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Etiquetage « vert » des produits du bâtiment : analyse du cycle de vie obligatoire dès juillet 2013

par | 17 Avr 2013

greenwash.jpgLe Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie vient de diffuser un important projet de décret réglementant l’affichage environnemental des produits destinés au bâtiment et mis sur le marché. Il s’agit de garantir que les produits étiquetés « verts » le méritent.

Le dispositif généralise le principe d’une information fiable sur l’impact des biens, produits et emballages. Il répond à une forte demande des consommateurs, parfois circonspects devant la multiplication des labels verts.

II répond également à la préoccupation de lutter contre l’obsolescence programmée dès lors que la déclaration environnementale devra préciser la durée de vie du produit.

C’est une première étape vers l’éco-label unique.

Avec le projet de décret qui vient d’être diffusé, il a été fait le choix de réglementer dans un premier temps les produits destinés au bâtiment.

Dès lors qu’une communication à caractère environnemental accompagnera la commercialisation d’un tel produit, le fabricant sera tenu de délivrer une déclaration environnementale (profil environnemental complet du produit basé sur l’analyse de son cycle de vie).


En cas de déclaration erronée, on peut d’ores et déjà envisager que des actions pour tromperie seront engagées. 

i. Pourquoi une déclaration environnementale en cas d’affichage environnemental ?

Le nouveau dispositif est pris en application de la dite « Grenelle II » du 12 juillet 2010 qui a incorporé dans le Code de la consommation un 10° à l’article L. 214-1. Selon cet article, un décret devra énumérer les  exigences de précision, de vérification et de prise en compte du cycle de vie d’un produit dès lors que la commercialisation de ce produit s’accompagne d’allégations à caractère environnemental.


L’objectif est :

  1. de veiller à ce que l’information sur l’impact environnemental (réchauffement climatique et consommation de ressources) des biens, produits et emballages délivrée aux consommateurs soit fiable (sincère et objective) ;
  2. d’instaurer une concurrence non biaisée entre les fabricants des produits. 


En d’autres termes, il s’agit de garantir que les produits étiquetés « verts » le méritent.

ii. Quelles obligations ?

Selon le projet de décret, le responsable de la mise sur le marché de produits comportant des allégations à caractère environnemental ou utilisant les termes de développement durable ou ses synonymes, présentées sur les produits ou accompagnant leur commercialisation (mentions sur les emballages, publications, publicité, télémercatique, insertions sur supports numériques ou électroniques) doit établir une déclaration environnementale.

L’obligation s’impose donc également au reporting environnemental des entreprises.

La déclaration environnementale fera l’objet, à partir de 2017, d’une vérification par tierce partie indépendante portant sur le respect des modalités de mise en œuvre de la déclaration environnementale fixées par arrêté.

iii. Qu’est-ce qu’une allégation à caractère environnemental ?

Le texte ne reprend pas l’expression d’affichage environnemental mais d’allégation à caractère environnemental.

On doit cependant par précaution considérer que cette formule a une portée très large : par exemple la recyclabilité du produit, ses impacts sur les ressources naturelles (air, eau, sol, faune, flore, biodiversité, couche d’ozone, bruit, énergie, déchets, émissions polluantes, empreinte écologique…)

Elle a vocation a s’appliquer à tous les produits labellisés « eco » quelquechose, avec logo vert etc…

iv. Sur quoi devra porter la déclaration environnementale ?

La déclaration environnementale à établir  pourra porter sur les aspects environnementaux imputables au produit au cours de son cycle de vie, à savoir :

– consommation des ressources,

– déchets solides valorisés ou éliminés,

– changement climatique,

– acidification atmosphérique,

– pollution de l’air ou de l’eau,

– formation d’ozone photochimique,

– eutrophisation.

On notera que la santé publique ne figure pas directement parmi les aspects à contrôler.

v. A quels secteurs s’appliquera le dispositif ?

Le dispositif doit s’appliquer dès le 1er juillet 2013 pour tous les produits de construction et de décoration.  Les équipements électriques, électroniques et de génie climatique n’y seront soumis qu’à partir de juillet 2017.

vi. Quels produits seront exonérés ?

