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Comment réconcilier simplification des normes et protection de l’environnement ?

par | 19 Avr 2013

logo-cercle-les-echos.jpgComment lutter contre l’inflation normative, pour relancer l’économie, tout en garantissant une protection élevée de l’environnement ?

Je vous propose de lire ma tribune, publiée sur le Cercle Les Echos, et qui  propose de réconcilier ces deux objectifs.

La crise économique étant structurelle, la solution passe par une meilleure intégration de la réglementation et des politiques publiques, sous l’aune du développement soutenable.

Le Grenelle de l’environnement en 2007, la Conférence environnementale en 2012 et à présent les États généraux du droit de l’environnement ont défendu ou défendent, chacun à leur manière, le principe majeur selon lequel le droit de l’environnement a vocation à devenir le dénominateur commun des politiques publiques. Ils impliquent une meilleure efficience de la norme environnementale.

En parallèle, depuis plusieurs mois, des rapports préconisant une simplification du droit pour soutenir la relance de l’économie se multiplient : Attali, Warsmann, Gallois et maintenant Lambert et Boulard. Ces différents rapports citent souvent comme exemple la réglementation en matière d’environnement dont la complexité constituerait un frein.

Or, loin de s’opposer, ces deux tendances peuvent se compléter.

En effet, pour devenir plus efficace, le droit de l’environnement (tout comme le droit de l’urbanisme par exemple) doit se simplifier. Cette simplification n’implique pas de minimiser l’effet protecteur de l’environnement par le droit, tout au contraire. Une telle approche implique cependant de s’accorder sur la nature des mesures simplificatrices. Non pas dérégulatrices, les réformes à adopter doivent être intégratrices.

i) On ne contrôle que ce que l’on mesure

La réglementation moderne multiplie les détails, notamment dans le secteur de la réglementation environnementale au sens large.

Ce phénomène n’est pas exclusif à la France. Ainsi, les règlements européens sont souvent accompagnés d’annexes et des tableaux précisant le détail de telle ou telle mesure, eux-mêmes élaborés à la suite de rapports d’experts.

Il n’est pas question ici de discréditer l’utilité de ces seuils ou des normes d’application, indispensables à la vérification de la bonne application des règles de droit en matière de protection de l’environnement. Mais la difficulté soulevée est que l’on ne contrôle que ce que l’on mesure. Dès lors, la question à se poser est celle de savoir si la multiplication des étapes et des seuils permet réellement d’atteindre les objectifs du développement durable : à savoir garantir pour les générations futures la protection de l’environnement tout en maintenant un bien-être social et économique.

ii) Les sources de l’excès de norme et de leurs contradictions

Avant toute chose, la recherche de solutions implique d’identifier l’origine de l’inflation normative et de ses effets incapacitants exposés par les différents rapports de hauts fonctionnaires susvisés.

Tout d’abord, il ne faut pas négliger un aspect subjectif selon lequel la multiplication des normes peut avoir un effet rassurant

Elle répond au besoin de contrôle d’un monde complexe, mais également désenchanté. Sans rentrer dans de grandes considérations métaphysiques, c’est une conséquence de la société des experts, qui se sont substitués aux penseurs, mais aussi aux prophètes.

Dans un État centralisé comme la France, doté de surcroit d’un système juridique de droit continental, l’inflation normative peut aussi être une tentative de réponse à une perte de crédibilité/efficacité de la chose publique. Au contraire par exemple de la campagne de dérégulation menée aux États-Unis dans les années quatre-vingt et de ses conséquences aussi bien en matière financière que d’environnement (les exemples ne manquent pas).

Or, si la norme est un moyen de répondre aux conséquences d’un libéralisme trop exacerbé, l’excès de norme de détail peut au contraire avoir pour effet d’affaiblir l’autorité de l’État en la diluant.

Ensuite, il ne faut pas négliger que certaines normes complexes ont pour origine l’influence d’acteurs concernés

Les opérateurs économiques, mais aussi les associations sont conscients de l’importance capitale des normes.

En effet, la fixation du contenu des dispositions techniques de mise en œuvre de textes généraux (directives européennes et/ou lois) laisse souvent place à une marge d’interprétation. Par suite, l’influence d’acteurs concernés, à travers des associations ou des fédérations professionnelles, peut jouer de manière significative dans la détermination du contenu de dispositions techniques.

