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ZDE – Attention danger : Quand la loi est molle, le juge est dur !

par | 25 Nov 2011

CAA Bdx.JPGUne récente jurisprudence soulève une interrogation majeure sur la sécurité juridique des ZDE. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a en effet jugé que le préfet doit disposer d’éléments « réalistes » et « complets » avant d’approuver la création d’une ZDE. Concrètement, cela se traduit par une campagne de mesures effectuées sur zone pendant une année (CAA Bordeaux, 2 novembre 2011, 6 requêtes n° 10BX02174, 10BX02175, 10BX02176, 10BX02202, 10BX02213, et 10BX02747).

Ce critère prétorien (véritable nouvelle règle de procédure) était jusqu’à présent méconnu des services instructeurs et des opérateurs, ce qui pose un vrai problème de légalité.

Analyse.

1 – Qu’est-ce qu’une « estimation suffisamment réaliste et complète » du potentiel éolien d’une ZDE ?

Selon l’article 10.1 de la loi du 10 février 2000 sur le service public de l’électricité, les ZDE sont définies par le Préfet du Département « en fonction de leur potentiel éolien, des possibilités de raccordement aux réseaux électriques et de la protection des paysages, des monuments historiques et des sites remarquables et protégés ».

En l’occurrence, pour approuver 6 ZDE, le Préfet de la Haute-Vienne s’était fondé sur la documentation disponible, à savoir :

– les moyennes annuelles de vitesse de vent inscrites dans l’Atlas du potentiel éolien du Schéma régional éolien.

– pour plusieurs dossiers, les données provenant de stations météorologiques situées à quelques kilomètres des ZDE ainsi que les résultats d’études localisées.

La Cour confirme juge cependant que ces documents sont insuffisants et ne permettent pas d’apprécier la réalité du potentiel éolien des zones : « le Préfet doit disposer, au moment où il décide de créer une zone de développement éolien, d’éléments permettant une estimation suffisamment réaliste et complète du potentiel éolien de la zone ».

Or, les données de l’Atlas du potentiel éolien régional sont « par elles-mêmes insuffisantes, pour permettre d’apprécier la réalité du potentiel éolien d’une zone précise », bien qu’elles démontrent une vitesse annuelle de vente de l’ordre de 6 à 6,5 mètres par seconde à 80 mètres de hauteur et qu’elles sont fondées sur les résultats d’une modélisation de Météo France dont la fiabilité a été vérifiée sur 14 stations météorologiques de la région. De même, les études localisées sont « peu représentatives du potentiel éolien de la zone » et n’étaient pas accompagnées de la méthodologie des campagnes de mesures.

En définitive, une seule ZDE est validée par la Cour au motif que la Communauté de Communes a fourni au préfet une évaluation du potentiel éolien de la zone à partir « du relevé précis résultat d’une campagne de mesures effectuées sur place pendant une année dont la méthodologie était indiquée, de sorte que le Préfet disposait d’éléments suffisants pour apprécier le potentiel éolien de la zone ».

Dans ce cas seulement, le préfet a pris une bonne décision au vu de la « moyenne annuelle de vitesse du vent satisfaisante », se sorte que « la création de la zone demandée se justifiait du point de vue de son potentiel éolien » (CAA Bordeaux, 2 novembre 2011, Association pour la Sauvegarde de la Gartempe et Communauté de Communes du Haut-Limousin, req. n° 10BX02747)

2 – Faut-il systématiquement joindre au dossier les résultats complets d’une campagne de mesure de vent ?

L’un des requérants a fort habilement fait observer au juge administratif que son raisonnement revenait à exiger que soient réalisées des mesures de vent, alors que cette formalité n’est pas prévue par les textes. Point du tout, rétorque la Cour, puisque « le législateur n’impose pas au pétitionnaire de réaliser des mesures de vent ». Il n’en demeure pas moins que le projet doit « se fonder sur des évaluations et des informations météorologiques permettant, comme sus-indiqué, une estimation des vents la plus réaliste possible au regard des caractéristiques propres de la zone étudiée » (CAA Bordeaux, 2 novembre 2011, MEDDTL et Association pour la Sauvegarde de la Gartempe, req. n° 10BX02174).

