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Les stratégies efficientes devant la justice climatique : les États (1/2)

par | 18 Mar 2019

Affaire du siècle, marche Mondiale pour le climat, Youth for Climate… la demande de justice climatique est un phénomène mondial sans précédent.

Mais au-delà de la communication et des manifestations, comment réagissent les tribunaux ?

C’est l’objet de notre analyse des stratégies contentieuses gagnantes, publiée dans Actu-Environnement (cette semaine 1/2 : les Etats).

Face au constat de l’inefficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre le changement climatique, les citoyens demandent aux États de garantir l’effectivité de leurs droits, tels que l’accès aux ressources naturelles pour les générations futures ou un environnement sain. Ces droits sont en effet menacés par le changement climatique, qui affecte leur jouissance effective. Les actions contentieuses en matière climatique sont la conséquence de la prise de conscience de l’urgence de la situation.

La judiciarisation des actions relatives au changement climatique est un phénomène mondial, comme l’a relevé le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans un rapport « The Status of Climate change litigation : a global review » (mai 2017). En 2018, plus de 1.000 contentieux en matière climatique pouvaient être recensés dans le monde, répartis sur 25 pays. Plus de 600 de ces contentieux sont engagés aux États-Unis, qui occupent donc une place prépondérante.

Au-delà de ce constat, la maîtrise du risque implique d’évaluer les stratégies contentieuses gagnantes. Deux grandes catégories d’actions peuvent être distinguées : la mise en cause des États et des acteurs publics (1/2), et celle des entreprises (2/2). Ce premier article s’intéresse aux Etats. Un second évoquera les entreprises. A chaque fois, nous pourrons recenser les arguments ayant convaincus les tribunaux.

L’Accord de Paris : un fondement récurrent

Les États sont de plus en plus souvent mis en cause par les citoyens dans le cadre de procédures très diverses en lien avec le climat. Ces derniers peuvent intenter des recours à titre individuel, ou se regrouper pour représenter un intérêt collectif.

L’Accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 4 novembre 2016 a constitué un tournant dans le développement de ces actions, en instituant notamment des obligations opposables aux États. Il constitue aujourd’hui un fondement récurrent des procédures.Les contestations portent sur des sujets plus ou moins étendus.

Il peut s’agir d’une mise en cause globale des politiques publiques ou d’une lacune de la législation en matière de lutte contre le changement climatique. Dans l’affaire Urgenda, les requérants ont demandé et obtenu de l’État néerlandais la mise en place d’une politique nationale de lutte contre le changement climatique plus stricte. Dans « l’Affaire du Siècle », les requérants (4 ONG) viennent d’engager, le 14 mars 2019, un contentieux contre l’État français pour qu’il respecte ses engagements climatiques.

Il peut aussi s’agir d’un projet en particulier (expansion d’aéroports ou de mines de charbon, construction dans des zones à risques…) : la Cour suprême d’Irlande a accueilli le 21 novembre 2017 la plainte de l’association Friends of Irish Environment contre un permis d’agrandissement d’une piste d’atterrissage. La Cour a reconnu la violation du Climate Action and Low Carbon Act 2015.

Cela dit, plusieurs tendances peuvent être distinguées en matière de contentieux relatifs au changement climatique engagés contre les personnes publiques.

L’injonction faite aux États de tenir leurs engagements politiques et légaux

Le 9 octobre 2018, la Cour d’appel de la Haye a confirmé un jugement du 24 juin 2015 concluant que l’État néerlandais avait l’obligation de prendre des mesures de lutte contre le changement climatique (réduction d’émission de GES) étant donné la gravité de ses conséquences et des risques majeurs engendrés. Elle a conclu que l’action de l’État néerlandais avait été illégale car il n’avait pas poursuivi une réduction suffisamment ambitieuse et il n’avait pas favorisé une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici 2020.

D’autres plaintes contre les États se sont multipliées : des agriculteurs allemands ont déposé un recours en octobre 2018 devant le tribunal administratif de Berlin, sur le fondement du non-respect des objectifs de 2020, du partage de l’effort européen (Effort Sharing Decision) et des Accords de Paris. De même, en 2015, en Belgique, l’ASBL Klimaatzaak a porté plainte contre l’État et sa politique climatique. Néanmoins, la Cour de cassation belge a rejeté le pourvoi en avril 2018.

