la procédure de sortie de statut de déchet (de ce qui est valorisé par une installation de traitement de déchets) n’est pas une opération neutre mais une fin en soi, dès lors que les conditions sont réunies.

2.2. Statut juridique de ce qui est produit par une installation de production utilisant des déchets en substitution de matières premières

a. Le principe

Dans le cas des matériaux produits par une installation de production utilisant des déchets en substitution de matières premières, le principe est inversé : ces matériaux sont présumés des produits.

Le Ministère précise qu’on entend par « installations de production » les seules installations inscrites à la nomenclature des ICPE (qu’elles soient soumises à un régime d’autorisation, d’enregistrement ou de déclaration ou non) et dont l’intitulé de la rubrique comprend les termes exacts « production de… », « fabrication de… », « préparation de… », « élaboration de… » ou « transformation de… ».

A savoir un nombre important d’installations classées, qu’il serait difficile de répertorier. Mais qui vise aussi bien les installations utilisant des déchets en substitution de matières premières pour une valorisation matière que pour une valorisation énergétique.

Et peut être pourquoi pas les installations valorisation des combustibles solides de récupération (CSR) (consultation en cours) ? dès lors que :

  • ce sont des installations de «  production de chaleur et/ou d’électricité »
  • et qu’elles relèvent de la rubrique 2971 de la nomenclature des ICPE

b. Les modalités

Le Ministère s’appui à nouveau sur le règlement REACH et envisage deux hypothèses :

  1. Tout d’abord, un article ou un assemblage d’articles constituant un objet (au sens du règlement REACH), lui-même fabriqué dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matières premières, n’a pas le statut de déchet.
  2. De même, une substance ou un mélange (au sens des règlements REACH et CLP), élaboré dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matières premières, n’a pas le statut de déchet quand cette substance ou ce mélange est similaire à la substance ou au mélange qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets.

Dans ces différents cas, on parle alors de sortie « implicite » du statut de déchet.

Les critères de reconnaissance de la sortie implicite de statut de déchet sont donc les suivants. Il convient de démontrer :

  • que les matériaux  sont des articles, assemblages d’article, substance ou mélange au sens de REACH et qu’ils respectent les dispositions des règlements REACH et CLP ;
  • que les matériaux  sont utilisés en remplacement de matières premières dans une ICPE de production
  • que la substance ou le mélange produit est similaire à la substance ou au mélange qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets.

Le ministère précise que cette interprétation est valable pour les produits finis mais aussi pour ceux pouvant être qualifiés de matières premières ou de produits intermédiaires.

Précisons que certains combustibles sont exemptés totalement ou partiellement de REACH, notamment les carburants pour les moteurs, carburants et combustibles utilisés dans des installations de combustion mobiles ou fixes de produits dérivés d’huiles minérales et aux utilisations comme carburants et combustibles en système fermés.

De sorte que la sortie implicite de sortie de statut de déchet pourrait être plus facile pour certaines formes de valorisation énergétique.

c. Cas des ex-déchets recyclés, au sein d’installations non classées (qui ne sont pas ICPE)

La reconnaissance d’une sortie implicite du statut de déchet ne vaut, d’après cet avis, que pour les matériaux élaborés, à partir d’ex-déchets recyclés, au sein d’une installation classée (ICPE).

L’installation de production doit donc elle-même relever de la procédure ICPE.

Cette limitation semble témoigner d’une prudence du Ministère de l’Ecologie. Elle peut aussi s’expliquer par le fait que la DGPR, à l’origine de l’avis, est compétente pour réglementer l’exploitation des ICPE. Le Ministère consacre donc avant tout son interprétation de la procédure de sortie de statut de déchet implicite aux activités qu’il réglemente et contrôle.

Nous sommes cependant d’avis que d’autres installations de productions (manufactures, ateliers…) pourront également invoquer la reconnaissance d’une procédure de sortie implicite de statut de déchets quand bien même elles ne relèveraient pas de la procédure ICPE.

d. Cas des sous-produits

L’avis publié le 13 janvier 2016 revient en dernier lieu, mais très timidement, sur le cas des sous-produits.

Il précise sur ce point, de manière sibylline, que « Cette interprétation ne s’étend pas aux éventuels résidus des processus de production dont le statut juridique doit être apprécié au cas par cas ».

