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Les stratégies efficientes devant la justice climatique : les États (1/2)

par | 18 Mar 2019

Affaire du siècle, marche Mondiale pour le climat, Youth for Climate… la demande de justice climatique est un phénomène mondial sans précédent.

Mais au-delà de la communication et des manifestations, comment réagissent les tribunaux ?

C’est l’objet de notre analyse des stratégies contentieuses gagnantes, publiée dans Actu-Environnement (cette semaine 1/2 : les Etats).

Face au constat de l’inefficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre le changement climatique, les citoyens demandent aux États de garantir l’effectivité de leurs droits, tels que l’accès aux ressources naturelles pour les générations futures ou un environnement sain. Ces droits sont en effet menacés par le changement climatique, qui affecte leur jouissance effective. Les actions contentieuses en matière climatique sont la conséquence de la prise de conscience de l’urgence de la situation.

La judiciarisation des actions relatives au changement climatique est un phénomène mondial, comme l’a relevé le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans un rapport « The Status of Climate change litigation : a global review » (mai 2017). En 2018, plus de 1.000 contentieux en matière climatique pouvaient être recensés dans le monde, répartis sur 25 pays. Plus de 600 de ces contentieux sont engagés aux États-Unis, qui occupent donc une place prépondérante.

Au-delà de ce constat, la maîtrise du risque implique d’évaluer les stratégies contentieuses gagnantes. Deux grandes catégories d’actions peuvent être distinguées : la mise en cause des États et des acteurs publics (1/2), et celle des entreprises (2/2). Ce premier article s’intéresse aux Etats. Un second évoquera les entreprises. A chaque fois, nous pourrons recenser les arguments ayant convaincus les tribunaux.

L’Accord de Paris : un fondement récurrent

Les États sont de plus en plus souvent mis en cause par les citoyens dans le cadre de procédures très diverses en lien avec le climat. Ces derniers peuvent intenter des recours à titre individuel, ou se regrouper pour représenter un intérêt collectif.

L’Accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 4 novembre 2016 a constitué un tournant dans le développement de ces actions, en instituant notamment des obligations opposables aux États. Il constitue aujourd’hui un fondement récurrent des procédures.Les contestations portent sur des sujets plus ou moins étendus.

Il peut s’agir d’une mise en cause globale des politiques publiques ou d’une lacune de la législation en matière de lutte contre le changement climatique. Dans l’affaire Urgenda, les requérants ont demandé et obtenu de l’État néerlandais la mise en place d’une politique nationale de lutte contre le changement climatique plus stricte. Dans « l’Affaire du Siècle », les requérants (4 ONG) viennent d’engager, le 14 mars 2019, un contentieux contre l’État français pour qu’il respecte ses engagements climatiques.

Il peut aussi s’agir d’un projet en particulier (expansion d’aéroports ou de mines de charbon, construction dans des zones à risques…) : la Cour suprême d’Irlande a accueilli le 21 novembre 2017 la plainte de l’association Friends of Irish Environment contre un permis d’agrandissement d’une piste d’atterrissage. La Cour a reconnu la violation du Climate Action and Low Carbon Act 2015.

Cela dit, plusieurs tendances peuvent être distinguées en matière de contentieux relatifs au changement climatique engagés contre les personnes publiques.

L’injonction faite aux États de tenir leurs engagements politiques et légaux

Le 9 octobre 2018, la Cour d’appel de la Haye a confirmé un jugement du 24 juin 2015 concluant que l’État néerlandais avait l’obligation de prendre des mesures de lutte contre le changement climatique (réduction d’émission de GES) étant donné la gravité de ses conséquences et des risques majeurs engendrés. Elle a conclu que l’action de l’État néerlandais avait été illégale car il n’avait pas poursuivi une réduction suffisamment ambitieuse et il n’avait pas favorisé une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici 2020.

D’autres plaintes contre les États se sont multipliées : des agriculteurs allemands ont déposé un recours en octobre 2018 devant le tribunal administratif de Berlin, sur le fondement du non-respect des objectifs de 2020, du partage de l’effort européen (Effort Sharing Decision) et des Accords de Paris. De même, en 2015, en Belgique, l’ASBL Klimaatzaak a porté plainte contre l’État et sa politique climatique. Néanmoins, la Cour de cassation belge a rejeté le pourvoi en avril 2018.