Un autre exemple notable est celui de la décision dans laquelle le Conseil d’État français a enjoint « au premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre (…) un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote [NO2] et en particules fines PM10 sous les valeurs limites (…) dans le délai le plus court possible », et a ordonné au gouvernement de « le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ».

Le 13 décembre 2018, le tribunal de l’Union Européenne a donné raison aux villes de Paris, Bruxelles et Madrid en relevant que la Commission ne pouvait pas assouplir les limites d’émissions d’oxydes d’azote et déroger à la norme euro 6 en relevant le plafond prévu et en permettant aux voitures diesel de dépasser le niveau maximal d’émissions d’oxydes d’azote autorisé.

L’établissement d’un lien entre l’extraction des ressources et le changement climatique

Le 8 février 2016, la Cour constitutionnelle colombienne a déclaré inconstitutionnelle une loi permettant l’exploitation d’une zone et menaçant un écosystème en altitude contenant des réserves d’eau douce et pouvant être qualifié de « système de capture du carbone ». Selon la cour, la Constitution doit être lue à la lumière de l’adaptation au changement climatique.

L’absence ou l’insuffisance des mesures d’adaptation au changement climatique

De nombreuses affaires aux États-Unis ont eu pour objet de rechercher la responsabilité de l’État au titre de la carence de mesures prises pour lutter contre le changement climatique, afin d’obtenir une compensation au titre de la dégradation des biens des victimes, suite à une catastrophe naturelle. Néanmoins, dans une décision du 20 avril 2018, la Cour d’appel fédérale a annulé un jugement condamnant l’État à réparer les dégâts causés par l’ouragan Katrina aux propriétés des plaignants en considérant que ces derniers devaient apporter la preuve d’un dommage causé.

Dans les pays de common law, l’application de la « public trust doctrine »

La public trust doctrine est un principe selon lequel certaines ressources naturelles et culturelles sont préservées pour l’usage public. Le gouvernement les a sous sa garde et a l’obligation de les protéger et de les maintenir en vue de cet usage public.

En 2017, dans la célèbre affaire Juliana v./ United States, les requérants ont obtenu que le gouvernement agisse pour limiter la concentration des polluants atmosphériques. En mars 2018, la cour d’appel fédérale a rejeté les demandes du gouvernement à mettre fin à l’affaire, après avoir rappelé que la menace par l’inaction du gouvernement américain avait endommagé l’environnement des droits fondamentaux à la vie et à la liberté de demandeurs. Le 8 novembre 2018, la cour a indiqué qu’elle fixerait la date du procès.

La responsabilité des États au titre de la violation des droits humains

Onze familles originaires d’Europe et du monde ont introduit un recours contre l’Union européenne et fondé leur plainte sur l’inadéquation de l’objectif climatique 2030 et sur la violation de leurs droits humains (People Climate’s Change Case). Elles attendent qu’il soit ordonné à l’Union Européenne de fixer des objectifs plus stricts sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La Cour de Justice a jugé la plainte recevable par une décision du 13 août 2018.

En novembre 2017, la Cour Suprême irlandaise a reconnu le droit à un environnement compatible avec la dignité humaine mais aussi que le bien-être de l’ensemble des citoyens est une condition essentielle à la réalisation de tous les droits de l’Homme.

En Colombie, 25 jeunes plaignants ont introduit un recours contre l’État en invoquant la violation de leurs droits humains causée par la déforestation. Le 5 avril 2018, la Cour Suprême a jugé que le gouvernement ne s’était pas attaqué efficacement aux problèmes de déforestation en consacrant « Les droits accordés par la Constitution de la Colombie impliquent une transversalité et concernent les êtres humains qui y habitent et qui doivent pouvoir jouir d’un environnement sain leur permettant de mener une vie digne et de jouir de bien-être ».

Le 26 novembre 2018, le collectif québécois Enjeu, a déposé devant la Cour supérieure une demande de reconnaissance de l’atteinte du gouvernement fédéral à plusieurs droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (droit à la vie, droit à la sûreté de leur personne, droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité, droit à l’égalité).