Cette pratique peut limiter ou au contraire favoriser le maintien d’activités ou de pratiques historiques et parfois entraîner des contradictions avec les objectifs de rang supérieur. Là encore, le recours, officiel ou pas, à des professionnels pour rédiger les normes peut témoigner d’un glissement du modèle français vers un modèle anglo-saxon.

Or, pour relever les défis modernes auxquelles l’Europe doit faire face, les États membres doivent avantager certains secteurs encore émergents (par exemple les énergies renouvelables, le réemploi des ressources et l’économie circulaire en général).

iii) Quelles solutions pratiques ?

Une première solution serait de ne pas rechercher systématiquement le risque zéro, qui n’existe pas

À ce titre, la pratique du comparatisme juridique (benchmarking) permet de constater que des pays européens modèles ont adopté des seuils destinés à prendre en considération la protection de l’environnement et de la santé publique, mais aussi les intérêts économiques. La sensibilité de cette question implique de formuler des avis en toute indépendance.

Le recours à l’autorité judiciaire ne doit pas être négligé, même s’il a ses limites

Le juge est réticent à entrer dans des considérations techniques en cas de recours contre une norme réglementaire technique contesté au motif par exemple qu’elle priverait un texte de son efficacité, ce qui peut se comprendre. Sauf que cela renforce un peu plus encore le principe de la société des experts, dans la mesure ou les seuls arbitres des normes techniques en deviennent leurs auteurs.

De nouvelles conditions d’élaboration des normes et de gouvernance

Pour paraphraser Clémenceau, on pourrait écrire que la norme d’application est une chose trop grave pour la confier seulement à des fonctionnaires.

L’évolution du droit de l’environnement implique une amélioration des procédures de concertation (gouvernance à cinq), plus ou moins efficacement. Il s’y trouve peut-être un moyen de garantir de manière plus transparente que des normes d’application ne vont pas vider certains textes de leur substance ou encore imposer des mesures inutiles.

C’est déjà le cas par exemple avec la loi sur la participation du public en matière d’environnement, votée à la fin de l’année dernière. Elle implique que des textes réglementaires techniques ayant des effets sur l’environnement soient soumis à concertation. Après cela, encore faut-il que les observations pertinentes du public soient prises en considération.

Le mouvement du droit européen vers une intégration des législations et des politiques publiques

Certaines normes techniques sont difficiles à mettre en œuvre parce qu’elles ont été élaborées isolément. C’est la question du tronçonnement artificiel des réglementations, qui peut conduire à des contradictions et neutraliser un secteur économique.

C’est ce défi qui conduisait récemment Janez Potocnik, commissaire européen à l’environnement, à préconiser lors d’une conférence à Paris d’adopter une approche intégrée des politiques publiques sous l’aune de l’enjeu environnemental.

Une gouvernance prospective pour des normes durables

La réconciliation de la norme avec une protection efficace de l’environnement implique aussi une gouvernance prospective. Les directions de l’Administration et les ministères ne doivent plus être dans une logique de concurrence ou de parts de marché, mais de complémentarité.

De même, il conviendrait de systématiser le contrôle de durabilité des normes : chaque nouvelle norme devra faire l’objet d’un bilan environnemental cout/avantage en se posant systématiquement la question : est-ce que c’est bon pour les générations futures ?

C’est en offrant des vues élevées, à long terme, sources de concorde et de consensus économique social que les acteurs de la démocratie représentative pourront efficacement reprendre en main la tendance à l’inflation normative et relancer l’économie de manière durable.

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Par deux jugements du 3 décembre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les recours dirigés contre un projet de centrale solaire de 20 MW situé en région Nouvelle Aquitaine (TA Limoges, 3 décembre 2024, 2101881, 2101882 et 2101873). Le développeur du projet était défendu par le cabinet Altes.

Le tribunal a jugé que le projet respectait la réglementation locale d’urbanisme (1) et qu’il n’engendrait pas d’impact environnemental ou paysager (2).

1/ La centrale solaire respecte la réglementation d’urbanisme

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le préfet est compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les ouvrages de production d’énergie (art. L422-2, b. du code de l’urbanisme). Parallèlement, la commune ou l’intercommunalité est compétente pour fixer la réglementation d’urbanisme.

1.1. Pas d’illégalité du PLU

Les requérants invoquaient l’« exception d’illégalité » de la règle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune autorisant des « constructions industrielles concourant à la production d’énergie (centrale solaire PV…) » dans un secteur dédié aux activités sportives, touristiques et de loisir.