Un autre exemple notable est celui de la décision dans laquelle le Conseil d’État français a enjoint « au premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre (…) un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote [NO2] et en particules fines PM10 sous les valeurs limites (…) dans le délai le plus court possible », et a ordonné au gouvernement de « le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ».

Le 13 décembre 2018, le tribunal de l’Union Européenne a donné raison aux villes de Paris, Bruxelles et Madrid en relevant que la Commission ne pouvait pas assouplir les limites d’émissions d’oxydes d’azote et déroger à la norme euro 6 en relevant le plafond prévu et en permettant aux voitures diesel de dépasser le niveau maximal d’émissions d’oxydes d’azote autorisé.

L’établissement d’un lien entre l’extraction des ressources et le changement climatique

Le 8 février 2016, la Cour constitutionnelle colombienne a déclaré inconstitutionnelle une loi permettant l’exploitation d’une zone et menaçant un écosystème en altitude contenant des réserves d’eau douce et pouvant être qualifié de « système de capture du carbone ». Selon la cour, la Constitution doit être lue à la lumière de l’adaptation au changement climatique.

L’absence ou l’insuffisance des mesures d’adaptation au changement climatique

De nombreuses affaires aux États-Unis ont eu pour objet de rechercher la responsabilité de l’État au titre de la carence de mesures prises pour lutter contre le changement climatique, afin d’obtenir une compensation au titre de la dégradation des biens des victimes, suite à une catastrophe naturelle. Néanmoins, dans une décision du 20 avril 2018, la Cour d’appel fédérale a annulé un jugement condamnant l’État à réparer les dégâts causés par l’ouragan Katrina aux propriétés des plaignants en considérant que ces derniers devaient apporter la preuve d’un dommage causé.

Dans les pays de common law, l’application de la « public trust doctrine »

La public trust doctrine est un principe selon lequel certaines ressources naturelles et culturelles sont préservées pour l’usage public. Le gouvernement les a sous sa garde et a l’obligation de les protéger et de les maintenir en vue de cet usage public.

En 2017, dans la célèbre affaire Juliana v./ United States, les requérants ont obtenu que le gouvernement agisse pour limiter la concentration des polluants atmosphériques. En mars 2018, la cour d’appel fédérale a rejeté les demandes du gouvernement à mettre fin à l’affaire, après avoir rappelé que la menace par l’inaction du gouvernement américain avait endommagé l’environnement des droits fondamentaux à la vie et à la liberté de demandeurs. Le 8 novembre 2018, la cour a indiqué qu’elle fixerait la date du procès.

La responsabilité des États au titre de la violation des droits humains

Onze familles originaires d’Europe et du monde ont introduit un recours contre l’Union européenne et fondé leur plainte sur l’inadéquation de l’objectif climatique 2030 et sur la violation de leurs droits humains (People Climate’s Change Case). Elles attendent qu’il soit ordonné à l’Union Européenne de fixer des objectifs plus stricts sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La Cour de Justice a jugé la plainte recevable par une décision du 13 août 2018.

En novembre 2017, la Cour Suprême irlandaise a reconnu le droit à un environnement compatible avec la dignité humaine mais aussi que le bien-être de l’ensemble des citoyens est une condition essentielle à la réalisation de tous les droits de l’Homme.

En Colombie, 25 jeunes plaignants ont introduit un recours contre l’État en invoquant la violation de leurs droits humains causée par la déforestation. Le 5 avril 2018, la Cour Suprême a jugé que le gouvernement ne s’était pas attaqué efficacement aux problèmes de déforestation en consacrant « Les droits accordés par la Constitution de la Colombie impliquent une transversalité et concernent les êtres humains qui y habitent et qui doivent pouvoir jouir d’un environnement sain leur permettant de mener une vie digne et de jouir de bien-être ».

Le 26 novembre 2018, le collectif québécois Enjeu, a déposé devant la Cour supérieure une demande de reconnaissance de l’atteinte du gouvernement fédéral à plusieurs droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (droit à la vie, droit à la sûreté de leur personne, droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité, droit à l’égalité).