La nuance est subtile, dès lors que le seul critère ayant permis à la Cour de valider 1 ZDE sur 6 est précisément celui des mesures de vent prises par le pétitionnaire. Bien que la Cour s’en défende, il  semble que le pétitionnaire doive joindre à sa demande une étude de vent localisée, faute de quoi le préfet pourrait se prononcer sur une estimation ni réaliste, ni complète.

3 – Une exigence de pièces administratives non prévue par la loi ni le règlement

En exigeant que des études de vent soient jointes au dossier de demande de création de ZDE, et en considérant que les données plus générales, même localisées, de l’Atlas régional éolien sont insuffisantes, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux vient d’imposer ex nihilo au pétitionnaire de joindre une pièce non prévue, ni par la loi ni par le règlement.

Or, la seule exigence inscrite à l’article 10.1 de la loi du 10 février 2000, est celle de l’appréciation du « potentiel éolien » par le Préfet, sans plus de précisions. Une telle formule ne permet pas d’imposer stricto sensu la production d’un document spécifique, sous réserve d’une erreur de droit. En effet, la jurisprudence prohibe traditionnellement (et notamment en matière d’urbanisme) les exigences de pièces non prévues par la loi (CE, 21 mars 1986, Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble « les Périades » : droit administratif 1986, commentaire 315 ; CE, 24 janvier 1986, époux Naudon, droit administratif 1990, commentaire 195 ; CE, 31 mars 1989, association de protection et d’amélioration de vie secteur 16 arpents : RDI 1989 p. 348 ; CE, 9 octobre 1989, Gontan : RDI 1990 p. 200).

La Cour va même plus loin puisqu’elle exige que la méthodologie et les résultats des campagnes de mesures de vents soient portés à la connaissance du Préfet avant sa décision (CAA Bordeaux, 2 novembre 2011, MEDDTL et association pour la sauvegarde de la Gartempe, req. n° 10BX02174 ; ou MEDDTL, ROSSI, req. n° 10BX02175 ; ou encore MEDDTL et association pour la sauvegarde du patrimoine et des paysages en Haut-Limousin, req. n° 10BX02176). Il s’agit donc bien d’une exigence formelle (de procédure) : e pétitionnaire doit fournir au Préfet un dossier complet indiquant, sur le modèle des études d’impact, la méthodologie employée et les résultats détaillés des mesures de vent. Même la circulaire interministérielle du 19 juin 2006 n’exige rien de tel.

4 – Un contrôle d’opportunité (de justification du choix des zones) ?

Pour l’un des dossiers, la Cour reproche aux études localisées, de révéler une vitesse moyenne de vent de « seulement » 3 mètres par seconde à 10 mètres de hauteur (CAA Bordeaux, 2 novembre 2011, MEDDTL et association pour la sauvegarde de la Gartempe, req. n° 10BX02202). Dans un autre cas, elle juge que la demande de création de zone « se justifiait du point de vue de son potentiel éolien » (CAA Bordeaux, 2 novembre 2011, Association pour la Sauvegarde de la Gartempe et Communauté de Communes du Haut-Limousin, req. n° 10BX02747).

Faut-il déduire que le juge administratif apprécie également, en opportunité, la décision du Préfet ? Traditionnellement, le juge exerce avec beaucoup de prudence un contrôle sur l’opportunité des choix d’aménagement, car cette appréciation soulève aussitôt la question de la compétence technique et ranime le fantasme du juge-administrateur.

A ce titre, on ne peut manquer de rapprocher les arrêts du 2 novembre 2011 de la jurisprudence rendue pendant les années 90 au sujet de la loi littorale. Là aussi, le droit était imprécis (droit mou car par de décret d’application) et, la aussi, le juge administratif a rendu des décisions prétoriennes et critiquées, notamment par un rapport parlementaire (rapport d’information sur l’application de la loi littorale). La jurisprudence s’est radoucie par la suite.

5 – Une exigence d’étude d’impact environnementale ?