Au-delà de la mise en cause des États, l’adoption de réglementations contraignantes et efficaces implique d’exercer un certain niveau de contrainte sur le comportement des citoyens et les actions acteurs économiques (partie 2/2 de la chronique à venir).

Avis d’expert proposé par Carl Enckell, avocat à la Cour avec la collaboration d’Adèle Motte, juriste, cabinet Enckell Avocats.

Louis Vuitton : le motif à damier ne constitue pas une marque valable

Louis Vuitton : le motif à damier ne constitue pas une marque valable

Pour être valable, une marque doit être distinctive, c’est-à-dire permettre aux clients de reconnaître les produits ou services proposés sous cette marque, de ceux des autres entreprises.

Si le signe déposé à titre de marque est dépourvu de caractère distinctif en lui-même (par exemple : la marque est trop descriptive), ce caractère distinctif peut être acquis par l’usage. S’agissant d’une marque de l’Union Européenne (UE), cet usage doit avoir lieu au sein de l’UE, être ancien et suffisamment important pour que le signe utilisé soit perçu directement par le consommateur comme étant une marque.

Si ce principe est simple sur un plan théorique, dans la pratique, la preuve de l’existence de ce caractère distinctif acquis par l’usage est difficile à établir, comme l’illustre l’arrêt du Tribunal de l’Union Européenne (TUE), du 12 octobre 2022, qui a refusé de consacrer l’acquisition par l’usage du caractère distinctif de la marque sur le motif à damier de la pourtant célèbre maison Louis Vuitton.

En l’espèce, en 2015, un citoyen polonais avait saisi la division d’annulation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO, à l’époque OHMI) d’une demande en nullité de la marque de l’UE déposée par Louis Vuitton.

La division d’annulation avait fait droit à la demande en annulant la marque, annulation confirmée par la Chambre des recours, considérant que le motif à damier ne constituait pas un caractère distinctif intrinsèque, ni qu’il avait été acquis par l’usage, dès lors que Louis Vuitton ne rapportait pas la preuve de cette acquisition dans six pays de l’UE (en l’occurrence six pays d’Europe de l’Est). Le TUE a validé ce raisonnement, et ainsi, confirmé l’annulation de la marque de Louis Vuitton.

Il a considéré d’une part, que « le motif à damier est un motif figuratif basique et banal,(…) (il) ne comporte ainsi aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de damiers et coïncide avec le modèle traditionnel d’un tel motif », le rendant donc dénué de toute distinctivité intrinsèque et d’autre part, que le caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque « doit être démontré dans l’ensemble de ce territoire, et non seulement dans une partie substantielle ou la majorité du territoire de l’Union », ce qui n’est pas le cas ici.

Cette décision n’est pas étonnante, l’EUIPO apprécie de manière très stricte l’acquisition du caractère distinctif d’une marque de l’UE par l’usage.

Source :

TUE, 19 oct. 2022, aff. T-275/21, Louis Vuitton Malletier c./ Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

Référence de l’image : Marque internationale n°986207 déposée par Louis Vuitton Malletier (Data.inpi.fr)

Déchéance partielle d’une marque : nom patronymique et usage trompeur

Déchéance partielle d’une marque : nom patronymique et usage trompeur

Dans un arrêt du 12 octobre 2022, la Cour d’appel de Paris a prononcé la déchéance partielle de marques patronymiques en raison de l’usage trompeur fait par leur titulaire. La Cour a également jugé que la garantie d’éviction ne rend pas irrecevable la demande reconventionnelle en déchéance par le cédant.

En l’espèce le créateur Jean-Charles Castelbajac avait cédé les marques JC de CASTELBAJAC et JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC à la société PMJC. Cette dernière l’a attaqué pour contrefaçon car le créateur utilise aujourd’hui son nom patronymique pour promouvoir son activité, notamment sur son site internet.

La Cour a jugé que le créateur usait simplement de sa liberté de présenter ses activités sous son nom et avec sa signature et qu’aucun acte de contrefaçon n’était caractérisé.