La déclaration environnementale ne s’impose pas dans les cas suivants :

– le produit fait déjà l’objet d’une certification relative à des caractéristiques environnementales (par arrêté ministériel) respectant les exigences définies et les allégations environnementales accompagnant le produit sont celles prévues par la certification ;

– le produit satisfait aux exigences d’une autre réglementation concernant un ou plusieurs aspects environnementaux mentionnés et les allégations environnementales accompagnant le produit sont celles prévues par la réglementation.

Il faudra examiner au cas par cas si ces éxonérations s’appliquent.

vii. Que doit contenir la déclaration environnementale

C’est la que cela se corse pour les fabricants…

Selon l’article 3 du projet d’arrêté ministériel accompagnant le projet de décret, la déclaration environnementale contient les informations suivantes :

1° les valeurs, pour le total cycle de vie et pour l’étape de production, l’étape du processus de construction, l’étape d’utilisation et l’étape de fin de vie, des indicateurs suivants :

– décrivant les impacts environnementaux :

– réchauffement climatique

– appauvrissement de la couche d’ozone

– acidification des sols et de l’eau

– eutrophisation

– formation d’ozone photochimique

– épuisement des ressources abiotiques – éléments

– épuisement des ressources abiotiques – combustibles fossiles

– pollution de l’eau

– pollution de l’air

– décrivant l’utilisation des ressources :

– utilisation de l’énergie primaire renouvelable, à l’exclusion des ressources d’énergie primaire renouvelables utilisées comme matières premières

– utilisation des ressources d’énergie primaire renouvelables utilisées en tant que matières premières

– utilisation totale des ressources d’énergie primaire renouvelables (énergie primaire et ressources d’énergie primaire utilisées comme matières premières)

– utilisation de l’énergie primaire non renouvelable, à l’exclusion des ressources d’énergie primaire non renouvelables utilisées comme matières premières

– utilisation des ressources d’énergie primaire non renouvelables utilisées en tant que matières premières

– utilisation totale des ressources d’énergie primaire non renouvelables (énergie primaire et ressources d’énergie primaire utilisées comme matières premières)

– utilisation de matière secondaire

– utilisation de combustibles secondaires renouvelables

–  utilisation de combustibles secondaires non renouvelables

– utilisation nette d’eau douce

– décrivant les catégories de déchets :

– déchets dangereux éliminés

– déchets non dangereux éliminés

– déchets radioactifs éliminés

– décrivant les flux sortants :

– composants destinés à la réutilisation

– matériaux destinés au recyclage

– matériaux destinés à la récupération d’énergie

– énergie fournie à l’extérieur.

2° en option, les valeurs des mêmes indicateurs portant sur les bénéfices et charges au-delà des frontières du système,

3° l’unité fonctionnelle du produit,

4° la durée de vie du produit,

5° la description des produits constitutifs de l’unité fonctionnelle (quantité de produit principal, quantité d’emballages, quantité de produits complémentaires liés à la mise en

œuvre),

6° en option, le domaine d’application du produit

7° le produit couvert par la déclaration environnementale : famille, description(s) ou désignation(s) commerciale(s), nom(s) ou désignation du (des) responsable(s) de la mise sur le marché,

8° la date de la déclaration environnementale,

9° le cas échéant, le certificat de vérification et les coordonnées du vérificateur ayant effectué la vérification par tierce partie indépendante mentionnée à l’article 7 du décret __ susvisé,

– 10° les coordonnées du déclarant,

– 11° l’adresse du site Internet où ces informations sont consultables gratuitement

Le déclarant doit en outre être en mesure de fournir aux autorités chargées des contrôles et du vérificateur indépendant l’ensemble des éléments, ou les coordonnées des personnes physiques ou morales détentrices de ces éléments, permettant de justifier les informations contenues dans la déclaration environnementale, notamment :