Rappelons à ce titre que la loi pour la transition énergétique et la croissance verte du 17 août 2015 a supprimé la condition de la mise en œuvre du statut juridique du sous-produit via un décret d’application.

C’est donc la jurisprudence (européenne principalement) qui s’applique uniquement en la matière.

Le Ministère écarte opportunément les résidus de processus de production de l’option d’une sortie de statut de déchet, cette dernière démarche ne valant que pour les résidus de processus de consommation.

Pour autant, des résidus de processus de production dont l’utilisation ultérieure est certaine (parmi d’autres conditions) sont des sous-produits et, donc, des produits. C’est au cas par cas que les opérateurs économiques pourront le démontrer, par le biais d’une analyse technico-juridique.

e. Un avis : quelle valeur juridique ?

Les « avis » (au sens d’information), émis par les ministères et publiés au JO peuvent être des décisions qui s’imposent dans ce cas à leurs destinataires et sont contestables. Tel est le cas de :

  • L’avis du Ministère de l’économie de l’économie à l’intention des exportateurs ou importateurs : CE, Sect. 28 juin 1974, Charmasson;
  • L’« avis » du premier ministre relatif au statut de certaines exportations : CE, Ass. 18 avril 1980, Maxi-Librati création.
  • L’ « avis » émanant du Ministère de la santé à l’intention des fabricants de certaines spécialités pharmaceutiques (CE, 16 juin 1990, SARL Santa Cura)

Sont, au contraire, insusceptibles de recours les mesures qui ne font que donner des renseignements et informations, relativement à des faits ou par rappel de l’état du droit :

Par exemple, CE, 25 mars 1964, Avalle, ou 21 mars 1986, Synd. Nat. Des pharmaciens d’hôpitaux : indication de l’interprétation qui devrait être donnée à diverses dispositions (Chapus, Contentieux adm., p. 462 et 491).

En l’espèce, l’avis publié au JO le 13 janvier 2016 fait valoir une interprétation du statut juridique de déchet, ce qui nous semble dépasser le stade de la simple information, mais ce point mérite d’être approfondi.

3. Conclusion

Au terme de cette analyse, on saluera la prise de position du Ministère, qui reconnaît une sortie implicite de statut de déchet. Sans doute avant tout pour des raisons d’intérêt général, mais peut être aussi également pour désencombrer la commission consultative sur la sortie de statut de déchet de demandes inappropriées.

L’avis aux exploitants d’installations de traitement de déchets et aux exploitants d’installations de production utilisant des déchets en substitution de matières premières permet de faire émerger plusieurs options permettant de sortir du statut juridique du déchet :

  1. Deux procédures génériques pour les résidus de processus de consommation qui sont devenus des déchets :
  • la procédure explicite de sortie de statut de déchet ;
  • et la procédure implicite de sortie de statut de déchet, dont les modalités pratiques demeurent tout de même à préciser
  1. Une procédure au cas par cas pour les résidus de processus de production, qui peuvent se voir reconnaître le statut de sous-produit et, donc, de produit, dont les modalités pratiques demeurent là aussi à préciser

Cet avis soulèvera donc sans doute encore beaucoup de questions, s’agissant aussi bien des modalités, des critères, du cas particulier des combustibles exemptés de REACH ou encore de la frontière entre les différentes catégories pour les sites mutifonctions.

Mais il va certainement dans le bon sens, celui d’un passage d’une logique de traitement des déchets à une logique de gestion des ressources.

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle jouit d’un monopole d’exploitation lui permettant de s’opposer aux pratiques des tiers.

Le droit des marques confère cette protection notamment par le biais de l’action en contrefaçon (civile) permettant d’engager la responsabilité de celui qui se livre à l’une des atteintes énumérées (article L.716-4 du Code de propriété intellectuelle).

Une autre action, dite en concurrence déloyale (article 1240 et 1241 du Code civil), permet d’engager la responsabilité de celui dont le comportement s’inscrit en violation des règles du commerce, et ce en dehors de tout droit privatif.

Alors que le commerce de contrefaçon dans le monde atteint 467 Md$ (rapport de l’OCDE sur la situation mondiale du commerce de contrefaçon), les titulaires de droits intellectuels s’étant livrés à de réels investissements, s’interrogent sur les actions à conduire afin d’obtenir des sanctions, si possible lourdes et dissuasives.