Le juge a écarté ce moyen en considérant que le développement des énergies renouvelables n’était pas incompatible avec la promotion de ces activités.

1.2. Pas d’obligation de sursis à statuer en attendant le nouveau PLU en cours d’élaboration

Les requérants reprochaient au préfet de ne pas avoir sursis à statuer sur la demande de permis. Cette possibilité prévue par le code de l’urbanisme (articles L. 153-11 et L. 424-1), concerne le cas où un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’utilisation ou non de cette faculté, limitée à l’erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens CE, 26 janv. 1979, n° 01485).

Le tribunal juge sur ce point que le seul projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du futur PLU ne justifiait pas un sursis à statuer au regard de son contenu : « eu égard à leur portée et à leur caractère général et en l’absence de zonage les concrétisant, les orientations précitées du PADD ne peuvent être regardées comme traduisant un état d’avancement du projet de plan local d’urbanisme suffisant à fonder une décision de sursis, compte tenu de la localisation du projet en litige ».

Il a sur ce point confirmé la jurisprudence selon laquelle un sursis ne peut être pris que si le projet de PLU forme une quasi-norme, formalisée et décantée (voir en ce sens CE, 9 déc. 1988, n° 68286 ; CE, 21 avril 2021, n°437599, conclusions du RP ; et aussi par ex. CAA Bordeaux, 9 juill. 2020, n° 19BX00571). Ainsi, l’exécution du PADD n’étant pas compromise ou rendue plus onéreuse, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

2/ La centrale solaire n’emporte aucun impact environnemental ou paysager sur le golf voisin

Les requérants contestaient enfin les impacts du projet sur l’environnement (art. R. 111-26 du code de l’urbanisme). Cependant, le tribunal juge que la localisation du projet dans une zone agricole non artificialisée ne permet pas d’établir des atteintes à l’environnement.

Les autres impacts présumés sur le paysage (art. R. 111-27), notamment un impact visuel sur un golf voisin, des risques liées aux retombées de balles, des impacts sur le drainage du terrain, ainsi qu’une dépréciation de la valeur du golf ne sont pas matériellement démontrés, d’autant plus que le projet répond efficacement à chacun de ces présumés impacts, notamment grâce à la topographie et des mesures d’insertion.

Ces jugements constituent un signal encourageant pour le développement des énergies renouvelables, même dans un contexte local parfois éprouvant. Ils démontrent également l’importance de la coordination entre le préfet et la commune dans le processus de délivrance des permis des installations de production d’énergie. Ainsi que, au besoin, l’utilité d’un accompagnement juridique des promoteurs pour limiter le risque d’annulation.

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

La procédure dite de régularisation « dans le prétoire » a été inscrite au code de l’environnement en 2017 pour faire aboutir des projets industriels et d’énergies renouvelables (notamment parcs éoliens) malgré des recours en justice. En pratique, elle peut durer et demeurer aléatoire. Cette décision démontre l’efficacité du dispositif, y compris si l’Etat, après avoir accordé une autorisation illégale, refuse in fine de la régulariser. En octroyant la régularisation malgré le refus du préfet, le juge se comporte comme un administrateur et se substitue à l’inertie de l’Etat.

En l’espèce, suite à un recours dirigé contre l’autorisation environnementale d’un projet éolien, le juge administratif avait pris un sursis à statuer (SAS) dans l’attente de sa régularisation. Deux ans plus tard, la société n’avait toujours pas obtenu l’arrêté préfectoral nécessaire à la continuité de son projet. Finalement, la Cour administrative d’appel de Douai délivre elle-même la régularisation attendue, après avoir jugé que l’inertie de l’administration était illégale (CAA Douai, 29 août 2024, 24DA00695).

1/ Une innovation prétorienne

Le recours direct contre un refus de régularisation est possible. Un refus tacite de régularisation est un acte administratif faisant grief, de sorte qu’il peut faire l’objet d’un recours. La particularité est l’articulation de ce recours mené par la société porteur du projet éolien, avec celui entamé initialement par les opposants contestant ledit projet.

Les opposants ont demandé l’annulation de l’arrêté d’autorisation environnementale alors que la société demande, quatre ans plus tard, l’annulation du refus de régulariser la même autorisation environnementale. Suivant les conclusions de sa rapporteure publique, la Cour juge que ce nouveau recours implique un recours distinct (voir en ce sens CE, 9 novembre 2021, Sté Lucien Viseur req. 440028 B), n’y reconnaissant que le statut d’observateur aux opposants.