Au-delà de la question spécifique du « potentiel éolien », on peut s’interroger sur l’interprétation des autres conditions inscrites par l’article 10.1 de la loi du 10 février 2000 : possibilités de raccordement aux réseaux électriques, de la protection des paysages, des monuments historiques et des sites remarquables et protégés.

Sur ce point, la Cour administrative d’appel de Bordeaux juge que le dossier est acceptable puisqu’il comportait une « description des paysages concernés par le projet, l’indication des principaux sites remarquables et protégés, et une analyse, accompagnée du document graphique, des covisibilités possibles à partir des différents sites ». En outre, « l’analyse paysagère envisageait et étudiait l’impact des autres zones de développement éolien demandées dans le Nord du département ». De toute évidence, cette analyse est celle d’une étude d’impact. Elle va même jusqu’à contrôler une exigence nouvelle : les effets cumulés de l’opération avec d’autres opérations voisines ayant des maîtres d’ouvrage distincts !

C’est surprenant dès lors que la Cour juge par ailleurs que les ZDE n’ont pas à être précédées d’une évaluation environnementale et que la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 (dite plan-programme) leur est inapplicable. La confusion est d’autant plus grande que la très récente circulaire ministérielle du 25 octobre 2011 sur les ZDE, complémentaire à celle du 19 juin 2006, indique que le Préfet peut soumettre la création d’une ZDE à la réalisation préalable d’une évaluation Natura 2000.

CONCLUSION

Le juge administratif a fait office d’administrateur en exigeant des conditions formelles, tenant au contenu du dossier de création de ZDE :

– étude de vent localisée accompagnée d’une méthodologie et d’un résultat complet

– étude de l’impact paysager du projet sur les autres ZDE

Ces pièces ne sont cependant demandées ni par la loi ni par le règlement, ce qui fragilise les procédures déjà approuvées. Le danger est encore plus grand dès lors que les SRCAE (ayant vocation à se substituer aux ZDE) sont tous actuellement établis par l’administration au vu des données recueillies dans les Atlas régionaux éoliens. Les réactionspourraient venir :

– de l’adoption d’un décret (ou d’un arrêté) faisant application de la loi du 10 févier 2000 et définisant le contenu des dossiers de ZDE;

– d’un revirement de jurisprudence.

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Contrefaçon et concurrence déloyale de Facebook : la Cour de cassation confirme la double condamnation de « Fuckbook »

Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle jouit d’un monopole d’exploitation lui permettant de s’opposer aux pratiques des tiers.

Le droit des marques confère cette protection notamment par le biais de l’action en contrefaçon (civile) permettant d’engager la responsabilité de celui qui se livre à l’une des atteintes énumérées (article L.716-4 du Code de propriété intellectuelle).

Une autre action, dite en concurrence déloyale (article 1240 et 1241 du Code civil), permet d’engager la responsabilité de celui dont le comportement s’inscrit en violation des règles du commerce, et ce en dehors de tout droit privatif.

Alors que le commerce de contrefaçon dans le monde atteint 467 Md$ (rapport de l’OCDE sur la situation mondiale du commerce de contrefaçon), les titulaires de droits intellectuels s’étant livrés à de réels investissements, s’interrogent sur les actions à conduire afin d’obtenir des sanctions, si possible lourdes et dissuasives.

Les titulaires des droits intellectuels peuvent-ils envisager le cumul de l’action en contrefaçon et de l’action en concurrence déloyale ?

C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 mars 2025 (Com. 26 mars 2025, FS-B, n° 23-13.589).

En l’espèce, la société Cargo Media AG exploite un site de rencontres pour adultes à caractère sexuel dénommé « Fuckbook ». Dans ce cadre, elle a acquis deux noms de domaine (« fuckbook.xxx » et « fuckbook.com »). Invoquant l’atteinte à ses droits, la célèbre société Meta Platforms Inc. (anciennement Facebook Inc.) invoque l’atteinte à ses marques renommées, la contrefaçon de marques (verbales et figuratives) ainsi qu’une concurrence déloyale.