Au-delà de la mise en cause des États, l’adoption de réglementations contraignantes et efficaces implique d’exercer un certain niveau de contrainte sur le comportement des citoyens et les actions acteurs économiques (partie 2/2 de la chronique à venir).

Avis d’expert proposé par Carl Enckell, avocat à la Cour avec la collaboration d’Adèle Motte, juriste, cabinet Enckell Avocats.

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

Parc agrivoltaïque : le tribunal administratif de Dijon permet la régularisation du projet

La société Nièvre Agrisolaire a obtenu trois permis de construire, délivrés par arrêtés du préfet de la Nièvre en janvier 2023 pour l’implantation d’une centrale photovoltaïque au sol comprenant modules, quinze postes de transformation, et un poste de livraison.

Saisi d’un recours formé par des associations, le tribunal administratif de Dijon a rendu son jugement le 26 janvier 2024. Il procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Celle-ci résulte de l’association entre des panneaux photovoltaïques et la production de fourrages agricole de haute qualité incluant un séchoir thermovoltaïque.

Le juge reconnait ensuite des fragilités juridiques mais permet la régularisation du projet via la production d’un complément à l’étude d’impact puis un permis modificatif (jugement TA Dijon, 1re ch., 26 janv. 2024, n° 2300854).

Les communes objet du projet n’ayant pas de PLU, c’est le RNU qui s’applique.

1. Reconnaissance de la nature agrivoltaïque du projet

La question de la nature agrivoltaïque du projet relève au moins autant de la législation de l’énergie que de celle de l’urbanisme.

Ainsi, la définition d’une installation agrivoltaïque est désormais inscrite à l’article L. 314-36 du code de l’énergie, résultant de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (dite APER). Parmi d’autres conditions, la production agricole doit être l’activité principale de la parcelle agricole. La consultation publique du projet de décret d’application s’est quant à elle terminée en janvier 2024.

Les permis de construire objets du jugement du tribunal administratif de Dijon le 24 janvier 2024  sont antérieurs à la loi, ce qui peut expliquer pourquoi il ne s’y réfère pas. En revanche, le jugement procède à un recensement minutieux des arguments du dossier, notamment l’étude d’impact, établissant la nature agrivoltaïque du projet. Le juge administratif recourt ainsi en quelque sorte à la technique jurisprudentielle dite du « faisceau d’indices » :

  • le projet implique le remplacement de cultures céréalières et oléo-protéagineuses exploitées sur les parcelles d’assiette par une production fourragère dite « de haute qualité » répondant aux enjeux du plan dit « K végétales » lancé par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation à la fin de l’année 2020.
  • la centrale solaire  « sera construite de façon à permettre le maintien d’une activité agricole au sein des parcelles », avec notamment des distances minimales entre les rangs de modules photovoltaïques adaptées à la circulation des engins agricoles.
  • un séchoir thermovoltaïque dimensionné à l’organisation de l’exploitation assurera la production d’un fourrage séché en grange, d’une valeur nutritive notablement supérieure à celle du fourrage en champs et offrant de meilleurs débouchés commerciaux

Le tribunal relève également que « les ouvrages de production d’énergie et le séchoir concourent à la réalisation d’un même projet […] à savoir la construction d’un parc dit « agrivoltaïque », associant à la production d’électricité celle d’un fourrage » (considérant 13).

Enfin, le tribunal juge que le séchoir thermovoltaïque que la société envisage de construire (bâtiment de 80 mètres) concourt à la qualification de projet agrivoltaïque, dans la mesure où il permettra la production d’un fourrage à proximité du siège de l’exploitation, avec un débouché économique pour l’agriculteur.

Au vu de ces éléments, et alors même qu’il implique un changement du type de culture exercé sur le terrain (75 hectares de maïs), il apparait que la production agricole sera significative par rapport à la production d’électricité.

2. Les arguments rejetés par le tribunal

Le juge rejette les moyens avancés par les requérants s’agissant de l’appréciation satisfaisante et proportionnée des incidences du projet sur les paysages et le patrimoine culturel.

Le tribunal a également rejeté le moyen selon lequel l’étude d’impact serait insuffisante du fait du manque d’estimation des émissions attendus (pollution air eau sol sous-sol) puisque les parcelles concernées font déjà l’objet d’une exploitation agricole intensive.