La rapporteure publique recommande également aux juges d’examiner la légalité du refus de régularisation avant de poursuivre l’instance dirigée contre l’autorisation initiale suspendue.

Le silence opposé par le préfet à une demande de régularisation vaut refus. En l’espèce, le préfet n’avait pas explicitement refusé la demande de la société mais s’était contenté de rester silencieux.

Pour conclure que cette inertie équivaut à un refus, la Cour se base sur le délai du droit commun énoncé à l’article L.231-1 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, le principe est que silence gardé par l’administration (deux mois après la demande) vaut acceptation. Par exception, le silence vaut refus dans certains cas, tel que la demande d’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental (annexe du décret 2014-1273 du 30 octobre 2014).

La Cour juge que la demande de la société tendant à la délivrance d’une autorisation modificative, « devait conduire le préfet à apprécier s’il impliquait une modification substantielle ou seulement notable du projet autorisé. Dans la mesure où, d’une part, l’une ou l’autre de ces modifications était susceptible de justifier soit une nouvelle étude d’impact, soit une modification de l’étude d’impact et où, d’autre part, l’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental déroge au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation » (considérant 11). Une décision tacite est donc née, mais elle vaut refus. En outre, une décision tacite de refus est par principe illégale dans la mesure où elle n’est pas motivée.

Un nouvel exemple du juge administrateur. Le juge n’a pas régularisé l’acte spontanément. C’est seulement au vu de la durée de la procédure de régularisation et de l’inertie de l’administration qu’il fait usage de ses pouvoirs de plein contentieux et se substitue à l’administration pour permettre à la continuité du projet. La rapporteure publique souligne que reconnaître cette action est le seul moyen de combattre la tendance de l’administration de refuser de statuer expressément sur certains projets éoliens.

Ainsi, la Cour précise que « [le juge administratif] a, en particulier, le pouvoir d’annuler la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé l’autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d’accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu’il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions » (considérant 31). La formulation de ce considérant de principe laisse entendre que le juge peut régulariser ou compléter la procédure, avant d’accorder lui-même l’autorisation.

2/ Comment procéder lorsque la procédure de régularisation n’aboutit pas ?

La procédure ordinaire : classique mais robuste. Dans le cas où l’acte est susceptible d’être régularisé, le juge sursoit à statuer en fixant un délai pour l’administration (article L. 181-18, I, 2° du code de l’environnement).

Le recours des tiers dirigé contre l’autorisation est alors suspendue jusqu’à ce que le préfet statue sur la mesure de régularisation. De plus, le Conseil d’Etat a précisé, dans un avis contentieux, que le juge doit user de ses pouvoirs de régularisation lorsque les conditions en sont réunies à le faire (CE, avis contentieux, 10 novembre 2023, n° 474431). La régularisation est donc devenue le principe, et non pas une simple faculté.

Enfin, le dépassement éventuel du délai fixé par le juge pour mener la procédure de régularisation ne constitue pas une entrave (Voir en ce sens CE, 16 février 2022, Société MSE la Tombelle, req. 420554, 420575  à propos de la régularisation d’un permis de construire selon l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, « [le juge administratif] ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu’il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué »).

La procédure finalisée par le juge : une exception. Le juge a certes l’obligation de sursoir à statuer en l’attente de l’acte de régularisation. Mais si celui-ci tarde à arriver, en raison d’un blocage du préfet, comment agir ?

En suivant l’exemple du cas d’espèce, le porteur du projet, doit d’abord procéder aux formalités qui lui incombent nécessaires pour régulariser les vices constatés (par ex. mise à jour du dossier).

Il doit ensuite demander à l’administration, au besoin après qu’elle ait finalisé les formalités à même de régulariser l’autorisation illégale (par ex. demande d’avis ou enquête publique complémentaire) de délivrer une autorisation modificatrice, à savoir un arrêté préfectoral complémentaire portant régularisation.

Si l’administration refuse explicitement ou ne répond pas, le porteur de projet peut saisir le juge pour contester cette décision. Si la décision préfectorale de refus est jugée illégale, c’est le juge qui accordera – le cas échéant après avoir régularisé ou complété la procédure – lui-même l’autorisation aux conditions qu’il fixe.

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