Les titulaires des droits intellectuels peuvent-ils envisager le cumul de l’action en contrefaçon et de l’action en concurrence déloyale ?

C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 mars 2025 (Com. 26 mars 2025, FS-B, n° 23-13.589).

En l’espèce, la société Cargo Media AG exploite un site de rencontres pour adultes à caractère sexuel dénommé « Fuckbook ». Dans ce cadre, elle a acquis deux noms de domaine (« fuckbook.xxx » et « fuckbook.com »). Invoquant l’atteinte à ses droits, la célèbre société Meta Platforms Inc. (anciennement Facebook Inc.) invoque l’atteinte à ses marques renommées, la contrefaçon de marques (verbales et figuratives) ainsi qu’une concurrence déloyale.

La Cour d’appel de Paris (Paris, 28 octobre 2022) a fait droit aux demandes de la société Meta Platforms Inc. en retenant l’atteinte à la renommée des marques, prononce des mesures d’interdiction et condamne la société Cargo Media AG au paiement de dommages et intérêts.

Suite à un pourvoi formé par la société Cargo Media AG, la Cour de cassation a confirmé – par son arrêt du 26 mars 2025 – le raisonnement des juges du fond.

Le premier moyen de la société Cargo Media AG portait sur la détermination du public de référence. Elle remettait en cause la détermination du public choisi pour apprécier le risque de confusion (critère essentiel pour la qualification de contrefaçon). Elle soutenait qu’il ne pouvait s’agir du « public qui utilise les réseaux sociaux » et qu’il convenait de se livrer à une détermination plus précise.

À cet argument, qui « ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation des juges du fond », la Cour répond négativement : le public de référence – à l’appui duquel il convient d’apprécier le risque de confusion entre les marques en cause et le signe « Fuckbook » – est un public qui se confond dans la catégorie plus large du « public des services du réseau social « Facebook ».

Le public de référence peut donc être un public particulier qui entre dans une catégorie plus large. Partant de ces constatations, le risque de confusion et le risque de confusion sont confirmés.

Le second moyen de la société Cargo Media AG portait sur le cumul entre la contrefaçon et la concurrence déloyale. Elle affirmait qu’en l’espèce, un tel cumul était impossible en raison de l’absence de constatation de faits distincts de ceux à l’appui desquels avait été prononcée la contrefaçon.

C’est sur l’appréciation de ces faits distincts que réside le cœur de l’arrêt commenté.

Rompant avec le raisonnement du tribunal judiciaire, les juges de la Cour d’appel de Paris avaient en effet considéré que « les atteintes au nom commercial Facebook et au nom de domaine facebook.com constituent des faits distincts de concurrence déloyale, s’agissant de sanctionner un comportement fautif différent ».

Pour arbitrer de point, la Haute juridiction fait référence à sa jurisprudence antérieure. Les deux actions sont cumulables à condition que la concurrence déloyale résulte de faits distincts de ceux retenus pour la contrefaçon. Toutefois, il ne faut pas confondre faits distincts et faits matériels. En effet, un seul fait matériel peut caractériser des faits distincts « s’il porte atteinte à des droits de nature différente ». En l’espèce, le nom commercial et le nom de domaine se distinguent des droits détenus sur une marque. Dès lors, lorsque s’illustre un risque de confusion, les deux actions peuvent être cumulées puisqu’elles reposent sur des faits distincts (à entendre au sens de conséquences distinctes). La Cour d’appel avait retenu un tel risque résultant de la création, l’esprit du public de référence, d’une impression de continuité économique entre les deux entités. 

La dernière étape du raisonnement de la Cour porte sur la conséquence attachée à ce cumul. Elle affirme, « la victime peut obtenir, au titre de la concurrence déloyale, la réparation du préjudice distinct né de l’atteinte à la distinctivité de ses signes d’identification, tels le nom commercial ou le nom de domaine, seulement si le préjudice n’est pas déjà réparé au titre de la contrefaçon ». Pour que le cumul soit prononcé, il faut donc caractériser des préjudices distincts.

Retenons donc le possible cumul des sanctions, favorable aux titulaires de droit de propriété intellectuelle. L’arrêt s’illustre également par l’encadrement de cette possibilité, permettant d’éviter de tordre la règle non bis in idem.