– l’origine des matières premières, matériaux et composants du produit,

– l’identification des intrants non inclus dans l’inventaire du cycle de vie en respect de la

règle de coupure,

– les résultats des calculs d’inventaires,

– les éléments justificatifs de la durée de vie du produit,

– en cas de recours à des données génériques issues de bases de données publiques ou privées, la documentation relative à la représentativité technologique, géographique et temporelle des données génériques utilisées, les références des bases dont elles sont issues

et les références des modules de données utilisés,

– la masse totale des intrants non inclus dans l’inventaire du cycle de vie en respect de la règle de coupure,

– les scenarii dont découle l’inventaire du cycle de vie,

– le(s) site(s) de production couvert(s) par la déclaration environnementale,

– la production de chaque site exprimée avec l’unité de quantité définie dans l’unité fonctionnelle,

– en cas de recours à une méthode d’échantillonnage, les éléments justifiant que l’échantillon utilisé est représentatif, notamment  d’un point de vue géographique, temporelle et technologique, de la production du produit mise sur le marché français,

– les éléments constitutifs du cadre de validité de la déclaration collective mentionné à l’article 10.

viii. Quelles sanctions sont prévues en l’absence de déclaration environnementale ou en cas de déclaration erronée ?

C’est tout le sujet car la force de la loi dépend des conditions de la sanction de sa méconnaissance.

Or, si le projet de décret ne prévoit en tant que tel pas de sanction, les sources de responsabilité paraissent nombreuses à première analyse :

– responsabilité pénale du professionnel si la substance est nuisible à la santé de l’homme

– responsabilité contractuelle ou délictuelle, si une faute est à l’origine d’un préjudice

– tromperie…

Les risques seront donc nombreux sur le plan juridique. Par exemple, matériaux labellisés verts répondant à une condition d’un cahier des charge d’un chantier public du BTP : si la déclaration environnementale est erronée, le risque de recours est important.

La question se pose tout de suite de savoir, dans un tel cas, comment le juge ou l’administration pourront apprécier la fiabilité de la déclaration, surtout en l’absence de tiers expert jusqu’ne 2017.

On peut d’ores et déjà recommander aux professionnels et à tous les acteurs concernés de lire très attentivement ces projets afin d’apprécier la faisabilité et l’efficacité concrète du dispositif (coût, avantages etc..).

La consultation sur le projet de dispositif est ouverte jusqu’au 10 mai 2013.

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle jouit d’un monopole d’exploitation lui permettant de s’opposer aux pratiques des tiers.

Le droit des marques confère cette protection notamment par le biais de l’action en contrefaçon (civile) permettant d’engager la responsabilité de celui qui se livre à l’une des atteintes énumérées (article L.716-4 du Code de propriété intellectuelle).

Une autre action, dite en concurrence déloyale (article 1240 et 1241 du Code civil), permet d’engager la responsabilité de celui dont le comportement s’inscrit en violation des règles du commerce, et ce en dehors de tout droit privatif.

Alors que le commerce de contrefaçon dans le monde atteint 467 Md$ (rapport de l’OCDE sur la situation mondiale du commerce de contrefaçon), les titulaires de droits intellectuels s’étant livrés à de réels investissements, s’interrogent sur les actions à conduire afin d’obtenir des sanctions, si possible lourdes et dissuasives.

Les titulaires des droits intellectuels peuvent-ils envisager le cumul de l’action en contrefaçon et de l’action en concurrence déloyale ?

C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 mars 2025 (Com. 26 mars 2025, FS-B, n° 23-13.589).

En l’espèce, la société Cargo Media AG exploite un site de rencontres pour adultes à caractère sexuel dénommé « Fuckbook ». Dans ce cadre, elle a acquis deux noms de domaine (« fuckbook.xxx » et « fuckbook.com »). Invoquant l’atteinte à ses droits, la célèbre société Meta Platforms Inc. (anciennement Facebook Inc.) invoque l’atteinte à ses marques renommées, la contrefaçon de marques (verbales et figuratives) ainsi qu’une concurrence déloyale.