Les moyens relatifs à l’illégalité de l’enquête publique sont également rejetés, ainsi que celui concernant la dérogation espèce protégée, en soulignant que l’obtention de la dérogation conditionne uniquement la mise en œuvre du permis de construire, mais pas sa légalité.

3. Les arguments accueillis par le tribunal

Le juge accueille néanmoins deux des arguments de procédure avancés par les requérants.

Le premier concerne le périmètre de l’étude d’impact (considérant 14). En effet, le juge rappelle que l’article L. 122-1 du code de l’environnement dispose que tout projet constitué de plusieurs interventions dans le milieu naturel doit être évalué dans son ensemble, même en cas de fractionnement dans le temps et l’espace, afin de comprendre ses incidences environnementales globales.

Le tribunal conclut que la construction du séchoir est nécessaire en raison du changement de type de culture induit par le parc photovoltaïque. Ces deux éléments concourent à la réalisation d’un même projet, qualifié d’agrivoltaïque. Par conséquent, l’étude d’impact aurait dû couvrir l’ensemble du projet, y compris la construction du séchoir.

Il estime que l’absence d’analyse des incidences environnementales du séchoir dans l’étude d’impact constitue une insuffisance préjudiciable à l’information complète de la population.

Le second moyen concerne la notion d’ensemble immobilier unique (considérant 49). L’article L. 421-1 du code de l’urbanisme requiert une autorisation de construire pour toute construction, même sans fondations. Selon l’article L. 421-6, la construction d’un ensemble immobilier unique devrait normalement faire l’objet d’une seule autorisation, sauf si l’ampleur et la complexité du projet justifient des permis distincts. Les requérants reprochent à la société Nièvre Agrisolaire de ne pas avoir inclus le séchoir dans ses demandes de permis, bien que celui-ci soit considéré comme essentiel pour maintenir des activités agricoles significatives sur les parcelles du projet.

Le tribunal affirme que le parc photovoltaïque et le séchoir, bien que distincts du point de vue technique et économique, forment un ensemble immobilier unique en raison de leurs liens fonctionnels et de leur impact sur le maintien des activités agricoles.

L’absence de présentation du séchoir dans les demandes de permis rend donc impossible une évaluation globale par l’autorité administrative du respect des règles d’urbanisme et de la protection des intérêts généraux.

4. Conséquences du jugement

Le juge fait usage de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme  et soumet le projet à régularisation pour chacun de ces deux vices, permettant ainsi de sauver le projet. En effet, s’agissant du périmètre de l’étude d’impact, il demande la production d’un complément à celle-ci. Quant à la qualification d’ensemble immobilier unique comprenant le séchoir, un permis modificatif est sollicité.

L’affaire sera donc à nouveau jugée dans quelques mois une fois la procédure de régularisation accomplie.

Eco-organismes : le Conseil d’État annule partiellement le décret portant réforme de la REP

Eco-organismes : le Conseil d’État annule partiellement le décret portant réforme de la REP

La société EcoDDS, éco-organisme de la filière des déchets diffus spécifiques ménagers, a demandé l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 novembre 2020 n°2020-1455 portant réforme de la responsabilité élargie des producteurs (REP), pris pour application de la loi AGEC.

Par une décision du 10 novembre 2023 n° 449213, publié au Journal Officiel n°0264 du 15 novembre 2023, le Conseil d’Etat a confirmé la solidité juridique du régime de la responsabilité élargie du producteur (REP) en apportant certaines précisions utiles (I).

Un des moyens présentés a cependant été retenu par le juge, relatif au mandat de représentation des producteurs (article R. 541-174 du code de l’environnement). Son annulation emporte des conséquences importantes immédiates pour les éco organismes (II).

I. Les dispositions conformes à la loi

La redevance versée à l’ADEME. Elle n’est pas une condition financière préalable au sens de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Les missions de suivi de l’Ademe sont également conformes à la loi AGEC.

La résorption des dépôts sauvages. Il revient au cahier des charges de chaque éco-organisme de prévoir au cas par cas si les coûts de ramassage et de traitement des déchets illégalement abandonnés sont pris en charge. Par ailleurs, ce dispositif ne méconnait pas les dispositions du TFUE relatives aux restrictions quantitatives, ni les objectifs de la directive Déchets s’agissant des couts nécessaires à la gestion des déchets.