La Cour d’appel de Paris (Paris, 28 octobre 2022) a fait droit aux demandes de la société Meta Platforms Inc. en retenant l’atteinte à la renommée des marques, prononce des mesures d’interdiction et condamne la société Cargo Media AG au paiement de dommages et intérêts.

Suite à un pourvoi formé par la société Cargo Media AG, la Cour de cassation a confirmé – par son arrêt du 26 mars 2025 – le raisonnement des juges du fond.

Le premier moyen de la société Cargo Media AG portait sur la détermination du public de référence. Elle remettait en cause la détermination du public choisi pour apprécier le risque de confusion (critère essentiel pour la qualification de contrefaçon). Elle soutenait qu’il ne pouvait s’agir du « public qui utilise les réseaux sociaux » et qu’il convenait de se livrer à une détermination plus précise.

À cet argument, qui « ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation des juges du fond », la Cour répond négativement : le public de référence – à l’appui duquel il convient d’apprécier le risque de confusion entre les marques en cause et le signe « Fuckbook » – est un public qui se confond dans la catégorie plus large du « public des services du réseau social « Facebook ».

Le public de référence peut donc être un public particulier qui entre dans une catégorie plus large. Partant de ces constatations, le risque de confusion et le risque de confusion sont confirmés.

Le second moyen de la société Cargo Media AG portait sur le cumul entre la contrefaçon et la concurrence déloyale. Elle affirmait qu’en l’espèce, un tel cumul était impossible en raison de l’absence de constatation de faits distincts de ceux à l’appui desquels avait été prononcée la contrefaçon.

C’est sur l’appréciation de ces faits distincts que réside le cœur de l’arrêt commenté.

Rompant avec le raisonnement du tribunal judiciaire, les juges de la Cour d’appel de Paris avaient en effet considéré que « les atteintes au nom commercial Facebook et au nom de domaine facebook.com constituent des faits distincts de concurrence déloyale, s’agissant de sanctionner un comportement fautif différent ».

Pour arbitrer de point, la Haute juridiction fait référence à sa jurisprudence antérieure. Les deux actions sont cumulables à condition que la concurrence déloyale résulte de faits distincts de ceux retenus pour la contrefaçon. Toutefois, il ne faut pas confondre faits distincts et faits matériels. En effet, un seul fait matériel peut caractériser des faits distincts « s’il porte atteinte à des droits de nature différente ». En l’espèce, le nom commercial et le nom de domaine se distinguent des droits détenus sur une marque. Dès lors, lorsque s’illustre un risque de confusion, les deux actions peuvent être cumulées puisqu’elles reposent sur des faits distincts (à entendre au sens de conséquences distinctes). La Cour d’appel avait retenu un tel risque résultant de la création, l’esprit du public de référence, d’une impression de continuité économique entre les deux entités. 

La dernière étape du raisonnement de la Cour porte sur la conséquence attachée à ce cumul. Elle affirme, « la victime peut obtenir, au titre de la concurrence déloyale, la réparation du préjudice distinct né de l’atteinte à la distinctivité de ses signes d’identification, tels le nom commercial ou le nom de domaine, seulement si le préjudice n’est pas déjà réparé au titre de la contrefaçon ». Pour que le cumul soit prononcé, il faut donc caractériser des préjudices distincts.

Retenons donc le possible cumul des sanctions, favorable aux titulaires de droit de propriété intellectuelle. L’arrêt s’illustre également par l’encadrement de cette possibilité, permettant d’éviter de tordre la règle non bis in idem.

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

La représentation artistique d’une marque de renommée à des fin d’auto-promotion est une contrefaçon (TJ Paris, 2 avr. 2025, n° 23/04114)

Le droit de la propriété intellectuelle octroi à son bénéficiaire un droit exclusif d’exploitation en vertu duquel il peut s’opposer aux agissements des tiers. Cependant, des limitations au droit de propriété existent en droit des marques , même dument enregistrées (L.713-1 du Code de la propriété intellectuelle), par exemple lorsque le produit revêtu de la marque a fait l’objet d’un épuisement des droits – c’est-à-dire lorsque la première vente ou mise en circulation dans l’UE/EEE a été autorisée par le titulaire des droits – ou lorsque l’utilisation litigieuse n’a pas lieu dans la vie des affaires (CJCE, n° C-206/01, Arrêt de la Cour, Arsenal Football Club plc contre Matthew Reed, 12 novembre 2002).