La Cour d’appel de Paris (Paris, 28 octobre 2022) a fait droit aux demandes de la société Meta Platforms Inc. en retenant l’atteinte à la renommée des marques, prononce des mesures d’interdiction et condamne la société Cargo Media AG au paiement de dommages et intérêts.

Suite à un pourvoi formé par la société Cargo Media AG, la Cour de cassation a confirmé – par son arrêt du 26 mars 2025 – le raisonnement des juges du fond.

Le premier moyen de la société Cargo Media AG portait sur la détermination du public de référence. Elle remettait en cause la détermination du public choisi pour apprécier le risque de confusion (critère essentiel pour la qualification de contrefaçon). Elle soutenait qu’il ne pouvait s’agir du « public qui utilise les réseaux sociaux » et qu’il convenait de se livrer à une détermination plus précise.

À cet argument, qui « ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation des juges du fond », la Cour répond négativement : le public de référence – à l’appui duquel il convient d’apprécier le risque de confusion entre les marques en cause et le signe « Fuckbook » – est un public qui se confond dans la catégorie plus large du « public des services du réseau social « Facebook ».

Le public de référence peut donc être un public particulier qui entre dans une catégorie plus large. Partant de ces constatations, le risque de confusion et le risque de confusion sont confirmés.

Le second moyen de la société Cargo Media AG portait sur le cumul entre la contrefaçon et la concurrence déloyale. Elle affirmait qu’en l’espèce, un tel cumul était impossible en raison de l’absence de constatation de faits distincts de ceux à l’appui desquels avait été prononcée la contrefaçon.

C’est sur l’appréciation de ces faits distincts que réside le cœur de l’arrêt commenté.

Rompant avec le raisonnement du tribunal judiciaire, les juges de la Cour d’appel de Paris avaient en effet considéré que « les atteintes au nom commercial Facebook et au nom de domaine facebook.com constituent des faits distincts de concurrence déloyale, s’agissant de sanctionner un comportement fautif différent ».

Pour arbitrer de point, la Haute juridiction fait référence à sa jurisprudence antérieure. Les deux actions sont cumulables à condition que la concurrence déloyale résulte de faits distincts de ceux retenus pour la contrefaçon. Toutefois, il ne faut pas confondre faits distincts et faits matériels. En effet, un seul fait matériel peut caractériser des faits distincts « s’il porte atteinte à des droits de nature différente ». En l’espèce, le nom commercial et le nom de domaine se distinguent des droits détenus sur une marque. Dès lors, lorsque s’illustre un risque de confusion, les deux actions peuvent être cumulées puisqu’elles reposent sur des faits distincts (à entendre au sens de conséquences distinctes). La Cour d’appel avait retenu un tel risque résultant de la création, l’esprit du public de référence, d’une impression de continuité économique entre les deux entités. 

La dernière étape du raisonnement de la Cour porte sur la conséquence attachée à ce cumul. Elle affirme, « la victime peut obtenir, au titre de la concurrence déloyale, la réparation du préjudice distinct né de l’atteinte à la distinctivité de ses signes d’identification, tels le nom commercial ou le nom de domaine, seulement si le préjudice n’est pas déjà réparé au titre de la contrefaçon ». Pour que le cumul soit prononcé, il faut donc caractériser des préjudices distincts.

Retenons donc le possible cumul des sanctions, favorable aux titulaires de droit de propriété intellectuelle. L’arrêt s’illustre également par l’encadrement de cette possibilité, permettant d’éviter de tordre la règle non bis in idem.

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

Le droit de la propriété intellectuelle octroi à son bénéficiaire un droit exclusif d’exploitation en vertu duquel il peut s’opposer aux agissements des tiers. Cependant, des limitations au droit de propriété existent en droit des marques , même dument enregistrées (L.713-1 du Code de la propriété intellectuelle), par exemple lorsque le produit revêtu de la marque a fait l’objet d’un épuisement des droits – c’est-à-dire lorsque la première vente ou mise en circulation dans l’UE/EEE a été autorisée par le titulaire des droits – ou lorsque l’utilisation litigieuse n’a pas lieu dans la vie des affaires (CJCE, n° C-206/01, Arrêt de la Cour, Arsenal Football Club plc contre Matthew Reed, 12 novembre 2002).