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

Le droit de la propriété intellectuelle octroi à son bénéficiaire un droit exclusif d’exploitation en vertu duquel il peut s’opposer aux agissements des tiers. Cependant, des limitations au droit de propriété existent en droit des marques , même dument enregistrées (L.713-1 du Code de la propriété intellectuelle), par exemple lorsque le produit revêtu de la marque a fait l’objet d’un épuisement des droits – c’est-à-dire lorsque la première vente ou mise en circulation dans l’UE/EEE a été autorisée par le titulaire des droits – ou lorsque l’utilisation litigieuse n’a pas lieu dans la vie des affaires (CJCE, n° C-206/01, Arrêt de la Cour, Arsenal Football Club plc contre Matthew Reed, 12 novembre 2002).

Naturellement, la coexistence entre le droit privatif et les tiers conduit à des litiges quant à la juste articulation des droits de chacun. Les marques de renommée ne sont pas exemptées, d’autant que leur protection se distingue en ce qu’elle dépasse le principe de spécialité. En effet, elles jouissent d’une protection qui dépasse les produits et services pour lesquels elles sont déposées. La liberté d’expression apparaît alors comme un droit légitimement opposé.

La liberté d’expression peut-elle limiter le droit exclusif conféré au titulaire d’une marque enregistrée ?

À de nombreuses reprises, les juges du fond se sont prononcés sur l’articulation entre le droit des marques et la liberté d’expression des tiers. Citons par exemple, la possible qualification d’atteinte à la marque en cas de caricature de marques lorsque les agissements du tiers rendent compte d’une volonté d’« exploiter l’impact » de la marque déposée (TGI Paris, 4 oct. 1996) ou d’« user de la caricature et de la parodie, non pas uniquement pour railler ou faire sourire, mais aussi dans l’intention essentiellement commerciale de profiter des marques déposées pour vendre son propre produit (…) » (Paris, 9 sept. 1998). La liberté d’expression se voit alors écartée lorsque la caricature est détournée pour profiter indûment de la notoriété de la marque en cause.

Quid de la liberté d’expression artistique ? L’utilisation de la marque de renommée dans une démarche artistique fait-elle obstacle à la revendication d’actes de contrefaçon ?

C’est sur cette question que s’est prononcé le Tribunal judiciaire de Paris, le 2 avril 2025. En l’espèce, un artiste a représenté des montres Rolex dans ses œuvres, en conservant certains éléments des marques en cause, tout en modifiant le fond du cadran pour y intégrer des créations personnelles inspirées du Pop Art.

Les sociétés Rolex ont revendiqué la renommée de leurs marques – en s’appuyant notamment sur « plusieurs sondages et enquêtes de notoriété » qui placent les marques en cause parmi les plus réputées au monde – et estiment qu’il s’agit d’utilisations sans autorisation à des fins économiques (utilisation dans un clip promotionnel, diffusion sur les réseaux sociaux…). Les sociétés ROLEX ont affirmé que l’exploitation donne « l’impression d’un lien contractuel » dont il résulte une altération du « caractère distinctif de leurs marques », c’est-à-dire que l’usage artistique brouille l’image de la marque : le public ne l’associe plus uniquement à Rolex.

En réponse, l’artiste a contesée la renommée de l’ensemble des marques invoquées et affirmé que la démarche artistique faisait obstacle à ce que les sociétés Rolex revendiquent des actes de contrefaçon, « d’autant qu’aucun profit tiré de la renommée de ces marques, ni impact sur le comportement économique des consommateurs n’a été démontré ».

Après avoir rappelé la définition de la marque de renommée et ses critères d’appréciation, le Tribunal judiciaire de Paris s’est livré à un arbitrage.

D’une part, les juges du fond retiennent la renommée de certaines marques de la société Rolex : « Au vu de ces éléments, l’importance du budget publicitaire sur plusieurs années, le référencement de la marque dans la presse française, l’existence de sondages et enquêtes de notoriété, l’usage dans le temps et son étendue géographique, les sociétés Rolex démontrent la renommée de leurs marques n° 976721, n° 1355807 et n° 476371 ». Les juges du fond se livrent ainsi à une appréciation rigoureuse de la renommée et rappellent qu’« En effet, c’est uniquement les marques « Rolex » et son logo à la couronne qui jouissent d’une grande notoriété » puisque « Le dépôt de plusieurs marques concernant ces signes ne peut à lui seul caractériser leur renommée ». La démonstration de la renommée apparaît comme une étape cruciale dans la recherche de l’équilibre convoité.