En revanche, la Cour a partiellement donné raison à monsieur Castelbajac, qui avait formé une demande reconventionnelle en déchéance de ces marques pour usage trompeur. En effet il reprochait entre autres, à la société PMJC d’induire les consommateurs en erreur, en leur faisant croire que les produits commercialisés sous ces deux marques avaient été conçus par lui ou sous sa direction artistique, alors que ce n’était pas le cas.

Si cette décision est en faveur du créateur, la Cour de Cassation pourrait être saisie d’un pourvoi et donner une interprétation différente concernant la déchéance d’une marque patronymique devenue trompeuse du fait de son titulaire.

Cette décision fait écho aux célèbres jurisprudences en la matière : Ines de la Fressange, Cass. com., 31 janv.2006 et Bordas, Cass. com., 12 mars 1985.

Source :

Déchéance partielle de marques composées du nom patronymique d’un créateur en raison de l’usage trompeur par leur cessionnaire | INPI PIBD ;

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 12/10/22, 20/11628 (M20220269) PMJC SAS c. Jean-Charles C, LouisMarie C et Castelbajac Creative SAS (inpi.fr)

RSE des entreprises : un nouveau code de gouvernement de l’Afep-Medef

RSE des entreprises : un nouveau code de gouvernement de l’Afep-Medef

L’Afep-Medef s’est doté, en décembre 2022, d’un nouveau Code de gouvernance plaçant la stratégie RSE, notamment en matière climatique, au cœur des missions des Conseils d’administration.

La stratégie RSE : une mission essentielle du Conseil d’administration

Le code s’enrichit ainsi d’une nouvelle recommandation, intitulée « Le conseil d’administration et la responsabilité sociale et environnementale ».

Il appartiendra désormais au Conseil d’administration de déterminer les orientations stratégiques pluriannuelles en matière de RSE et à la direction de l’entreprise de présenter les modalités de mise en œuvre de cette stratégie avec un plan d’action et l’horizon de temps dans lequel ces actions seront menées.

Les dirigeants devront informer annuellement le Conseil d’administration des résultats obtenus au dans le cadre de la stratégie RSE préalablement définie.

En matière climatique, cette stratégie devra identifier des objectifs précis, selon des échelles de temps. Les résultats obtenus devront être examinés annuellement par le Conseil d’administration, qui pourra adapter les objectifs et les actions en fonction de l’évolution des technologies et de la situation de l’entreprise ainsi que de ses capacités à mettre en œuvre les mesures préconisées.  

La stratégie et les actions engagées devront être présentés aux actionnaires, au moins tous les trois ans, lors d’une assemblée générale ordinaire.

Assortie d’une formation spécifique aux enjeux climatiques

Afin de faciliter la mise en place d’une stratégie RSE et conformément à la pratique soulignée par l’AMF(Autorité des Marchés Financiers) dans son rapport 2022, le nouveau code de gouvernance Afep-Medef  préconise que ces sujets soient examinés en amont du conseil d’administration, par des comités spécialisés (Comités RSE), dont la composition est librement définie par les entreprises.

De plus, la formation complémentaire des administrateurs à la RSE devra comporter un volet spécifiquement dédié aux enjeux climatiques.

Qui devra être intégrée dans la rémunération des dirigeants

D’après le communiqué de presse de l’Afep-Medef, l’intégration, dans la détermination de la rémunération des dirigeants, de critères RSE précis et reflétant les enjeux sociaux et économiques les plus importants pour l’entreprise constituerait un levier puissant pour porter ces préoccupations au premier plan.

Les critères quantifiables doivent être privilégiés et l’un d’entre eux au moins doit être lié aux objectifs climatiques de l’entreprise.

A titre d’exemple, et comme le souligne l’AMF, l’indicateur quantifiable peut être fondé sur le taux de réduction des émissions carbone résultant de l’activité de la société par employé.

Une simple référence à l’application d’une politique RSE ou à des enjeux généraux est insuffisante.

Et mise en place rapidement

Face aux enjeux et même si ces nouvelles recommandations ne s’appliqueront qu’aux assemblées statuant sur les comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2023 (en pratique les assemblées tenues en 2024), l’Afep et le Medef recommandent aux Conseils d’administration de faire leurs meilleurs efforts pour les appliquer immédiatement.

Sources :

Code de gouvernance Afep-Medef décembre 2022 www.medef.com

Rapport AMF 2022

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