Naturellement, la coexistence entre le droit privatif et les tiers conduit à des litiges quant à la juste articulation des droits de chacun. Les marques de renommée ne sont pas exemptées, d’autant que leur protection se distingue en ce qu’elle dépasse le principe de spécialité. En effet, elles jouissent d’une protection qui dépasse les produits et services pour lesquels elles sont déposées. La liberté d’expression apparaît alors comme un droit légitimement opposé.

La liberté d’expression peut-elle limiter le droit exclusif conféré au titulaire d’une marque enregistrée ?

À de nombreuses reprises, les juges du fond se sont prononcés sur l’articulation entre le droit des marques et la liberté d’expression des tiers. Citons par exemple, la possible qualification d’atteinte à la marque en cas de caricature de marques lorsque les agissements du tiers rendent compte d’une volonté d’« exploiter l’impact » de la marque déposée (TGI Paris, 4 oct. 1996) ou d’« user de la caricature et de la parodie, non pas uniquement pour railler ou faire sourire, mais aussi dans l’intention essentiellement commerciale de profiter des marques déposées pour vendre son propre produit (…) » (Paris, 9 sept. 1998). La liberté d’expression se voit alors écartée lorsque la caricature est détournée pour profiter indûment de la notoriété de la marque en cause.

Quid de la liberté d’expression artistique ? L’utilisation de la marque de renommée dans une démarche artistique fait-elle obstacle à la revendication d’actes de contrefaçon ?

C’est sur cette question que s’est prononcé le Tribunal judiciaire de Paris, le 2 avril 2025. En l’espèce, un artiste a représenté des montres Rolex dans ses œuvres, en conservant certains éléments des marques en cause, tout en modifiant le fond du cadran pour y intégrer des créations personnelles inspirées du Pop Art.

Les sociétés Rolex ont revendiqué la renommée de leurs marques – en s’appuyant notamment sur « plusieurs sondages et enquêtes de notoriété » qui placent les marques en cause parmi les plus réputées au monde – et estiment qu’il s’agit d’utilisations sans autorisation à des fins économiques (utilisation dans un clip promotionnel, diffusion sur les réseaux sociaux…). Les sociétés ROLEX ont affirmé que l’exploitation donne « l’impression d’un lien contractuel » dont il résulte une altération du « caractère distinctif de leurs marques », c’est-à-dire que l’usage artistique brouille l’image de la marque : le public ne l’associe plus uniquement à Rolex.

En réponse, l’artiste a contesée la renommée de l’ensemble des marques invoquées et affirmé que la démarche artistique faisait obstacle à ce que les sociétés Rolex revendiquent des actes de contrefaçon, « d’autant qu’aucun profit tiré de la renommée de ces marques, ni impact sur le comportement économique des consommateurs n’a été démontré ».

Après avoir rappelé la définition de la marque de renommée et ses critères d’appréciation, le Tribunal judiciaire de Paris s’est livré à un arbitrage.

D’une part, les juges du fond retiennent la renommée de certaines marques de la société Rolex : « Au vu de ces éléments, l’importance du budget publicitaire sur plusieurs années, le référencement de la marque dans la presse française, l’existence de sondages et enquêtes de notoriété, l’usage dans le temps et son étendue géographique, les sociétés Rolex démontrent la renommée de leurs marques n° 976721, n° 1355807 et n° 476371 ». Les juges du fond se livrent ainsi à une appréciation rigoureuse de la renommée et rappellent qu’« En effet, c’est uniquement les marques « Rolex » et son logo à la couronne qui jouissent d’une grande notoriété » puisque « Le dépôt de plusieurs marques concernant ces signes ne peut à lui seul caractériser leur renommée ». La démonstration de la renommée apparaît comme une étape cruciale dans la recherche de l’équilibre convoité.