Naturellement, la coexistence entre le droit privatif et les tiers conduit à des litiges quant à la juste articulation des droits de chacun. Les marques de renommée ne sont pas exemptées, d’autant que leur protection se distingue en ce qu’elle dépasse le principe de spécialité. En effet, elles jouissent d’une protection qui dépasse les produits et services pour lesquels elles sont déposées. La liberté d’expression apparaît alors comme un droit légitimement opposé.

La liberté d’expression peut-elle limiter le droit exclusif conféré au titulaire d’une marque enregistrée ?

À de nombreuses reprises, les juges du fond se sont prononcés sur l’articulation entre le droit des marques et la liberté d’expression des tiers. Citons par exemple, la possible qualification d’atteinte à la marque en cas de caricature de marques lorsque les agissements du tiers rendent compte d’une volonté d’« exploiter l’impact » de la marque déposée (TGI Paris, 4 oct. 1996) ou d’« user de la caricature et de la parodie, non pas uniquement pour railler ou faire sourire, mais aussi dans l’intention essentiellement commerciale de profiter des marques déposées pour vendre son propre produit (…) » (Paris, 9 sept. 1998). La liberté d’expression se voit alors écartée lorsque la caricature est détournée pour profiter indûment de la notoriété de la marque en cause.

Quid de la liberté d’expression artistique ? L’utilisation de la marque de renommée dans une démarche artistique fait-elle obstacle à la revendication d’actes de contrefaçon ?

C’est sur cette question que s’est prononcé le Tribunal judiciaire de Paris, le 2 avril 2025. En l’espèce, un artiste a représenté des montres Rolex dans ses œuvres, en conservant certains éléments des marques en cause, tout en modifiant le fond du cadran pour y intégrer des créations personnelles inspirées du Pop Art.

Les sociétés Rolex ont revendiqué la renommée de leurs marques – en s’appuyant notamment sur « plusieurs sondages et enquêtes de notoriété » qui placent les marques en cause parmi les plus réputées au monde – et estiment qu’il s’agit d’utilisations sans autorisation à des fins économiques (utilisation dans un clip promotionnel, diffusion sur les réseaux sociaux…). Les sociétés ROLEX ont affirmé que l’exploitation donne « l’impression d’un lien contractuel » dont il résulte une altération du « caractère distinctif de leurs marques », c’est-à-dire que l’usage artistique brouille l’image de la marque : le public ne l’associe plus uniquement à Rolex.

En réponse, l’artiste a contesée la renommée de l’ensemble des marques invoquées et affirmé que la démarche artistique faisait obstacle à ce que les sociétés Rolex revendiquent des actes de contrefaçon, « d’autant qu’aucun profit tiré de la renommée de ces marques, ni impact sur le comportement économique des consommateurs n’a été démontré ».

Après avoir rappelé la définition de la marque de renommée et ses critères d’appréciation, le Tribunal judiciaire de Paris s’est livré à un arbitrage.

D’une part, les juges du fond retiennent la renommée de certaines marques de la société Rolex : « Au vu de ces éléments, l’importance du budget publicitaire sur plusieurs années, le référencement de la marque dans la presse française, l’existence de sondages et enquêtes de notoriété, l’usage dans le temps et son étendue géographique, les sociétés Rolex démontrent la renommée de leurs marques n° 976721, n° 1355807 et n° 476371 ». Les juges du fond se livrent ainsi à une appréciation rigoureuse de la renommée et rappellent qu’« En effet, c’est uniquement les marques « Rolex » et son logo à la couronne qui jouissent d’une grande notoriété » puisque « Le dépôt de plusieurs marques concernant ces signes ne peut à lui seul caractériser leur renommée ». La démonstration de la renommée apparaît comme une étape cruciale dans la recherche de l’équilibre convoité.