D’autre part, s’agissant de la liberté d’expression, les juges du fond rappellent que la directive 2015/2436 permet de considérer que l’usage d’une marque fait par des tiers à des fins d’expression artistique est loyal lorsque celui-ci est conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Or, tel n’est pas le cas lorsque l’usage de la marque « dépasse les usages loyaux en matière industrielle et commerciale » c’est-à-dire lorsque « l’identification de la marque sert un objectif d’auto-promotion ». En effet, les marques renommées des sociétés Rolex ont été utilisées à plusieurs reprises – parfois associées au terme « Watch » – dans un clip vidéo, sur les réseaux sociaux etc… Indéniablement, cela a participé à la création d’une impression d’un lien commercial entre les marques des sociétés Rolex et les œuvres de l’artiste, le public pertinent étant celui des amateurs de montres de luxe.

Partant de ces considérations, le Tribunal judiciaire de Paris a retenu l’atteinte à la renommée des marques en cause, condamné l’artiste pour parasitisme et ordonné notamment l’interdiction de l’usage des signes « Rolex » et le retrait de ces signes dans la vidéo promotionnelle ainsi que dans les messages sur les réseaux sociaux. La création du lien commercial a conduit à une dilution et une banalisation desdites marques.

Les juges du fond participent ainsi à la protection du droit des marques et des investissements réalisés. Il en résulte que la liberté d’expression artistique ne peut primer sur le droit des marques qu’à des conditions strictes. Dès lors, la preuve de la renommée et l’existence d’un usage déloyal sont des prérequis essentiels à l’éviction de cette liberté.

La marque de renommée est de nature à faire obstacle à la liberté d’expression artistique à la condition que la preuve de ladite renommée soit apportée et que l’usage du tiers ne soit un usage honnête conformément à la directive 2015/2436. De telles conditions sont réunies lorsque l’artiste utilise de façon déloyale la notoriété de la marque pour son auto-promotion.

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

La défense d’un dessin ou modèle de valise conduit la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, à rendre une solution remarquable. La Haute juridiction précise les conditions de validité d’un procès-verbal de constat d’achat établi après l’intervention d’un stagiaire du requérant.

L’article L.716-7 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens ». Parmi les options ouvertes aux titulaires des droits de propriété intellectuelle, se trouve le constat d’achat, mesure probatoire de droit commun. Cette mesure conduit à l’intervention d’une commissaire de justice (anciennement huissier de justice) qui, à la suite d’un achat, réalise un procès-verbal. Elle permet de rendre compte d’une offre faite au public de produits présumés contrefaisants. Contrairement à la saisie- contrefaçon, aucune ordonnance judiciaire n’est nécessaire.

En dépit de cette facilité d’apparence, de nombreuses règles encadrent la mise en œuvre de ladite mesure probatoire et sa validité. En effet, « les huissiers de justice peuvent (…) effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » (rappel au considérant 7 de l’arrêt commenté) – au risque d’une requalification en saisie-contrefaçon déguisée et d’une annulation pour ce motif (Paris, 23 septembre 1998 : PIBD III, p. 79)- et, il « n’est pas autorisé à pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, tel qu’un magasin, pour y recueillir des preuves au bénéfice de son mandant et, en particulier, y faire un achat, sans décliner préalablement sa qualité» (rappel au considérant 8 de l’arrêt commenté).

Pour réaliser l’achat qui précède le procès-verbal de constat d’achat, le Commissaire de Justice peut recourir à la méthode dite du « tiers acheteur » consistant à « solliciter un tiers, qui n’a pas la qualité d’officier public, afin qu’il pénètre dans un tel lieu pour y faire un achat, et, ensuite, relater les faits de ce tiers qu’il a personnellement constatés, se faire par lui remettre toute marchandise en sa possession à la sortie du magasin (…) » (rappel au considérant 9 de l’arrêt commenté).