D’autre part, s’agissant de la liberté d’expression, les juges du fond rappellent que la directive 2015/2436 permet de considérer que l’usage d’une marque fait par des tiers à des fins d’expression artistique est loyal lorsque celui-ci est conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Or, tel n’est pas le cas lorsque l’usage de la marque « dépasse les usages loyaux en matière industrielle et commerciale » c’est-à-dire lorsque « l’identification de la marque sert un objectif d’auto-promotion ». En effet, les marques renommées des sociétés Rolex ont été utilisées à plusieurs reprises – parfois associées au terme « Watch » – dans un clip vidéo, sur les réseaux sociaux etc… Indéniablement, cela a participé à la création d’une impression d’un lien commercial entre les marques des sociétés Rolex et les œuvres de l’artiste, le public pertinent étant celui des amateurs de montres de luxe.

Partant de ces considérations, le Tribunal judiciaire de Paris a retenu l’atteinte à la renommée des marques en cause, condamné l’artiste pour parasitisme et ordonné notamment l’interdiction de l’usage des signes « Rolex » et le retrait de ces signes dans la vidéo promotionnelle ainsi que dans les messages sur les réseaux sociaux. La création du lien commercial a conduit à une dilution et une banalisation desdites marques.

Les juges du fond participent ainsi à la protection du droit des marques et des investissements réalisés. Il en résulte que la liberté d’expression artistique ne peut primer sur le droit des marques qu’à des conditions strictes. Dès lors, la preuve de la renommée et l’existence d’un usage déloyal sont des prérequis essentiels à l’éviction de cette liberté.

La marque de renommée est de nature à faire obstacle à la liberté d’expression artistique à la condition que la preuve de ladite renommée soit apportée et que l’usage du tiers ne soit un usage honnête conformément à la directive 2015/2436. De telles conditions sont réunies lorsque l’artiste utilise de façon déloyale la notoriété de la marque pour son auto-promotion.

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

La défense d’un dessin ou modèle de valise conduit la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, à rendre une solution remarquable. La Haute juridiction précise les conditions de validité d’un procès-verbal de constat d’achat établi après l’intervention d’un stagiaire du requérant.

L’article L.716-7 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens ». Parmi les options ouvertes aux titulaires des droits de propriété intellectuelle, se trouve le constat d’achat, mesure probatoire de droit commun. Cette mesure conduit à l’intervention d’une commissaire de justice (anciennement huissier de justice) qui, à la suite d’un achat, réalise un procès-verbal. Elle permet de rendre compte d’une offre faite au public de produits présumés contrefaisants. Contrairement à la saisie- contrefaçon, aucune ordonnance judiciaire n’est nécessaire.

En dépit de cette facilité d’apparence, de nombreuses règles encadrent la mise en œuvre de ladite mesure probatoire et sa validité. En effet, « les huissiers de justice peuvent (…) effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » (rappel au considérant 7 de l’arrêt commenté) – au risque d’une requalification en saisie-contrefaçon déguisée et d’une annulation pour ce motif (Paris, 23 septembre 1998 : PIBD III, p. 79)- et, il « n’est pas autorisé à pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, tel qu’un magasin, pour y recueillir des preuves au bénéfice de son mandant et, en particulier, y faire un achat, sans décliner préalablement sa qualité» (rappel au considérant 8 de l’arrêt commenté).

Pour réaliser l’achat qui précède le procès-verbal de constat d’achat, le Commissaire de Justice peut recourir à la méthode dite du « tiers acheteur » consistant à « solliciter un tiers, qui n’a pas la qualité d’officier public, afin qu’il pénètre dans un tel lieu pour y faire un achat, et, ensuite, relater les faits de ce tiers qu’il a personnellement constatés, se faire par lui remettre toute marchandise en sa possession à la sortie du magasin (…) » (rappel au considérant 9 de l’arrêt commenté).

Qui est ce tiers ? Peut-il s’agir du stagiaire du cabinet d’avocat chargé de la défense du requérant ? Si oui, à quelles conditions peut-il intervenir dans le constat sans que sa participation ne conduise à la nullité du procès-verbal réalisé par le Commissaire de Justice ?