D’autre part, s’agissant de la liberté d’expression, les juges du fond rappellent que la directive 2015/2436 permet de considérer que l’usage d’une marque fait par des tiers à des fins d’expression artistique est loyal lorsque celui-ci est conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Or, tel n’est pas le cas lorsque l’usage de la marque « dépasse les usages loyaux en matière industrielle et commerciale » c’est-à-dire lorsque « l’identification de la marque sert un objectif d’auto-promotion ». En effet, les marques renommées des sociétés Rolex ont été utilisées à plusieurs reprises – parfois associées au terme « Watch » – dans un clip vidéo, sur les réseaux sociaux etc… Indéniablement, cela a participé à la création d’une impression d’un lien commercial entre les marques des sociétés Rolex et les œuvres de l’artiste, le public pertinent étant celui des amateurs de montres de luxe.

Partant de ces considérations, le Tribunal judiciaire de Paris a retenu l’atteinte à la renommée des marques en cause, condamné l’artiste pour parasitisme et ordonné notamment l’interdiction de l’usage des signes « Rolex » et le retrait de ces signes dans la vidéo promotionnelle ainsi que dans les messages sur les réseaux sociaux. La création du lien commercial a conduit à une dilution et une banalisation desdites marques.

Les juges du fond participent ainsi à la protection du droit des marques et des investissements réalisés. Il en résulte que la liberté d’expression artistique ne peut primer sur le droit des marques qu’à des conditions strictes. Dès lors, la preuve de la renommée et l’existence d’un usage déloyal sont des prérequis essentiels à l’éviction de cette liberté.

La marque de renommée est de nature à faire obstacle à la liberté d’expression artistique à la condition que la preuve de ladite renommée soit apportée et que l’usage du tiers ne soit un usage honnête conformément à la directive 2015/2436. De telles conditions sont réunies lorsque l’artiste utilise de façon déloyale la notoriété de la marque pour son auto-promotion.

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

Preuve d’une contrefaçon : le PV de constat d’achat établi avec un stagiaire est valable (Cour de cassation)

La défense d’un dessin ou modèle de valise conduit la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, à rendre une solution remarquable. La Haute juridiction précise les conditions de validité d’un procès-verbal de constat d’achat établi après l’intervention d’un stagiaire du requérant.

L’article L.716-7 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens ». Parmi les options ouvertes aux titulaires des droits de propriété intellectuelle, se trouve le constat d’achat, mesure probatoire de droit commun. Cette mesure conduit à l’intervention d’une commissaire de justice (anciennement huissier de justice) qui, à la suite d’un achat, réalise un procès-verbal. Elle permet de rendre compte d’une offre faite au public de produits présumés contrefaisants. Contrairement à la saisie- contrefaçon, aucune ordonnance judiciaire n’est nécessaire.

En dépit de cette facilité d’apparence, de nombreuses règles encadrent la mise en œuvre de ladite mesure probatoire et sa validité. En effet, « les huissiers de justice peuvent (…) effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » (rappel au considérant 7 de l’arrêt commenté) – au risque d’une requalification en saisie-contrefaçon déguisée et d’une annulation pour ce motif (Paris, 23 septembre 1998 : PIBD III, p. 79)- et, il « n’est pas autorisé à pénétrer dans un lieu privé, même ouvert au public, tel qu’un magasin, pour y recueillir des preuves au bénéfice de son mandant et, en particulier, y faire un achat, sans décliner préalablement sa qualité» (rappel au considérant 8 de l’arrêt commenté).

Pour réaliser l’achat qui précède le procès-verbal de constat d’achat, le Commissaire de Justice peut recourir à la méthode dite du « tiers acheteur » consistant à « solliciter un tiers, qui n’a pas la qualité d’officier public, afin qu’il pénètre dans un tel lieu pour y faire un achat, et, ensuite, relater les faits de ce tiers qu’il a personnellement constatés, se faire par lui remettre toute marchandise en sa possession à la sortie du magasin (…) » (rappel au considérant 9 de l’arrêt commenté).

Qui est ce tiers ? Peut-il s’agir du stagiaire du cabinet d’avocat chargé de la défense du requérant ? Si oui, à quelles conditions peut-il intervenir dans le constat sans que sa participation ne conduise à la nullité du procès-verbal réalisé par le Commissaire de Justice ?