Qui est ce tiers ? Peut-il s’agir du stagiaire du cabinet d’avocat chargé de la défense du requérant ? Si oui, à quelles conditions peut-il intervenir dans le constat sans que sa participation ne conduise à la nullité du procès-verbal réalisé par le Commissaire de Justice ?

La réponse est apportée par la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 12 mai 2025 (Cour de cassation, Chambre mixte, Pourvoi n° 22-20.739), après un renvoi de l’examen du pourvoi.

En l’espèce, la société Rimowa GmbH – ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de bagagerie en aluminium et polycarbonate – est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur un dessin et modèle de valises (via la protection résultant des dessins et modèles). Or, en 2016, elle observe que la société HP Design commercialisait, sous la marque « Bill Tornade » des valises, considérées par elle comme contrefaisant le modèle « Limbo Multiwheel », puisque reproduisant ses caractéristiques originales. Partant, l’avocat de la société Rimowa a sollicité un constat d’achat lequel a été consigné par procès-verbal d’huissier de justice.

En novembre 2016, elle a assigné la société HP Design et une société tierce Intersod (qui exploitait la marque « Bill Tornade »). La Cour d’appel avait fait droit aux demandes de la société Rimowa GmbH en déclarant valable le procès-verbal de constat d’achat et en condamnant in solidum les sociétés HP Design et Intersod à indemniserla société Rimowa au titre d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Un pourvoi en cassation est alors formé, la société Intersod considérant que « le principe de loyauté de l’administration de la preuve et le droit au procès équitable (…) » imposent que le tiers qui réalise l’achat « soit indépendant de la partie requérante » ce qui n’est pas le cas du stagiaire au cabinet d’avocat de la requérante. Pour la société demanderesse, l’appréciation de l’indépendance dudit tiers n’impose pas «  de s’interroger sur l’existence d’un stratagème imputable à la partie requérante ».

Confirmant le raisonnement des juges du fond sur ce point, la Cour de cassation réfute l’analyse de la société demanderesse. Pour la Cour « Il y a lieu de juger désormais que l’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas de nature à entraîner la nullité du constat d’achat. » (considérant 18 de l’arrêt commenté). Le stagiaire, placé dans une situation de dépendance – puisque soumis à un lien de subordination vis-à-vis du cabinet du requérant – ne pouvait être considéré comme un tiers indépendant, mais cela n’a pas suffi à entraîner la nullité du procès-verbal. Désormais, la seule absence d’indépendance du tiers acheteur ne suffit plus à justifier l’annulation du procès-verbal.

Pour la Cour de cassation, ce sont les conditions de réalisation du procès-verbal qui permettent d’apprécier sa validité. En effet, elle affirme « il appartient au juge d’apprécier si, au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d’indépendance affecte la valeur probante du constat» (considérant 18 de l’arrêt commenté). Or, en l’espèce, l’intensité du contrôle exercé par le Commissaire de Justice (description précise de la mise en œuvre traduisant une vérification minutieuse et un encadrement du stagiaire – qui entre sans sac puis lui remet aussitôt la valise et la facture) et l’absence de déloyauté (mention de l’identité et de la qualité du tiers acheteur dans le procès-verbal ainsi que l’absence de démonstration d’un quelconque stratagème) conduisent la Cour à considérer que le défaut d’indépendance n’affecte pas le caractère objectif des constatations du procès-verbal.

Observons que le positionnement de la Haute juridiction est marqué par une volonté assumée de prendre en considération les « divergences d’application parmi les juges du fond et des critiques de la part de la doctrine et de praticiens, qui ont souligné sa rigueur excessive » (considérant 12 de l’arrêt commenté).

Toutes ces circonstances particulières justifient cet arrêt remarquable, qui apparaît comme un revirement d’arrêts antérieurs tel que celui rendu huit ans plus tôt (Civ. 1re, 25 janv. 2017, F-P+B, n° 15-25.210).

Enfin, ajoutons qu’en l’espèce, la Cour de cassation vient également sanctionner les juges du fond quant à la qualification de concurrence déloyale. En effet, « En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser des faits distincts portant atteinte à des droits de nature différente de ceux dont la méconnaissance a été réparée sur le fondement de l’action en contrefaçon, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » (considérant 33 de l’arrêt commenté).

Share This