Les garanties financières en cas de défaillance. Un dispositif financier a été créé pour garantir la continuité du service des éco-organismes (art R. 541-119 du code de l’environnement). Le terme « défaillance » est interprété de manière large, englobant toutes les situations pouvant compromettre la continuité du service public de gestion des déchets, tels que l’arrêt de l’activité, le non-renouvellement de l’agrément, ou des événements imprévus.

La consultation de l’Autorité de la concurrence n’était pas nécessaire, car les contrats types et l’uniformité des contributions n’entravent pas le libre choix des producteurs en matière de prix ou de conditions de vente.

La possibilité de prendre en charge les frais de mise en place des éco-organismes via les éco-contributions. Le Conseil juge que les frais de mise en place (le plus souvent engagés lors du dossier de candidature à l’agrément) peuvent être couverts par l’écocontribution au même titre que les frais de fonctionnement (considérant 47 de l’arrêt). En pratique, cette prise en charge sera rétroactive, puisque les fais de mise en place sont engagés avant l’agrément des éco-organismes.

Le soutien aux collectivités d’outre-mer. Le principe de planification par les éco-organismes est jugé conforme aux dispositions de la directive Déchets. La planification dans les collectivités d’outre-mer, régies par l’article 73 de la Constitution, sera mise en œuvre dans les cas où leurs performances sont inférieures à la moyenne métropolitaine.

Le barème amont. L’article R. 541-110 du code de l’environnement dispose que le cahier des charges peut détailler les modalités d’application du barème amont défini par la loi (L. 541-10-2 code env.). Le Conseil d’État valide cette disposition, au regard de la procédure transparente d’élaboration de ce barème, qui offre des garanties suffisantes et ne portant pas atteinte au principe de « bon rapport cout-efficacité ».

Par ailleurs, les modalités d’agrément des éco-organismes, la création et la compétence des comités des parties prenantes, la modulation de l’écocontribution, le rôle de l’organisme coordonnateur, les modalités d’autocontrôle sont également jugés conformes à la loi.

II. La disposition contraire à la loi : le mandat de subrogation pour les producteurs (art. R. 541-174 code env.)

2.1. Motifs de l’annulation

La société EcoDDS a obtenu l’annulation du décret en ce qu’il introduit l’article R. 541-174 dans le code de l’environnement. Cet article autorisait tout producteur, indépendamment de son origine, à déléguer à un mandataire la responsabilité « d’assurer le respect des obligations liées au régime de responsabilité élargie des producteurs », cette personne serait « subrogée dans toutes les obligations de responsabilité élargie du producteur » dont il acceptait le mandat.

Le Conseil d’État relève d’abord que la directive Déchets prévoit seulement une possibilité de mandat pour les producteurs qui commercialisent sur le territoire national des produits élaborés dans autre Etat (art. 8bis §5 de la directive). Dans ce cas, le mandataire est chargé d’assurer le respect des obligations qui découlent du régime de la REP.  La directive souligne en outre que les Etats membres peuvent définir d’autres exigences, telles que l’enregistrement l’information et la communication des données qui doivent être remplies par le mandataire, afin de suivre et de vérifier les obligations du producteur établi à l’étranger.

Ensuite, le Conseil d’État relève que la loi AGEC a partiellement transposé ce point de la directive à l’article L. 541-10 du code de l’environnement, sans mention d’un mandat, et en prévoyant simplement, pour les producteurs, l’obligation de « pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent ». La loi aborde ensuite la mise en place d’éco-organismes agrées auxquels les producteurs transfèrent leur obligation en contrepartie d’une contribution financière.

Ainsi, d’une part, seul le décret transpose cette disposition de la directive, et, d’autre part, selon des modalités singulièrement différentes. En effet, l’article R. 541-174 du code de l’environnement résultant du décret prévoit que le mandat :

  • est permis à tous les producteurs (produisant en France ou à l’étranger)
  • et qu’il emporte une subrogation intégrale dans les obligations du producteur

Ce qui a une portée beaucoup plus large qu’un simple mandat au sens du droit des obligations (art. 1346 et suivants du code civil). La responsabilité attachée à un mandat classique (articles 1984 et suivants du code civil) est plus limitée. Ainsi, dans le cas du mandat avec subrogation, le mandataire doit répondre des obligations du mandant vis-à-vis des tiers. Par exemple les pénalités contractuelles dues aux éco-organismes. Au contraire, dans le cas du simple mandat, le mandant est responsable des actes du mandataire (la responsabilité du mandataire ne pouvant être engagée envers les tiers que dans le cas où il méconnait le mandat).