La réponse est apportée par la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 12 mai 2025 (Cour de cassation, Chambre mixte, Pourvoi n° 22-20.739), après un renvoi de l’examen du pourvoi.

En l’espèce, la société Rimowa GmbH – ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de bagagerie en aluminium et polycarbonate – est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur un dessin et modèle de valises (via la protection résultant des dessins et modèles). Or, en 2016, elle observe que la société HP Design commercialisait, sous la marque « Bill Tornade » des valises, considérées par elle comme contrefaisant le modèle « Limbo Multiwheel », puisque reproduisant ses caractéristiques originales. Partant, l’avocat de la société Rimowa a sollicité un constat d’achat lequel a été consigné par procès-verbal d’huissier de justice.

En novembre 2016, elle a assigné la société HP Design et une société tierce Intersod (qui exploitait la marque « Bill Tornade »). La Cour d’appel avait fait droit aux demandes de la société Rimowa GmbH en déclarant valable le procès-verbal de constat d’achat et en condamnant in solidum les sociétés HP Design et Intersod à indemniserla société Rimowa au titre d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Un pourvoi en cassation est alors formé, la société Intersod considérant que « le principe de loyauté de l’administration de la preuve et le droit au procès équitable (…) » imposent que le tiers qui réalise l’achat « soit indépendant de la partie requérante » ce qui n’est pas le cas du stagiaire au cabinet d’avocat de la requérante. Pour la société demanderesse, l’appréciation de l’indépendance dudit tiers n’impose pas «  de s’interroger sur l’existence d’un stratagème imputable à la partie requérante ».

Confirmant le raisonnement des juges du fond sur ce point, la Cour de cassation réfute l’analyse de la société demanderesse. Pour la Cour « Il y a lieu de juger désormais que l’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas de nature à entraîner la nullité du constat d’achat. » (considérant 18 de l’arrêt commenté). Le stagiaire, placé dans une situation de dépendance – puisque soumis à un lien de subordination vis-à-vis du cabinet du requérant – ne pouvait être considéré comme un tiers indépendant, mais cela n’a pas suffi à entraîner la nullité du procès-verbal. Désormais, la seule absence d’indépendance du tiers acheteur ne suffit plus à justifier l’annulation du procès-verbal.

Pour la Cour de cassation, ce sont les conditions de réalisation du procès-verbal qui permettent d’apprécier sa validité. En effet, elle affirme « il appartient au juge d’apprécier si, au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d’indépendance affecte la valeur probante du constat» (considérant 18 de l’arrêt commenté). Or, en l’espèce, l’intensité du contrôle exercé par le Commissaire de Justice (description précise de la mise en œuvre traduisant une vérification minutieuse et un encadrement du stagiaire – qui entre sans sac puis lui remet aussitôt la valise et la facture) et l’absence de déloyauté (mention de l’identité et de la qualité du tiers acheteur dans le procès-verbal ainsi que l’absence de démonstration d’un quelconque stratagème) conduisent la Cour à considérer que le défaut d’indépendance n’affecte pas le caractère objectif des constatations du procès-verbal.

Observons que le positionnement de la Haute juridiction est marqué par une volonté assumée de prendre en considération les « divergences d’application parmi les juges du fond et des critiques de la part de la doctrine et de praticiens, qui ont souligné sa rigueur excessive » (considérant 12 de l’arrêt commenté).

Toutes ces circonstances particulières justifient cet arrêt remarquable, qui apparaît comme un revirement d’arrêts antérieurs tel que celui rendu huit ans plus tôt (Civ. 1re, 25 janv. 2017, F-P+B, n° 15-25.210).

Enfin, ajoutons qu’en l’espèce, la Cour de cassation vient également sanctionner les juges du fond quant à la qualification de concurrence déloyale. En effet, « En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser des faits distincts portant atteinte à des droits de nature différente de ceux dont la méconnaissance a été réparée sur le fondement de l’action en contrefaçon, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » (considérant 33 de l’arrêt commenté).

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