La réponse est apportée par la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 12 mai 2025 (Cour de cassation, Chambre mixte, Pourvoi n° 22-20.739), après un renvoi de l’examen du pourvoi.

En l’espèce, la société Rimowa GmbH – ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de produits de bagagerie en aluminium et polycarbonate – est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur un dessin et modèle de valises (via la protection résultant des dessins et modèles). Or, en 2016, elle observe que la société HP Design commercialisait, sous la marque « Bill Tornade » des valises, considérées par elle comme contrefaisant le modèle « Limbo Multiwheel », puisque reproduisant ses caractéristiques originales. Partant, l’avocat de la société Rimowa a sollicité un constat d’achat lequel a été consigné par procès-verbal d’huissier de justice.

En novembre 2016, elle a assigné la société HP Design et une société tierce Intersod (qui exploitait la marque « Bill Tornade »). La Cour d’appel avait fait droit aux demandes de la société Rimowa GmbH en déclarant valable le procès-verbal de constat d’achat et en condamnant in solidum les sociétés HP Design et Intersod à indemniserla société Rimowa au titre d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Un pourvoi en cassation est alors formé, la société Intersod considérant que « le principe de loyauté de l’administration de la preuve et le droit au procès équitable (…) » imposent que le tiers qui réalise l’achat « soit indépendant de la partie requérante » ce qui n’est pas le cas du stagiaire au cabinet d’avocat de la requérante. Pour la société demanderesse, l’appréciation de l’indépendance dudit tiers n’impose pas «  de s’interroger sur l’existence d’un stratagème imputable à la partie requérante ».

Confirmant le raisonnement des juges du fond sur ce point, la Cour de cassation réfute l’analyse de la société demanderesse. Pour la Cour « Il y a lieu de juger désormais que l’absence de garanties suffisantes d’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas de nature à entraîner la nullité du constat d’achat. » (considérant 18 de l’arrêt commenté). Le stagiaire, placé dans une situation de dépendance – puisque soumis à un lien de subordination vis-à-vis du cabinet du requérant – ne pouvait être considéré comme un tiers indépendant, mais cela n’a pas suffi à entraîner la nullité du procès-verbal. Désormais, la seule absence d’indépendance du tiers acheteur ne suffit plus à justifier l’annulation du procès-verbal.

Pour la Cour de cassation, ce sont les conditions de réalisation du procès-verbal qui permettent d’apprécier sa validité. En effet, elle affirme « il appartient au juge d’apprécier si, au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d’indépendance affecte la valeur probante du constat» (considérant 18 de l’arrêt commenté). Or, en l’espèce, l’intensité du contrôle exercé par le Commissaire de Justice (description précise de la mise en œuvre traduisant une vérification minutieuse et un encadrement du stagiaire – qui entre sans sac puis lui remet aussitôt la valise et la facture) et l’absence de déloyauté (mention de l’identité et de la qualité du tiers acheteur dans le procès-verbal ainsi que l’absence de démonstration d’un quelconque stratagème) conduisent la Cour à considérer que le défaut d’indépendance n’affecte pas le caractère objectif des constatations du procès-verbal.

Observons que le positionnement de la Haute juridiction est marqué par une volonté assumée de prendre en considération les « divergences d’application parmi les juges du fond et des critiques de la part de la doctrine et de praticiens, qui ont souligné sa rigueur excessive » (considérant 12 de l’arrêt commenté).

Toutes ces circonstances particulières justifient cet arrêt remarquable, qui apparaît comme un revirement d’arrêts antérieurs tel que celui rendu huit ans plus tôt (Civ. 1re, 25 janv. 2017, F-P+B, n° 15-25.210).

Enfin, ajoutons qu’en l’espèce, la Cour de cassation vient également sanctionner les juges du fond quant à la qualification de concurrence déloyale. En effet, « En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser des faits distincts portant atteinte à des droits de nature différente de ceux dont la méconnaissance a été réparée sur le fondement de l’action en contrefaçon, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » (considérant 33 de l’arrêt commenté).

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