Les conclusions du Rapporteur public, Nicolas Agnoux, permettent d’éclairer l’arrêt sur ce point : « Ces dispositions entretiennent ainsi une confusion entre la possibilité, prévue au paragraphe 5 de l’article 8 bis de la directive, de désigner un simple « mandataire » chargé d’agir au nom et pour le compte du producteur, sans transfert de responsabilité, conformément à la définition qu’en donne le code civil (art. 1984 et 1998) et un régime de subrogation entraînant, comme l’indique la deuxième phrase de l’article, un transfert de la responsabilité élargie du producteur. Or cette seconde hypothèse apparaît non seulement contraire à la directive (CE, 13 juillet 2006, 281231) mais également entachée d’incompétence en ce qu’elle régit les obligations civiles des opérateurs ».

Pour ces raisons, le Conseil d’État juge que le pouvoir règlementaire a excédé sa compétence. L’article R. 541-174 du code de l’environnement est annulé dans son intégralité et immédiatement, sans effet différé.

2.2. Conséquences de l’annulation

Le fondement réglementaire de la subrogation intégrale ayant disparu avec l’annulation de l’article R. 541-174 code env., les mandats passés sont a minima devenus inopposables à l’administration sur ce point (cad les dispositions contractuelles désignant les mandataires des producteurs comme interlocuteurs « exclusif » de l’éco-organisme).

L’annulation emportant en outre des effets rétroactifs, l’article est censé n’avoir jamais existé, ce qui peut nécessiter une reconstitution du passé par l’administration. Cela peut donc également remettre en question les poursuites engagées et les sanctions déjà infligées à des mandataires en lieu et place des producteurs (les pénalités au titre des dispositions contractuelles spécifiques à chaque éco-organisme mais aussi au besoin les amendes administratives tel que prévu à l’article L. 5421-10-11 code env.). En cas de préjudice (risque de remboursement notamment), la responsabilité de l’État pourra être engagée.

Pour mémoire, en faisant reposer la responsabilité sur les épaules du mandataire, le décret d’application de la loi AGEC partait d’une bonne intention, consistant à faciliter les possibilités de poursuites vis-à-vis de producteurs situés à l’étranger en cas de dysfonctionnement.

De ce fait, désormais, si un producteur établi à l’étranger importe sa production en France, il est seul soumis au régime de la responsabilité élargie du producteur. Dans la mesure où il méconnaitrait ses obligations, l’éco-organisme doit le poursuivre directement et pas son mandataire.

Un mandat simple de représentation demeure possible. De même les cas particuliers ou des groupes ou maisons mères sont désignés mandataires par leurs filiales doivent pouvoir être pris en compte par les eco-organismes, y compris avec une responsabilité solidaire si elle est librement consentie.

2.3. Suites possibles

Une solution serait que le législateur vote une disposition reprenant les termes de l’article R. 541-174 du code de l’environnement, à savoir la possibilité d’un mandat avec subrogation intégrale pour les producteurs, sous réserve de sa conventionnalité et de sa constitutionnalité. Elle ne sera cependant valable que pour l’avenir, sans effets rétroactifs.

Save the date – Conférence du CEREMA : « Économie circulaire dans le BTP »

Save the date – Conférence du CEREMA : « Économie circulaire dans le BTP »

Le Département Infrastructures et Matériaux du Cerema Méditerranée organise une Conférence Technique Territoriale le 12 octobre 2023 :

« Economie circulaire dans le BTP : développements et perspectives sur notre territoire« .

Maitre Rosalie Amabile, responsable du bureau de Marseille du cabinet Altes, y interviendra sur le thème du « Cadre juridique de l’économie circulaire : commande publique et BTP »

Le nombre de places est limité et la conférence aura lieu uniquement en présentiel sur le site d’Aix-en-Provence.

Les inscriptions sont obligatoires et se font par internet via ce lien.

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